Chronique de Frédéric Bonnet
Saturday, 23 June 2007
Impressions de Venise II
Penser avec les sens, sentir avec l’esprit
Jusqu’au 21 novembre
Arsenal et Pavillon italien des Giardini
www.labiennale.org
Revenons sur la Biennale de Venise, où à côté des pavillons nationaux installés dans les Giardini et dispersés dans la ville, se tient la toujours très attendue exposition internationale, sise à l’Arsenal et dans le Pavillon italien.
Confiée pour la première fois à un américain, Robert Storr, ancien conservateur au MoMA de New York, elle déçoit les nombreuses attentes placées en elles.
Storr, esprit brillant qui a orchestré au MoMa de très belles expositions, et notamment une formidable rétrospective Gerhard Richter en 2002, avait annoncé, avec sa thématique « Penser avec les sens, sentir avec l’esprit », vouloir réconcilier les « séparations factices » entre le sensuel et l’intellectuel, et pour ce faire « donner du plaisir là où il y a quelque chose de caché pour réfléchir ».
Une belle profession de foi peu suivie d’effets, alors que paradoxalement ce n’est pas le choix des artistes qui est en cause.
Parmi les 100 sélectionnés, tous ne sont pas intéressants, heureusement ! Mais force est de constater que l’exposition réserve de beaux moments. Le jeune italien Paolo Canevari par exemple, qui avec « Bouncing Skull » (2007) livre un film remarquable et glacial, où un enfant joue au football avec un crâne humain devant un édifice presque détruit.
Le colombien Oscar Muñoz revient subtilement sur les disparitions politiques avec une suite de cinq écrans vidéos. Dans son « Proyecto para un memorial » (2003-05), un pinceau dessine à l’eau sur du béton des portraits qui s’effacent très rapidement sous l’effet du soleil.
La redécouverte de l’argentin León Ferrari est savoureuse. Particulièrement son Christ crucifié sur un avion militaire qui tombe en piquée, qui n’a pas pris une ride (« La civilización occidental y christiana », 1965).
Avec « Tijuanatanjierchandelier » (2006), le regretté Jason Roadhes livrait une belle et vaste installation où mots en néon et objets traditionnels évoquent les migrations.
De bonnes œuvres donc, et un accrochage impeccable. Mais l’ennui avec cette exposition c’est qu’à quelques exceptions près, telle une somptueuse série de six toiles très complexes de Richter (« Cage 1-6 », 2006), le rideau de perles dorées de Felix Gonzalez-Torres, ou le film d’animation très psychologique de la japonaise Tabaimo, où une main s’aventure dans une maison de poupée pour en faire et défaire l’organisation (« Dollfullhouse », 2007), on perçoit peu les notions de plaisir et de sensualité annoncée par le commissaire.
Son exposition fonctionne plutôt comme un réquisitoire accablant et sans échappatoire sur la déliquescence du monde contemporain. S’y enchaînent la guerre, les rétentions, les crises économiques, les problèmes migratoires, la faillite des utopies, l’enfermement et la surveillance… Tout cela sans que jamais, où presque ne pointe un relent d’optimisme. La traversée du long arsenal confine donc, au bout d’un moment, à l’épreuve.
Storr est américain. Il ne fait nul doute qu’il est profondément atterré et marqué par le comportement de son pays et son enlisement dans le bourbier irakien, et que cela influe sur sa perception du monde et du regard qu’y portent les artistes.
Reste que ce pessimisme exacerbé n’est pas la seule réponse à y apporter. Nombreux sont les artistes, à traiter de sujets difficiles sur le fond d’une manière plus légère dans la forme. N’importe quel visiteur est à même de faire la part des choses et de savoir que le monde dans lequel il vit ne tourne pas rond et comporte un lot phénoménal d’ignominies sans nom. Le seul constat, même s’il est salutaire, ne suffit pas à faire avancer la prise de conscience. Car la seule dénonciation, pessimiste et accablante, ruine l’idée qu’il y a encore des raisons d’espérer, des possibilités d’intervenir. On veut pourtant encore le croire.
Paolo Canevari
Bouncing Skull
2007
Video
Cortesy; Paolo Canevari, Galleria Christian Stein, Milano
Leon Ferrari
La Civilización Occidental y Cristiana
1965
Tecnica mista / Mixed media
cm 200x120x50
Colección Alicia y León Ferrari
Photo: Ramiro Larraín
Courtesy of the artist
NB : Contrairement à ce que j'annoncais dans la chronique du 9 juin, le Lion d'Or récompensant le meilleur pavillon, qui en 2005 avait récompensé Annette Messager, sera our la première fois décerné au mois d'octobre.
Le photographe malien Malick Sidibé a toutefois reçu un Lion d'Or pour l'ensemble de sa carrière, qui lui a été décerné le 10 juin dernier.
Saturday, 16 June 2007
ART BASEL 2007
Du 13 au 17 juin 2007
www.artbasel.com
La 38e édition de la foire Art Basel – toujours considérée comme la plus importante au monde - s’est ouverte le mardi 12 juin, pour une journée réservée aux collectionneurs et aux professionnels, dans une ambiance euphorique.
Jamais les allées n’avaient été vues aussi encombrées dès 11 heures le matin, à l’ouverture des portes. Preuve que le contexte actuel est très favorable à un marché en pleine santé, encore dopé par les résultats astronomiques des ventes d’art contemporain de New York, à la mi-mai.
Public nombreux, et achats également. Il faut dire que la qualité était au rendez-vous, avec de beaux morceaux à emporter ici et là.
Beaucoup de galeries réservaient des pièces intéressantes, si ce n’est marquantes : un somptueux dessin préparatoire de Charles Ray chez Gladstone (New York), des touchantes peintures de Michaël Borremans chez Zeno X (Anvers), la confirmation du talent de la jeune Kathy Moran avec ses tableaux abstraits chez Modern Art / Stuart Shave (Londres et Andrea Rosen (New York), une magnifique installation mêlant photos et film 16 mm réalisée par David Lamelas à Milan en 1970 (Jan Mot, Bruxelles)… Sans oublier le stand de Eva Presenhuber (Zurich), mis en scène par l’artiste Urs Fischer, qui y a créé une véritable circulation avec un jeu de portes.
La liste des œuvres de qualité serait trop longue à égrainer, d’autant qu’il faudrait y rajouter le moderne, toujours de très grande qualité à Bâle. Ce qui en fait une foire à l’ambiance muséale, tant y abondent les chef-d’œuvres inattendus. Dans ce domaine, le londonien Helly Nahmad a frappé fort, avec un stand dédié à Picasso comportant pas moins de 20 toiles, toutes du début des années 1960, avec en position centrale son fameux « Déjeuner sur l’herbe ».
Si le volume et le montant des transactions dans le moderne ont été eux aussi excellents, il est frappant de constater que l’on y a beaucoup plus pris son temps pour conclure. C’est bien vers le contemporain que désormais se ruent en premier lieu les acheteurs. Signe de la fascination toujours croissante qu’exerce ce secteur, et du véritable facteur d’investissement qu’il représente, pour un auditoire toujours plus large.
Saturday, 9 June 2007
Impressions de Venise
La Biennale de Venise - Pavillons nationaux
www.labiennale.org
La 52e Biennale de Venise vient d’ouvrir ses portes. Fleuve comme à l’accoutumée, elle réunit cette année, autour de l’exposition internationale installée à l’Arsenal, « Penser avec les sens, sentir avec l’esprit », du commissaire général Robert Storr, 76 pays – un record ! - présentant ce qu’ils estiment être le plus pertinent de leurs créations respectives dans les pavillons nationaux des Giardini.
Si le Lion d’Or – qui sera connu le 10 juin - devait être décerné en suivant l’applaudimètre des professionnels, le canadien David Altmejd et la polonaise Monika Sosnowska tiendraient la corde.
Dans un bâtiment couvert de miroirs, le premier, âgé de 32 ans, a conçu un parcours tout à la fois âpre et festif, sorte de forêt où le surréalisme aurait percuté les interrogations et les malaises humains et sociaux du XXIe siècle. Une ambiance étrange, très narrative et onirique, où se mêlent des créatures hybrides dans un environnement troublant qui, indéniablement, met le doigt sur des questions essentielles.
La seconde, a inséré dans le pavillon polonais une installation architecturale en métal, comme une structure de circulation intérieure avec passerelles et escaliers, qui ne mènent à rien, d’autant qu’ils croulent littéralement, déformés par les pressions de l’édifice. Une belle réussite !
Nouveauté cette année, la présence d’un pavillon italien autonome, qui donne la parole à deux générations. Giuseppe Penone, fondateur de l’Arte povera, envoûte littéralement avec une salle au sol de marbre brut et totalement irrégulier qui se dérobe sous les pas, et dont les murs sont couverts de peux d’animaux tannées qui deviennent comme du tissus. Quant à Francesco Vezzoli, avec « Democrazy », il met en scène les élections américaines à venir en présentant face à face, dans une ambiance de meeting, les clips de promotion des deux candidats, joués par Sharon Stone et Bernard-Henri Lévy. Conseiller par de communicants politiques américains, l’artiste brouille les messages : simple et efficace.
L’hommage rendu par les Etats-Unis à Felix Gonzalez-Torres est, comme attendu, sensible et émouvant. Touchante également, l’installation sculpturale et vidéo du pavillon néerlandais où Aernout Mik s’empare des problèmes migratoires et de leurs lots d’arrestations, de rétentions et de drames humains. Le tout sans aucun pathos mais avec une belle acuité.
Autre pavillon marquant, celui de la Grande-Bretagne où Tracey Emin surprend avec un accrochage remarquablement juste et précis, où comme toujours, l’artiste aborde les questions de la féminité et de la sexualité. S’y croisent sculptures – des tours étranges et instables faites de lattes de bois -, dessins et peintures. Ces dernières sont d’autant plus remarquables que s’en dégagent deux niveaux de lecture. Un premier qui en fait une peinture abstraite formaliste vaguement convaincante, et un second d’où émergent des traces ténues qui permettent d’entrer au cœur du tableau.
Le pavillon français déçoit. Sophie Calle s’est pris les pieds dans le tapis de son propre système. Elle a demandé à 107 femmes de commenter dans une courrier une lettre de rupture qu'elle avait reçu. Si l’idée de départ était bonne, les réponses sont esthétisées à outrance, chacune mise en scène avec un procédé graphique différent. L’ajout des photos de chacune des protagonistes, mise en scène dans ce qui prétend être son quotidien rend le tout, au choix, indigeste ou anecdotique.
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