Chronique
In memoriam Alexander Zinoviev
Le plus lucide des opposants soviétiques, connu universellement pour Les Hauteurs béantes (Editions de l'âge d'homme) a regagné la Russie en signe de désaveu d'un Occident qui selon luit menace l'humanité. Zinoviev pense qu'à la fin de la guerre froide, ce n'est pas à l'émergence d'un monde libre qu'on a assisté, mais une superstructure venu des Etats Unis qui parasite les valeurs occidentales qu'elle prétend incarner. Cette superstructure fermée dirige les populations anesthésiées et rassurées par la ^propagande et la désinformation. Zinoviev rejette cependant les théories du complot dans son dernier essai La Grande rupture, sociologie d'un monde bouleversé. (Même éditeur1999).
Pour son dernier écrit, et surtout à cause de son évolution tout à fait incorrecte jusqu'à la fin de sa vie, Zinoviev a été discrédité. Il est vrai que ses positions sont souvent tranchées et déplaisantes, cependant elles portent la marque d'un esprit original et fort. Sa conception de ce qu'il nomme l'occidentisme a influencé Virus notamment pour la description de ce que je désigne par le terme Matrix . Je lui avais proposé d'écrire la préface de Virus, mais trop tard. A la suite de sa mort, de nombreuses commémorations ont eu lieu et je regrette de ne pas pu y assister. Une carte que sa fille Poline Zinoviev vient de m'adresser, me rappelle opportunément que le grand écrivain était aussi un peintre à l'expression puissante et apocalyptique. Poline, son mari Youri Fillipov, l'éditeur de mes vidéocassettes pédagogiques, et toute la famille, sont des artistes et des amoureux de culture. Poline notamment a fait des illustrations remarquables autour du Ring de Richard Wagner. Je saisis cette occasion pour lui rendre également hommage.
Où il est question à nouveau de la désinformation en parapsychologie.
Les péripéties de cette théâtrale campagne présidentielle, riche en désinformations nombreuses et variées, et dont mes commentaires ont suscité de nombreuses visites et des réactions passionnées sur ce blog, m'ont distrait de ce qui a suscité le plus grand intérêt et que j'ai appelé dans Virus, la plus grande désinformation de l'histoire des sciences : le fait parapsychologique. Il ne s'agit pas pour moi de prendre parti pour ou contre les partisans de la parapsychologie, mais de déplorer qu'il y ait des pour et des contre. Cela m'évoque plus le climat de la campagne électorale que nous sommes en train de vivre, que la sérénité froide qui devrait entourer un débat scientifique.
Mais ce qui pour moi pose vraiment problème, est l'étouffement délibéré et hargneux, la mauvaise foi évidente, qui entoure les quelques résultats à peu près probants en faveur de la parapsychologie. Comment est-il possible de ne pas engager des budgets et des ressources importantes, pour explorer un domaine beaucoup plus lourd de conséquences que la face cachée de la lune? Lourd de conséquences pour notre vision du monde, au niveau cosmogonique comme à l'échelle humaine.
Ce qui motive mon soudain intérêt pour la question parapsychologique, est la découverte dans le labyrinthe du blog, d'un commentaire très important du Dr. Mario Varvoglis, répondant d'une manière nette à ma question également nette. "Existe-t-il un et au moins un dispositif expérimental, qui prouve selon les standards les plus rigoureux en vigueur dans les sciences humaines, l'existence d'un ou de plusieurs faits que l'on ne peut que rattacher à la Parapsychologie, et excluant les singularités statistiques, les biais instrumentaux, ou, bien en tendu, la fraude consciente ou subconsciente? "
Dans la suite de mon article vous trouverez l'argumentation du Dr Varvoglis.
Toutes mes excuses, particulièrement à M. Bruno Lussato, pour cette, omission, cet oubli de ma part. Il est vrai que je suis très pris par plusieurs activités et que j'oublie parfois les choses promises.
Je ne vais pas aborder tous les débats qui sont survenu depuis le lancement de ce blog. Surtout, je ne chercherai pas à défendre ce qui me semble évident : comme dans n'importe quel domaine scientifique, l'expertise en parapsychologie ne vient pas du fait qu'on a un doctorat quelconque, ou qu'on prétend être des bons scientifiques dans notre propre domaine; ca vient d'une familiarité intime avec la littérature - très importante - de la parapsychologie et d'un vécu professionnel actif et directement lié à la recherche psi.
Ici, je me concentre sur les questions que Monsieur Lussato m'a posées -
existe-t-il des preuves expérimentales pour cette 'anomalie'
que les parapsychologues appellent le psi... par exemple, la télépathie ou la précognition?
Je vais lister rapidement plusieurs lignes de
recherche qui établissent, pour moi, l'existence de ces anomalies:
1. Les résultats expérimentaux sur la précognition et plus généralement sur les effets rétrocausaux.
Cette anomalie a déjà été établie par une méta-analyse exhaustive à la fin des années 80 (Charles Honorton & Diane
Ferrari. “Future Telling : A meta analysis of forced choice
precognition experiments 1935-1987”. Journal of Parapsychology, 1989, 53, pp 281-308).
A cette méta-analyse s'ajoute un nombre important
d'expérimentations récentes, basées sur des indices physiologiques, plutôt que sur les choix conscients du sujet. Pour une bonne synthèse sur ces recherches, voir un article récent par Dean Radin:
http://www.nidsci.org/pdf/timereversed.pdf
2. Les résultats expérimentaux sur la télépathie, et notamment le ganzfeld, un protocole employé par plusieurs dizaines de laboratoires, depuis plus de 30 ans.
Le ganzfeld donne un taux taux moyen de réussite
(toute population de sujets confondue), autour de 33-35% (au lieu de 25%). Avec des populations sélectionnées, le taux de réussite augmente considerablement. L'article classique dans ce domaine est celui de Bem et Honorton (« Does psi exist? Replicable evidence for an anomalous process of information transfer ». Psychological Bulletin, 115, (1994), 4-18.).
Dans les années 90, la fiabilité du protocole a poussé plusieurs
chercheurs à introduire des variantes sur le protocole qui ont donné des résultats moins probants. Toutefois, la méta-analyse la plus récente (Bem, Palmer et Broughton: Updating the Ganzfeld database, Journal of Parapsychology, 2001, 65) montre que les études du ganzfeld qui ont suivi le protocole "standard" (comme décrit dans la méta-analyse de Bem et Honorton), donnent des résultats tout à fait comparables.
3. Les résultats d'expérimentations "DMILS" impliquant deux sujets, l'un jouant le rôle d'agent ou "influenceur", l'autre le rôle du récepteur ou "influencé".
Ici le protocole explore plutot l'effet intentionnel de
l'agent sur la physiologie du récepteur (avec comme variable dépendante par exemple, la conductivité de la peau).
Là, aussi, plusieurs méta-analyses concluent qu'il existe une "anomalie" psychophysique; la plus récente et la plus conservatrice est apparue dans le British Journal of Psychology (Schmidt, Schneider, Utts, et Walach, (2004) 95, 235-247).
Mises à part ces études qui cherchent à établir l'existence d'une anomalie, il existe des centaines d'études qui cherchent à explorer des facteurs mentaux ou physiques corrélés aux scores psi. Je ne mentionnerai ici que deux de ces facteurs:
a. l'effet "mouton-chèvre" : les personnes convaincues que le psi existe ont des résultats sur des tests psi supérieurs à ceux qui doutent de son existence (voir la méta-analyse : Lawrence, A. « A metanalysis of forced choice sheep-goat studies 1947-1993 ». Proceedings 36th Annual PA
Convention, (1993), 75-86).
b. l'effet extraversion-introversion: surtout dans les expériences dites de "réponse libre" (comme le ganzfeld) nous trouvons que les personnes extraverties ont des scores supérieurs à des personnes introverties
(HONORTON Charles, FERRARI Diane & BEM Deryl, « Extraversion and ESP performance: A metanalysis and new confirmation ». Proceedings, 33rd
Annual PA Convention, (1990), 113-125.)
Face à ces données, je pense que, au minimum, le sceptique honnête doit reconnaître qu'il existe des anomalies intrigantes - même s'il ne veut pas s'engager sur un plan théorique avec des appellations comme "télépathie" ou "psychokinèse".
Peut-être un jour pourra-t-on, avec la conscience tranquille, affirmer qu'il n'y avait rien d'extraordinaire, finalement, dans tout cela. Mais pour l'instant, les données positives, et abondantes, resistent aux explications alternatives. Et la grande majorité des sceptiques ne cherche même pas à aborder directement ces recherches, utilisant des tactiques faites davantage pour obscurcir que pour éclairer.
Je suis, dans ce sens, en accord avec M.Lussato: il est bien temps de sortir de cette politique - consciente ou non - de désinformation et de faire evoluer la science face à ces questions.
Mario Varvoglis