L'analyse de la Sonate Op. 111. Pièges et désinformation.
Cet article est destiné à compléter l'excellente déscription de la Sonate Op.111 de Beethoven, dans Wikipedia. Elle explore, ce qui est le propos du blog, les décalages flagrants entre la source (ici le manuscrit original, d'ailleurs respecté dans les éditions contemporaines, dites Urtext) et les interprétations. L'édition qui a servi de référence est celle d'Arthur Schanbel chez Curci à Milan. On se demande pourquoi de célèbres pianistes ont cru bon de substituer leur vision personnelle de l'oeuvre à la volonté clairement exprimée de l'auteur. La réponse à cette question dépasse donc la simple analyse de l'oeuvre. Dès à présent, pour épargner au non spécialiste, les détails souvent très techniques de notre investigation, tirons tout de suite des éléments de réponse.
1° . La divergence avec l'original est purement accidentelle : mauvaises éditions, oubli, routine, mimétisme par rapport aux autres interprétations. Il s'agit alors non pas d'une désinformation (qui obéit à une intention non avouée), mais d'une simple erreur. C'est le cas de certaines versions qui omettent une mesure lors de la reprise du 1er mouvement. Cependant ce n'est pas le cas de Georges Pludermacher, un des plus scrupuleux et talentueux interprètes, qui me déclarait "qu'il l'entendait ainsi".
2° . Nous touchons à la cause majeure des déformations : le sentiment intérieur du pianiste, la conception qu'il se fait de la sonate. Quelquefois, la vision est tellement magistrale, qu'on ne resiste pas à sa force d'évidence. Lorsque Backhaus interprète l'Op. 111, son autorité est telle qu'on croirait entendre Beethoven lui même au piano. Une telle passion, un tel naturel, emportent toute critique de détail. Cela explique sans doute, la réputation de sérieux un peu scolaire que Backhaus a pu susciter par rapport à Kempff, alors que ce dernier est beaucoup plus respectueux de la partition. Des deux, c'est Backhaus le plus subjectif, le plus passionné.
On peut justifier cette position, en se souvenant que Beethoven était sourd, et qu'il avait dit à MArie Bigot, à propos de l'Appassionata, qu'elle la jouait mieux que ce qu'il avait composé. Il est permis de penser, que le maître de Bonn aurait approuvé l'exécution de Backhaus, et qu'en l'entendant, il aurait apporté des retouches à la partition. Mais ceci est purement conjecturel.
3°) Il est cependant un cas où cette position est indéfendable : c'est lorsque la déviation, loin d'être une simple licence, qui ne dérangerait que les puristes, porte atteinte à la structure et à la cohérence de l'oeuvre. Ou encore, lorsqu'elle supprime des détails (pertes d'information) et ajoute un maniérisme qui en altère la compréhension (bruits et distorsions).
4°) On peut parler de désinformation au sens technique du terme, lorsque l'intention est patente, et obéit à une stratégie préméditée de conquête du public ou des critiques. C'est le plus fréquent des cas. On remarque en effet que les déviations vont toujours dans un sens unique : la banalisation, la suppression de tout ce qui peut déranger un public conservateur, notamment des contretemps rythmiques, des dissonances brutales, des accents placés là où on ne les attend pas. On peut ajouter à cela, l'escamotage des voix moyennes, la simplification des nuances et des variations de tempi.
Nous venons d'énumérer les pertes d'information, mais on peut également mentionner les bruits, où l'artiste ajoute des notations de son cru (Glenn Gould est un exemple de maniériste). Vladimir Horowitz, fait ainsi ressortir une polyphonie extraordinaire, toute une palette de nuances, des accents surprenants, qui ne sont pas tous dans la partition. Quelquefois, ces effets enrichissent l'oeuvre, quelquefois il la trahissent, toujours ils séduisent et fascinent.
5°) Il faut se garder de l'obsession de la trahison musicale. La plupart des oeuvres sont parfaitement exécutées et d'ailleurs ne diffèrent que par des détails minimes qui font les délices des mélomanes et des critiques, pour qui la musique réside dans la délectation des comparaisons. Des sonates comme la Waldstein, des symphonies comme la Pastorale ne posent pas de problèmes de compréhension pour le professionnel et même pour le grand public averti. Il en est tout autrement pour des oeuvres d'une grande complexité, qui font éclater les cadres conventionnels par leut subjectivité, ou par leur originalité. La Sonate Op 106 est un exemple d'oeuvre injouable (Notamment les dernières mesures sont purement conceptuelles et bien qu'Arthur Schnabel indique la manière de les interpréter, il en est parfaitement incapable dans ses enregistrements, comme d'ailleurs tous ses collègues, à ma connaissance du moins). Dans la Sonate Op 111, on a au moins un cas de musique non seulement injouable, mais inconcevable : ce sont les mesures notées (a) dans l'édition commentée d'Arthur Schnabel. L'artiste écrit : La division entre groupes de longueur variable sont conformes au manuscrit ! (Point d'exclamation de l'artiste).
Le but de cette analyse et de faire ressortir ces différentes déviations et d'en discuter, la nature, le sens et la portée. Elle nous amènera à approfondir notre décodage de l'oeuvre et de nous approcher du coeur de la création.
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