..... L'argument
(Une communication à mes amis
texte rédigé le 28 décembre 2005
Apocalypse 2000 est une version d'une sorte de matrice appelée "l'Entretien" ou "Apocalipsis cum figuris". Ce dernier titre fait allusion au texte originel, qui ressemble à un manuscrit à peintures du Moyen âge ou de la Renaissance italienne comme à Le Docteur Faustus, le chef-d-œuvre de Thomas Mann.Le compositeur Adrian Leverkuhn, héros de l'histoire, a composé un oratorio terrorisant nommé "Apocalipsis cum figuris" en référence aux gravures de Albrecht Dürer.
Le manuscrit original de L’Entretien comporte plus de 2000 pages grand format calligraphiées, illustrées ou manuscrites. De ce prototype, plusieurs "produits dérivés" peuvent être tirés dont un scénario vidéo en hypertexte que j’ai nommé : Apocalypse 2002.
L'inspiration
L'argument le plus proche d’Apocalypse 2002 est sans doute la trilogie de "Fondation" d’Igor Asimov. D'ailleurs une des entités de "Apocalypse 2002" se nomme précisément: Fondation. Ce qui rapproche les deux histoires, est la description d'un empire en déclin, hyper-centralisé et ossifié (Trantor) combattu par un petit groupe de savants conduits par un sage matheux, fondateur de la psycho-histoire : Hari Seldon. Autre point commun: l'existence d'une « deuxième fondation » cachée et agissant sans laisser de traces, et d’un ennemi mystérieux et télépathe: le mulet, aussi insaisissable que Zorro et que Fantômas.
Ce qui m’oppose à l'illustre trilogie est ma répugnance pour ce pesant cadre galactique anachroniquement peuplé de vaisseaux spatiaux et de chevaliers en armures. Il me semble qu’on peut s’en passer pour obtenir un récit d’étonnement. Il suffit simplement de regarder autour de nous. La quincaillerie de la science fiction me semble terriblement puérile et kitsch lorsqu’on la compare aux choses étranges et invraisemblables qui nous assaillent à chaque instant. Il faut le génie d'un Kubrick et d’un Clarke pour éviter l'écueil du mauvais goût.
Pour ma part, je me suis contenté d'analyser et de formaliser les tendances lourdes de cette fin de siècle pour bâtir mon récit. Depuis mon adolescence, témoin involontaire de mon temps, j'ai assisté aux errements des peuples guidés par les dragons intellectuels à la voix d'agneau. J'ai vu les manifestations monstres contre l'exécution des Rosenberg, déferler comme un tsunami sur le monde tout entier, appuyées même par le Pape. (Note : on sait aujourd'hui qu'ils avaient trahi pour des raisons financières) J'étais persuadé qu'ils étaient coupables. Ils l'étaient.
J'ai été de ceux qui se sont élevés contre Lénine, Staline, Kadhafi, Castro, Mao, Pol Pot, la folie de Mai 68 et j'ai été mis comme mes semblables au ban de l'intelligentsia. J'ai milité pour la décentralisation, pour une micro-informatique à la portée de tous, pour le libéralisme humaniste, pour l'élévation du niveau culturel des populations. C’était hurler dans le désert.
J'ai assisté impuissant à la fin des trente glorieuses, à la montée du chômage, à la bureaucratisation de l'Europe, à l’islamisation et à la trotskisation rampante de la France. J'ai été taxé de pessimisme outrancier et ma voix a été étouffée.
Les plaintes des victimes de l'oppression bureaucratique sont aujourd'hui recouvertes par les vociférations triomphantes des adorateurs du foot. L'honneur de la France tient à un ballon. Car les dictatures qui ne disent pas leur nom se sont de tous temps appuyées sur les jeux et les sports de compétition pour séduire et fanatiser les masses. Tocqueville, Orwell, et Kravtchenko ont été ignorés, et certains se sont suicidés comme Ivo Levi, Arthur Koestler et Stefan Zweig, désespérés de ne point être entendus.
Apocalipsis cum figuris, est une somme quasi médiévale que ma formation de systémiste et ma position d'observateur marginal m'ont permis de synthétiser. Si je l'avais destiné à un public même imaginaire, ce document eût été édulcoré par la complaisance, ou freiné par une inhibition involontaire. La description sans fard d'un empire finissant, ne peut qu'épouvanter ou décourager les contemporains du cataclysme. Ce n'est pas pourtant pas mon texte qu'il faut brûler, mais ceux qui l’ont inspiré.
Outre son contenu apocalyptique, aussi perturbant que les Satyricon de Petrone et de Fellini, il présente d’autres handicaps qui en interdisent la diffusion. Notamment une densité excessive et une vision du monde exagérément oblique. Comment éviter ces écueils ? On ne peut représenter d'une manière simple une réalité compliquée sans la trahir et lui faire perdre sa substance. En découper la maquette en secteurs convenus: l'art, la politique, la biologie ou l'économie n’est pas moins mutilant. Mais où trouver le lecteur idéal, qui oserait parcourir un réseau dense de quelques milliers de pages bourré de références à l'Art de la Fugue, (Note : de J.S.Bach) au théorème de Gödel, à la loi de Pareto ou à la problématique de Marcel Duchamp? Pourtant tous ces matériaux disparates, venus de disciplines différentes prennent place dans cette toile mystérieuse que les chinois nomment "veines de dragon",réseau infiniment plus subtil que le Web. Douglas Hoffstätter dans son célèbre essai "Gödel, Escher, Bach, The Golden Braid" en a donné une approximation un peu prosaïque mais adaptée à ses lecteurs américains.
Plusieurs de mes ouvrages et l'essentiel de mes cours ont été consacrés à ce tissage d'araignée. Je me suis résigné volontairement à travailler en marge du milieu universitaire, des colloques et des revues scientifiques. J'y aurais gagné la reconnaissance, mais de quoi? La notoriété académique, souvent si décevante, m'eût détourné de l'authenticité de mon propos à l'instar de la recherche du succès commercial qui vérole les oeuvres de tant d'artistes. Et de toute façon, ma réputation eût été instantanément ruinée par ma pensée hérétique, sale, imprécise, choquante, politiquement incorrecte et aussi inconvenante que la vie elle-même.
Le prix Nobel Jacques Monod écrivit dans son ouvrage-culte Le hasard et la nécessité, que le passage de l'ARN à l'ADN était "impensable". L'imaginer eût été s'attaquer aux fondements de la biologie moléculaire.
L'impensable s'est réalisé, mais la biologie moléculaire est toujours debout. Mon texte n’est pas moins impensable pour les Monod qui continuent de nous régenter, inconvenant pour tous ceux qu'Orwell, Koestler et Eccles ont choqué, en somme infréquentable pour tous les gens convenables. C'est pourquoi je l'ai écrit à huis clos, pour un lecteur imaginaire. Cet entretien ultra confidentiel, tirant substance de cette confidentialité même, je l'ai précisément nommé L'Entretien entretien avec mon double.
Cela dit, pourquoi écrire une version condensée : Apocalypse 2002? Peut-être parce que j'éprouve le besoin de faire connaître ce que j'ai tracé, parce que je pense que d'autres que mon double pourraient y trouver plaisir, intérêt et pourquoi pas, un point de départ à de nouveaux débats? Mais au préalable il fallait couler ce magma dans une forme assimilable. Or cette forme existe, elle s'adapte parfaitement aux caractéristiques du manuscrit original : sa complexité, son hétérogénéité, la dureté insoutenable de certains de ses passages... et évidemment, son étendue de plusieurs milliers de pages. Elle permet d'en surmonter les handicaps. C’est l’hypertexte.
Le scénario en hypertexte
L'hypertexte comprend plusieurs histoires superposées et entrelacées à la manière de ces "soaps opéras" de mauvaise réputation. Mes amis et mon fils, qui ingurgitent allégrement des navets comme le "Titanic" et écoutent des immondices musicales sans sourciller, s'étouffent d'indignation de me voir suivre Young and Ruthless. (Les feux de l'amour, en bonne traduction française). On y emploie pourtant des recettes anti-zapping que je voudrais bien savoir maîtriser, ces fameux « cliffhangers ».
On trouve dans A2002 tout d'abord un soap opéra, sorte de feuilleton comprenant plusieurs actions distinctes pouvant quelquefois se croiser et s'entremêler On y rencontre des lieux comme le salon de la mécène Polly Reubenstein, 1010 fifth avenue à New York, le bureau du doyen de Fontanead University à Santa Samarea, Californie, ou le monastère des Capucins à Montfort l'Amaury, France. Il s'y trouve aussi des endroits imaginaires, comme les antennes de Spectre. (Vous connaissez James Bond? Alors retrouvez dans Apocalypse 2002 son principal adversaire.)
Comme dans tout feuilleton qui se respecte, il y a de la pub et des dispositifs anti-zapping. Dans Apocalypse 2002 la pub est évidemment truquée.C'est du factice, plus faux que nature. L’anti-zapping c'est la PUB qui survient quand les amants adultères vont accomplir l'irréparable, que le mari approche et que ...
Heureusement, dans un hypertexte, à la différence des enregistrements de feuilletons, vous pouvez non seulement sauter la pub mais aussi les épisodes qui ne vous intéressent pas. Ceux qui suivent les épisodes sentimentaux à l'eau de rose, ne seront pas frustrés par les interférences politiques de démagogues en délire, et ceux qui suivent une intrigue policière, seront heureux de ne pas subir un ralentissement de son action par des considérations métaphysiques.
Dans un hypertexte, lorsqu'une intrigue vous intéresse, vous pouvez approfondir ses épisodes en recourant à des zooms ou des liens. Le zoom remplace une ligne de description par un paragraphe et vous pouvez même y adjoindre une image de musique ou une animation, afin de justifier le "cum figuris" du titre original.
Les liens renvoient à des notes de lectures, des paragraphes ou des citations et à des dictionnaires et atlas. Il y en a beaucoup dans Apocalypse 2002 : par exemple un jeu de tarots, un atlas iconographique, une encyclopédie et même un (faux) traité d'occultisme: le Nécronomicon cher à Lovecraft.
Tous ceux qui connaissent le maniement d'un micro-ordinateur pourront se repérer.Bien que le texte original de L'Entretien soit écrit en trois langues:français, anglais et italien, c'est en américain que l’on devrait rédiger le scénario original. Je cherche l'équipe qui pourrait m'aider à réaliser mon script, une partie de la musique et l'imagerie. Je ne possède que l'argument, et il est principalement rédigé en français.
Enfin, comme dans le château de Barbe Bleue il y a dans le logiciel quelques pièces interdites aux âmes sensibles et aux enfants de un à quatre vingt quinze ans. Ces zones sont marquées par des signes équivalents à nos X et protégées par des mots de passe. On ne peut y accéder, qu'après avoir remporter des épreuves et totalisé des points, comme dans les jeux vidéo. On nomme cela l'ésotérisme. Il est des informations qu'il faut mériter et des parois que l'on doit escalader.
J'oubliais! A2002 est une structure ouverte. Elle peut évoluer. Tout d'abord l'histoire pourra se poursuivre après ma disparition par d'autres que moi. Une nouvelle trilogie de Fondation vient de paraître avec l'assentiment de l'Asimov Estate. Dans A2000 certains des "salons" de l'oeuvre sont interactifs et ouverts. Rien ne vous empêche de bavarder avec les héros, de les contredire, ou d'ajouter des preuves nouvelles à leurs argumentations. Bien souvent la réalité que vous rapporterez, dépassera ma fiction.
Bruno Lussato. Paris, 1998
NOTE. Ce texte est ancien et périmé. Je me contente pour l’instant de sauver au hasard quelques pages du manuscrit original à l’intention d'amateurs éventuels. Depuis que ces lignes ont été écrites les 2000 pages sont devenues 4000. J’ai abandonné l’idée de structurer ce magma et encore plus d’en réaliser un hypertexte, notion futuriste démodée comme toutes les anticipations scientistes. Qu’en reste-t-il ? Un ouvrage satirique faussement académique commis par le célèbre inconnu Kevin Bronstein, professeur à Genoa City. La Bibliothèque Nationale de France, m’a fait l’honneur d’admettre le texte calligraphié original dans un lieu auguste où il côtoiera dans la paix des cimetières, les manuscrits du moyen âge et des poètes illustres de notre temps.
Paris. Le 28 décembre 2004, époque de tremblements de mer. Revu le 29. v.2
Imprimé le 1er Janvier 2005. BLF DG.
L'entretien avec Olivier A***
Olivier me posa la question de la genèse de cet ensemble protéiforme et qui semble à la recherche de sa forme. Je dus faire appel à mes souvenirs pour lui répondre, tant Apocalypsis cum Figuris est indissociable de ma vie. En limitant au maximum des données biographiques, dont on sait qu'il me répugne de les étaler en public, j'en dirai l'essentiel susceptible d'éclairer la réponse à la question d'Olivier.
Prolégomènes autobiographiques
Je viens du XIX siècle. Pendant la guerre, je fus acculturé dans la doxa bougeoise de la Comtesse de Ségur, les contes d'Andersen et la vision du dictopnnaire du XIX siècle Pierre Larousse à quoi il faut ajouter la fréquentation quotidienne des grands classiques, de Shakespeare et de Dante à Molière et Victor Hugo.
J'ai subi une jeunesse très solitaire au cours de laquelle après mon travail d'enseignant au CNAM et de conseil d'entreprises, mes soirées étaient consacrées à approfondir les oeuvres du répertoire musical. Les week-ends étaient consacrés à parcourir dans tous les sens, à pied (je ne sais pas conduire), les alentours du hameau de Recloses, au sud de Fontainebleau, où je logeais dans une modeste auberge datant de 1820. Tantôt je perdais dans le labyrinthe de rochers aux formes étranges qui hantent la forêt, je me croyais alors dans un makemono chinois, tantôt j'errais dans la plaine vallonnée qui s'étend de la lisière sud de la forêt jusqu'à Nemours et Larchant. Si j'en parle, c'est que ces paysages oniriques etaient déserts. Totalement déserts : ni hommes, ni voitures, ni même animaux. La seule présence vivante était le bruit du vent, et de ce bruit, de ce vide, de ce silence surgissaient des voix lointaines, des fantômes de souvenirs, qui s'organisaient, comme des grumeaux d'une barratte s'agrègent en une motte de beurre blanc. Le soir, dans la pénombre de l'auberge de la Glandée, je traçais en calligraphie, mes voyages dans le mystérieux pays. Ces chants de solitude alternaient avec des "salons imaginaires", qui ne l'étaient en aucune manière. Je fixais des conversations, des réunions, des dialogues, prélevés dans mon expérience quotidienne, comme le collectionneur épingle ses papillons dans des cages vitrées. Eté comme hiver, pendant quinze ans je sillonnai ainsi ces austères paysages propres à la rêverie, alternant avec des incursions dans le Périgord Noir.
Mai 68, crise et convalescence, paysages de solitude
Puis survint le choc. Un choc émotionnel et sentimental, suivi par des répercussions physiologiques et écho d'un autre choc : la découverte de la bêtise universitaire, lors de Mai 68. Au sortir de la période de crise, en convalescence, je me promenai sur les plages désertes et désolées des côtes de la Manche, où flottait le spectre des soldats américains tombés à Omaha Beach. La mer était grise, la grève sinistre, les falaises boueuses, et le vent, toujours ce vent, me traversait, faisant surgir des voix et des lambeaux d'images. Je commençai alors à écrire ce qui devait constituer la première partie de L'Entretien. Ce noyau de départ, que j'intitulai Prélude à l'Apocalypse, attira les fragments déja composés à Recloses et s'organisa presque indépendamment de ma volonté. A partir de ce moment, s'installa progressivement un processus d'accouchement de séquences qui semblaient surgir independamment de ma volonté, et qui se regroupèrent en une série transcrite dans deux petits in-16 reliés d'une modeste toile verte. Mon état d'esprit en ce temps-là, était celui d'un vieillard, témoin des bouleversements d'une époque de paroxysme extrêmes, de tremblements idéologiques et de remise en question de toutes les valeurs traditionnelles. Certes, de tels processus ont toujours existé, la fin du XVe siècle, la Révolution française, la grande guerre et l'après 45, ont jalonné l'histoire comme autant de solutions de continuité. Mais Mai 68, la globalisation, la toute puissance des médias et l'emprise de l'Internet, la violence de la contre-culture, tout un travail de sape, aboutit non pas au changement de notre civilisation occidentale, mais à son effondrement.
Apocalypse now
Ce n'était pas la fin de l'Histoire, bien au contraire, c'était le commencement d'une nouvelle Histoire, c'était la fin des valeurs occidentales et le commencement des totalitarismes religieux islamistes. Les notions de bien et de mal, de beau et de laid, de vrai et de faux, de progrès et de barbarie, inculquées par le Pierre Larousse et la comtesse de Ségur, sans compter l'exemple de mes parents, se fondaient, s'estompaient, voire s'inversaient. Les catégories d'espace, avec la mondialisation, et de temps, avec l'accélération des mutations en Occident, se lezardaient. Des pays comme la Turquie, ou le Maghreb, qu'on m'avait appris faire partie de l'Asie mineure, ou de l'Afrique, se voyaient projetées en Europe alors que la Russie en était exclue. Le canular de Duchamp promouvant comme objet d'art un urinoir, et affublant la Joconde d'une paire de moustaches, devenait phénomène de société, doxa des élites, nouvel académisme. Le monde à l'envers. Ajoutons à cela le relâchement des moeurs, l'abandon de toute décence, le règne non déguisé de l'argent, du pouvoir et de la haine, et nous avons tous les ingrédients pour imaginer une apocalypse de fin des temps, Apocalypse 2000. Le mal domine si profondément, que le seul fait de s'indigner vous expose à des accusations infâmantes, mieux, à une diabolisation. Et je me voyais le témoin muet de ces bouleversements, impuissant, étouffant sous la chape de conformisme anticulturel. Je n'avais pas encore imaginé la théorie des noeuds sémantiques qui devait me permettre une approche plus subjective des événements.
Le codex Pepys
Je ressentis le besoin d'accorder à cette apocalypse de notre temps, à une présentation qui évoque les manuscrits à peinture du moyen âge à la renaissance
Le déclic fut donné par des livres de pages blanches imitation des journaux de Samuel Pepys, trouvés chez Rizzoli à New York et dont la publicité prétendait que "tout ce qui manque pour en faire un chef d'oeuvre, c'est vous!"
Modèle de calligraphie humaniste pour l'Entretien, par
Claude Mediavilla.
J'avais toujours pratiqué l'écriture formelle, mais j'avais besoin d'atteindre un niveau relativement professionnel afin d'acquérir la maîtrise de la demi-onciale irlandaise et de la chancellerie humaniste. J'eus la chance d'avoir pour mentor, une des plus grands calligraphes mondiaux : Claude Mediavilla, qui m'apprit à me servir d'une plume d'oie et me fournit les modèles d'écriture humaniste de L'entretien.
Chaque page calligraphiée et ornée de peintures à la gouache, me coûtait une demi-journée de travail assidu et concentré, et quelques millièmes de degré d'acuité visuelle. Au fur et à mesure que je continuais, le contrôle du ductus devenait automatique, puis, dans le second tome du codex pepys, la forme commença à évoluer. Par exemple j'utilisai l'encre de chine sur graphite couvert par un fixatif. Ce noir profond sur fond d'ardoise miroitante était impossible à reproduire. Il en était de même pour les signes en or rouge, vert ou brun, sur fond de bronze. Les images évoluèrent et se transformèrent en reproductions de peintures contemporaines : Estes ou Kosuth,accompagnant des réflexions sur l'art,qu'on retrouve dans ce blog dans la catégorie "Art contemporain". Une de ces séquences est reproduite sous le nom "Dans la réserve".
Une page du codex Pepys, tome II
Puis, soudain, au beau milieu d'une page, l'inspiration qui m'avait dicté ces feuillets tomba en panne. Il m'était tout simplement impossible de continuer. Aucun texte ne se présentait à mon esprit. Fin de parcours.
Rythmes
Je supposai que la lenteur de réalisation de l'écriture humaniste formelle, s'opposait au rythme plus rapide de "la dictée". La lenteur du tracé est un élément important de l'accouchement des messages venus de l'inconscient. D'une part le rythme égal et la concentration sur le signe, vous mettent dans un état de réceptivité quasi hypnotique, analogue à celui qui accompagne les préparatifs lors de la cérémonie du thé. D'autre part, on a le temps de réfléchir au mot juste, à l'équilibre de la phrase, et de préparer les premiers mots de ce qui va suivre. De toute manière on n'a lorsqu'on écrit ainsi sous l'inspiration qu'une visibilité très faible sur les phrases qui vont suivre. Mais il y a des limites à la lenteur. Si elles sont dépassées, l'inspiration s'effiloche, des images et des idées parasites s'intercalent dans le ductus et le courant est rompu. Au fond c'est presque un état mediumnique, à la différence, que le fantôme se trouve dans les replis de l'inconscient. C'est pourquoi le texte projeté sur le papier n'est qu'un contenu manifeste du véritable message, le contenu latent. Comme un rêve, L'Entretien ne livre qu'une information de surface. Moi-même, ne pus découvrir que plus tard, et encore pour certains passages, l'information derrière l'information.
Le codex "éléphant"
Ce mot ne figure même pas dans le petit Larousse sinon d'une manière restrictive. Il désigne les parchemins du moyen âge reliés en cahier, par opposition aux rouleaux. Par extension on exprime par ce terme un livre manuscrit ayant une valeur spirituelle, artistique ou initiatique. On désigne ainsi par codex les cahiers manuscrits de Leonard de Vinci (comme le Codex Atlanticus acheté par Bill Gates).
Dans le cas présent le codex éléphant est réalisé à partir de grandes feuilles d'un papier très spécial, nommé peau d'éléphant et diffusé par Stouls. Sa texture veinée, son toucher satiné, sa consistance souple et ferme, le rapproche du parchemin. Ses couleurs varient de l'ivoire au noir profond, du rouge pompéien au gris taupe, et sollicitent l'imagination du scripteur. Pliées en quatre, ainsi qu'il se doit d'un codex, et reliées en albums de 35 cm par 30 cm, ces feuilles devinrent mon moyen d'expression naturel tout au long de ces années. Plus de quatre mille pages furent réalisées. L'apparition progressive d'extraordinaires moyens d'écriture, tels que les gels de Pilot, le mica de Pentel et les feutres gouachés Uniposca,perméttaient des effets très variés, et surtout cette écriture sur fond noir qui coûta tant d'effort aux calligraphes des heures de Charles le Téméraire, codex en parchemin teinté de noir, aujourd'hui à Vienne. Il faut y ajouter la gamme des feutres calligraphiques or et argent, et surtout la "parallel pen", issue de la plus haute technologie de Pilot et qui permet une précision analogue à celle de la plume d'oie.
Ecrire sur le papier "éléphant" me procurait une jouissance due à trois facteurs favorables : 1. la texture du papier se prêtait à tous les mediums et notamment aux feutres metalliques et aux gels pastel. 2. La vitesse permise par l'association des gels et des gouaches, me permettait de soutenir un rythme idéal et souple, épousant fidèlement la vitesse de l'apparition des messages. 3. L'apparition constante de nouveaux outils, de nouvelles couleurs, de nouvelles encres, l'adjonction de collages, libérèrent mon imagination formelle et du même coup influèrent sur le texte. Certains passages de L'Entretien ,incompatibles avec les matériaux classiques du codex Pepys, n'auraient jamais pu voir le jour.
Les feuillets du codex ressemblaient de plus en plus à des images fixes de séquences télévisées. On compte à l'heure actuelle 25 volumes comprenant 424 séquences et plus de 3000 pages. Il faut y ajouter les quatres volumes initiatiques, sortes de sommes apocryphes, dont une seule est terminée et les autres sont en cours, et de nombreux annexes.
Le sort de L'Entretien
Comme je l'ai dit, cet ensemble était resté inconnu même de mes proches. Je ne me souciais nullement de le voir diffusé, ni de le montrer. Cependant une préoccupation commença à me tourmenter. Ne pouvant soumettre à évaluation cet ensemble encombrant de codex, il m'était impossible de savoir s'il méritait d'être montré ni diffusé. Je me suis toujours méfié de l'amateurisme et je craignais de tomber dans le travers de ceux qui se prennent pour des créateurs. Mais une chose est de douter d'un travail, autre chose est d'accepter sa destruction. Valable ou pas, L'Entretien était le moyeu de ma personnalité, l'expression la plus profonde de tout ce que je sens et que je ressens, de ma pensée et de mon comportement. Je ne puis le renier et accepter sa destruction après ma disparition, c'est mourir une seconde fois. Mais à qui le laisser? Qui pourrait avoir intérêt à lire sérieusement ces milliers de pages? Je pensais tout naturellement à mon fils, mais celui ci éprouvait une réticence compréhensible due au fait qu'à l'âge de quinze ans, il avait lu en cachette les passages réservés aux adultes aguerris. Il en avait retenu une impression pénible. Pluton domine cette Apocalypse et certains passages dépassent en horreur les films les plus terrifiants. Et mon fils est la normalité même, c'est un esprit positif et amoureux de tout ce qui apporte de la joie et de l'espérance. L'Entretien même sous un glacis de plaisanterie et de canulars, est profondément triste et desespéré. C'est une descente aux enfers que j'entrepris à l'âge de 35 ans dans l'espoir que j'en sortirai et que la fin du codex se terminerait par la vision glorieuse de la cité céleste. Cette remontée vers la lumière fait d'ailleurs partie du plan général de l'oeuvre et se conforme à cette révélation incluse dans le titre. Mais pour l'instant je ne fais que quitter les tremblements de l'enfer, et je me trouve dans les brumes grises des limbes. La lumière est encore loin.
Mais je m'égare. Que faire donc de cette chose inclassable? Je m'aperçus d'ailleurs que quelques intellectuels contactés n'éprouvaient qu'une stupéfaction gênée à son contact et que les quelques passages que je leur lus, les rendaient muets, incapables par politesse de la moindre critique. C'est alors que se présenta l'occasion rêvée : le département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France.
La grande Bibliothèque
Cet établissement est une sorte de seconde maison pour moi. Jeune et sans moyens pour acheter les livres de cours, je passais mes journées dans la célèbre salle de lecture. C'est là que je découvris au hasard de mes promenades littéraires la légende originale de Hellewyjn. Par la suite je fis partie du Conseil Scientifique et j'y déposai ma collection d'éditions originales musicales et mes archives Wagnériennes. M'entretenant du problème de la survie de mon codex, madame Massip, directrice du Département de la Musique, me suggéra de m'en ouvrir à Monique Cohen. J'avais la caution de Claude Mediavilla qui estimait valable mon écriture formalisée et je suivis son conseil. Madame Cohen et son adjoint se déplacèrent et examinèrent longuement et soigneusement l'ensemble du manuscrit. Après avoir consulté leurs collaborateurs, et des avis autorisés, leur verdict tomba : ce n'était pas du travail d'amateur. Bien au contraire, c'était le seul exemple connu de manuscrit à peintures comparable aux codex renaissants, à la différence qu'il ne s'agissait pas d'une copie, mais d'un surgissement spontané dans son contenu, formel dans sa forme. Le document méritait non seulement d'être accueilli, mais également préservé dans la salle qui lui assurerait le maximum de garanties de conservation, celle des manuscrits. Malheureusement, le codex éléphant n'offrait aucune condition qui puisse prédire son évolution. Le papier, les couleurs, n'étaient certainement pas stabilisés et bougeraient dans le temps. Au contraire, le codex Pepys, était fait pour durer des centaines d'années. Je demandai si la numérisation du manuscrit n'assurerait pas sa durabilité, mais je déchantai. En effet on est tributaires des transducteurs, et au fil des années, il sera impossible de trouver des outils qui permettront l'adaptation du contenu aux nouveaux codes. Avec la numérisation on se trouve dans une condition encore pire qu'avec le papier chargé en pulpe de bois du XIXe siècle.
Ordinateur, scanner et photoshop
Le transfert de L'Entretien à la BNF pour satisfaisant qu'il soit pour mon égo, me privait de l'accès à l'ouvrage, indispensable à sa poursuite. Bien entendu, cet accès était illimité en ce qui me concerne, mais il m'obligeait à le consulter sur place, car le codex était frappé des mêmes règles de protection et des mêmes interdictions que les autres manuscrits précieux. Une fois entré, il n'en sortirait que pour être montré dans des lieux autorisés. Ainsi dès sa réception, il bénéficierait d'une exposition dans la crypte de la Bibliothèque.
D'autre part, même après achèvement et donation à la BNF, j'aurais pu vouloir en conserver une copie. Mais la nature du matériau (des noirs sur noir, des ors, des textures granuleuses ou rêches) interdisait une reproduction fidèle, pour ne pas parler du coût que représente la photocopie couleur de 4000 feuillets de 35. par 30cm.
La dernière condition imposait de n'éditer que des morceaux choisis. Mais sur quelle base et quels critères? La première me poussa à trouver un équivalent expressif aux codex originaux. J'aboutis ainsi à la constatation que si les textures, le format, les nuances, étaient irrémédiablement perdues lors de la numérisation, en revanche celle-ci pouvait être mise à profit pour innover et ajouter une information supplémentaire qui compense la perte de matière.
Pendant trois mois, je transcrivit un millier de pages de format A4 sur des supports différents, dans des styles différents. L'image fut traitée et élaborée par photoshop qui permit des effets expressifs innovants. Le resultat fut si passionnant que je finis par considérer les tapuscrits comme des originaux et l'original comme une matrice destinée à fabriquer les variations numériques. Je confectionnai ainsi moi-même ces pages en exploitant mes erreurs et les limites de Photoshop. Je finis par faire corps avec le scanner, Photoshop et l'ingrat Windows, à tel point que je pouvais les utiliser comme un piano, c'est à dire intuitivement.
La deuxième panne
Au fur et à mesure de l'avancement du tapuscrit, la progression de l'original se trouvait ralentie, jusqu'à s'arrêter. Il y eut des accalmies et des reprises. Mais vers la fin du tome 25, l'écriture se relâcha, l'invention céda à la monotonie, et la qualité de réalisation regressa sensiblement. J'enrageais car il me restait encore deux albums à remplir, mais c'était un fait. De même que le papier éléphant avait chassé le papier traditionnel, l'ordinateur avait surclassé la calligraphie. Je ne pouvais plus revenir en arrière.
La troisième panne
Voici bientôt quatre mois j'ouvris, je ne sais pas au juste pourquoi je créai ce blog. Pendant mes années de calligraphie je méprisais le travail sur informatique que j'estimais d'une qualité dégradée par rapport à la main de l'artiste. Ce fut tout à fait par hasard que, contraint de numériser des parties du codex, je découvris et m'appropriai les possibilités des logiciels graphiques. Mon expérience de calligraphe me permit d'éviter les vulgarités dues à la facilité et à la sophistication technologique. Je tirai notamment de la simple combinaison des possibilités de mon imprimante et des procédés les plus élémentaires de photoshop, des effets plus sophistiqués que les logiciels les plus perfectionnés, dont la mise en oeuvre laborieuse coupait toute inspiration. J'admire les photographes comme Gurski et Walls qui manipulent les pixels, un à un, comme on replante des cheveux sur le crâne d'un chauve, et obtiennent des effets d'un parfait naturel.
Ci-contre, une page du codex Pepys I. Ciletière au clair de lune. Je méprisais autant les blogs que la numérisation informatique. J'adoptai sa technique pour des raisons bassement utilitaires, comme précédemment la numérisation de l'Entretien avait pour but la conservation. Ce n'est qu'en discutant avec Olivier *** que je m'aperçus que je devenais incapable de continuer mon tapuscrit. L'inspiration était à nouveau en panne. C'est que, comme précédemment, l'abandon des matériaux traditionnels du codex Pepys, de l'écriture rapide et innovante du codex éléphant, puis ce ce dernier au profit du numérique, etait dû à un surapprentissage. J'abandonnai un médium, dès que j'en avais épuisé les possibilités. Par ailleurs une progression était perceptible : le manuscrit Pepys me conféra la sûreté de main nécessaire à la liberté du codex elephant. L'imagination de ce dernier se transféra sur le traitement d'image photoshop. Enfin, sans la maîtrise de la chaîne de production scanner, ordinateur, logiciel graphique, j'aurais été incapable de contrôler mon blog. Emmanuel Dyan joua pour moi le même rôle de mentor, que jadis Claude Mediavilla.
Je m'aperçus de la complication nécessaire pour réaliser un document pédagogique sur la sonate KV 310 de Mozart. Plus de mille opérations sonjt nécessaires à sa réalisation. Et je ne parle pas du travail qui consiste à interpréter
l'oeuvre au piano et l'enregistrer sur ma Handycam Sony à haute définition.
Mais tout ceci n'est qu'exercice préparatoire à la véritable raison de ces abandons successifs. C'est que je suis, après bien des avatars, amené à aborder enfin la réalisation définitive de mon Apocalypse ; une installation multimedia, en hyper texte et ouverte au public.
Si je me suis autant étendu sur la genèse de mon Apocalypse, c'est qu'elle éclaire la véritable signification de ce blog pas comme les autres. Sa spécificité est cachée. L'information derrière l'information, n'apparaîtra qu'une fois la maîtrise de la vidéo sera atteinte. J'ouvrirai alors un blog distinct, réservé à L'Entretien et réalisé sous forme d'installation vidéo, la forme la plus contemporaine et la plus innovante de l'art contemporain. Vu de là, tout le reste n'est que travail préparatoire.
L'entretien avec Olivier*** sur L'Entretien portait également sur les rapports entre les personnages principaux : Lars Hall-Bentzinger, Clara, et Valentin Ludell. Le procédé des coups de théâtre (cliff-hangers) à répétition notamment dans la seule scène d'amour, et les différentes couches superposées d'informations derrière les informations, ont particulièrement touché mon interlocuteur et m'encouragent à la publier sur le blog. Après tout cette scène est un bon exemple de désinformation réciproque entre les personnages. J'aimerai avoir l'avis des internautes qui auront eu la patience de lire jusqu'au bout cet article.