Poursuite des essais video. Reflexions sur la difficulté d'anticiper charnellement le futur.
On trouvera dans "Mozart, sonate KV 310, vidéo II", un essai de video. Emmanuel m'a procuré un disque dur My Book de 500 GB/Go d'une capacité de 38 heures de vidéo. Je ne puis m'empêcher de me souvenir de l'époque où je pronais dans l'incrédulité générale, l'avènement du micro-ordinateur. C'était en 1968 et les premiers modèles de HP faisaient 2K octets. Par la suite, Alvan présenta un appareil très évolué d'une mémoire vive de 510 K octets. Certes la loi de Moore m'avait conduit à prévoir les capacités gigantesques actuelles, mais anticiper par un raisonnement abstrait est une chose, voir l'évènement se concrétiser sous vos yeux en est une autre. La grande différence entre l'establishment professionnel et le trio de l'informatique nouvelle : Lussato-Bouhot-France-Lanord, était que chez nous, on acceptait les prévisions théoriques même sans pouvoir les imaginer. Une part d'entre nous les rejetait, il est vrai, mais on la faisait taire, Chez mes collègues, au contraire, l'accoutumance et le bon sens pragmatique leur faisait voir le futur dans le rétroviseur. C'était l'impossibilité de se projeter mentalement, sensoriellement, dans l'avenir le plus prévisible qui les empêcha d'anticiper. J'ai vécu alors aux Etats Unis les hésitations des grands constructeurs : les DEC, les Burroughs, Univac, GE, et même HP. Young, le président de HP me soutint dans ma croisade pour la nouvelle informatique, et pour la convivialité du guidage de l'utilisateur par des fenêtres, mais il ne fit passer dans les actes son slogan "n'apprenez pas l'informatique aux hommes, apprenez-là à l'ordinateur" qu'une fois le mouvement lancé par des nouveaux venus : Stev Jobs et Bill Gates.
Au fond, tout cela tient simplement à la dissonance cognitive entre les prévisions du cerveau gauche, essentiellement abstraites et théoriques, et les prémonitions du cerveau droit prétendûment pragmatiques et réalistes mais en réalité dictées par l'habitude et les stéréotypes.
Un exemple saisissant: la croisade du Club de Rome, s'appuyant sur les travaux de Jay Forrester et les approximations imprudentes de Meadows. Le modèle de Forrester prevoyait la catastrophe écologique dont nous subissons les premices : pollution, réchauffement climatique, problèmes liés à la pénurie d'eau et d'énergie. Le mot écologie était alors réservé aux théoriciens de l'approches systémique et en particulier des systèmes bouclés, dont Forrester était le plus grand modélisateur. Le modèle de Forrester était expérimental et ne reposait que sur 1200 équations (l'informatique permettait de les résoudre). Mais pour donner un sens à son modèle, il aurait fallu intégrer 100 000 équations, et Forrester ne put jamais obtenir les fonds pour ce programme. Son élève Meadows, sautant le pas entre modèle de démonstration et modèle opérationnel, prétendit que les résultats du premier étaient fiable. Il prédit pour l'an 2000 un épuisement total des ressources énergétique, et dépeignit le monde à 'l'image du film Soleil Vert. A force de crier au loup, il se déconsidéra et on ricana. Aujourd'hui, on se dit qu'on aurait dû l'écouter et faire "une halte à la croissance", titre de son ouvrage-choc.
Il faut convenir que l'épuisement des ressources énergétiques prévues pour la fin du siècle dernier ne s'est pas produit. En revanche, les signes avant-coureurs d'une catastrophe annoncée se multiplient et amplifiés par la mode et la pression des écologistes, encombrent les médias.
Ce qui est étonnant dans tout cela, est la dissociation entre les discours et les faits. C'est ce qu'on pourrait appeler le syndrome de Cassandre. Tous, sauf quelques originaux comme Claude Allegre, pensent qu'avant 2050 la planète subira des désastres, je ne dis pas irreversibles, ils le sont déjà. Mais on tolère que les Americains vivent dans des lieux clos chauffés à 25 degrés en hiver, et refroidis à dix huit degrés en été, qu'ils refusent d'adhérer au protocole de Kyoto tout en donnant des leçons de moralité au monde. Ils s'estiment garants de la paix dans le monde, alors qu'ils sont le pays le plus endetté de la planète et le plus pollueur.
Le Club de Rome avait émis un signal d'alarme dès 1970, estimant que si on arrêté immédiatement la croissance, les effets négatifs perdureraient. Mais que dirait Aurelio Peccei, son président, un haut dirigeant du groupe Fiat, s'il connaissait les chiffres actuels? On ne peut attribuer ce syndrome suicidaire qu'à la cécité au moyen terme de l'establishment, comme des populations riches. Le confort à court terme l'emporte d'autant plus, que les cycles longs qui faisaient la gloire de "Force de la Terre" , la culture judéo-chretienne traditionnelle, et de l'aristocratie, ont été annihilés par "Medusa" le noeud sémantique qui prolonge MAi 68,qui proclame avec le sympathique héros du Cercle des Poètes disparus", Carpe Diem, jouis du moment présent, après moi le déluge. "Matrix", les multinationales prédatrices, vivent également de trois mois en trois mois sous la pression des fonds de pension. Le troisième noeud sémantique: "Octopus", la pieuvre médiatique, achève la destruction des rythmes lents : tout est emporté par un flot charriant le pire, où on surfe sur une succession d'événements présentés sans mise en perspective. On zappe, on zappe, entre la pub, de trois minutes en trois minutes. La vitesse devient une fin en soi et son culte exclut la méditation, la prise de conscience de notre responsabilité envers nos héritiers. Octopus, Matrix, Medusa, le trio infernal nous prépare des lendemains qui ne chantent plus.