Un résumé minimaliste de Virus destiné aux chefs d'état.
Virus est un livre difficile. Son sujet est précieux pour tout homme de pouvoir ou qui veut le conquerir. Mais les puissants n'ont pas le "ton juste" ni le temps pour lire 400 pages de données abstraites; Le but de cet article est de réduire à deux pages le livre, et dans un langage clair. Je remercie C.G. de son adaptation particulièrement réussie du contenu de l'ouvrage, adaptation indispensable pour les lecteurs de ce blog car encore plus synthétique que l'interview de Cronic'art.
1/ La désinformation consiste en l’introduction d’une distorsion entre la réalité et la perception de cette réalité. Sa force et sa subtilité résident dans le fait qu’elle mêle de façon subreptice la vérité et le mensonge dans un objectif de conditionnement des esprits et de manipulation de l’opinion. Construite à partir de données véridiques et vérifiables, elle n’en demeure pas moins une information mensongère qui tronque et déforme la connaissance et l’analyse des faits.
2/ Nous baignons en permanence dans une désinformation ambiante. L’opinion publique est orientée par des champs de forces idéologiques très puissants et contradictoires qui façonnent notre jugement comme l’aimant oriente les particules de limaille de fer.
3/ Il est possible d’identifier et de qualifier les champs de force les plus prégnants qui sont aujourd’hui à l’œuvre dans le monde en général et dans notre pays en particulier. Très schématiquement, ils peuvent être décrits de la manière suivante :
a/ L’utopie gauchiste et communiste : elle revendique le monopole vertu, du cœur, du progrès social, de la tolérance, de la générosité et des droits de l’homme ; elle prône l’égalitarisme et le nivellement ; elle dénonce toutes les formes d’autorité et de pouvoir, combat le travail et la création de richesses, fustige le mérite et la distinction sociale. Dans le monde occidental, tout particulièrement en Europe et en France, elle est dominée par une variante pessimiste et suicidaire qui tend vers l’anarchie et le relativisme généralisé.
b/ La mondialisation économique et financière : elle est portée par des entreprises transnationales géantes qui agissent pour l’abolition des frontières et des Etats en tant que souverainetés politiques ; elle vise à l’uniformisation (vers le bas) et à la standardisation des modes de vie, réduits à des comportements de consommation ; son objectif est essentiellement le profit à court terme.
c/ L’intégrisme islamiste : c’est un impérialisme religieux qui prétend régner sur le monde et sur les âmes ; il est fasciné par le culte de la mort et est prêt à tout pour éliminer ses adversaires ; il s’oppose à la modernité, au progrès des sciences et des techniques, à l’épanouissement des arts, à l’émancipation des individus et aux libertés fondamentales.
Ces trois champs de forces idéologiques ont ceci de commun qu’ils participent à la disparition des frontières, à l’effacement des nations, au dépérissement des Etats et à la régression de la civilisation. Ils concourent à l’embrigadement et à l’écrasement d’individus de moins en moins protégés par des corps, des organisations et des solidarités intermédiaires et décentralisées. Notre pays est aujourd’hui l’un des plus menacés par la conjonction funeste de ces trois principaux courants de déstabilisation et de désinformation.
4/ La capacité de résistance à ces trois grands courants de désinformation et de manipulation des consciences apparaît singulièrement affaiblie. Successeur de l’aristocratie foncière, la bourgeoisie industrielle et commerçante s’est progressivement aliéné les penseurs et les artistes par son étroitesse d’esprit, sa médiocre considération pour le monde des arts et des idées, son incapacité à reconnaître les nouveaux talents. La rupture a été complètement consommée au cours du XXème siècle : ces artistes et ces penseurs, mus par le ressentiment et parfois la haine contre leur milieu d’origine, ont basculé dans le camp adverse et sont devenus des intellectuels engagés. Si certains ont pu frayer avec le totalitarisme d’extrême droite (la « peste brune »), la plupart ont pactisé avec la subversion gauchiste, préférant souvent opter pour la tyrannie absolue instaurée par des régimes et de systèmes politiques abominables plutôt que pour la liberté relative incarnée par une bourgeoisie honnie et dont ils souhaitent hâter la destruction. Cela ne les empêche pas de continuer à donner à cette bourgeoisie et aux formations politiques de droite qui la représentent des leçons de vertu, de morale et de démocratie.
5/ Ces intellectuels, penseurs authentiques et profonds mais parfois aussi penseurs superficiels et autoproclamés, peuvent être considérés comme le principal foyer de désinformation. Dans notre pays, ils ne sont actuellement que quelques dizaines à « faire » l’opinion publique. Ils sont secondés et relayés par un nombre plus important de représentants des médias et des milieux culturels, artistiques et universitaires. Mais ces « idiots utiles » ne font pas partie du premier cercle, celui des « maîtres penseurs ». Ils sont les relais d’une manipulation dont ils sont également les victimes. Ce sont en fait des manipulateurs manipulés qui servent à démultiplier l’impact de l’entreprise de désinformation savamment orchestrée par le premier cercle. Si l’on recourt à la métaphore du marché des stupéfiants, ce sont des dealers intoxiqués et dépendants des drogues qu’ils ont pour mission d’écouler vers le plus grand nombre.
6/ Le principal outil de désinformation, c’est le verbe, la sémantique. La manipulation des esprits commence par la manipulation des mots, qui agissent comme des prismes déformants sur la perception de la réalité. Et les intellectuels qui constituent l’épicentre de cette action de désinformation sont des orfèvres en la matière. Ils parviennent si bien à imposer leur terminologie que leurs mots et leurs expressions s’imposent souvent à leurs adversaires qui s’empressent de les réemployer, prolongeant et amplifiant ainsi à leur insu les effets de la désinformation qui les visent. Le vocabulaire de la droite française est par exemple de plus en plus influencé par la sémantique de la gauche. Complexée et culpabilisée, acteur et victime de la désinformation, la droite française parle à son tour d’acquis social pour les 35 heures, de « sans papiers » pour l’immigration clandestine et applique les mêmes recettes inefficaces aux problèmes du chômage et de l’exclusion. Elle cède au langage du politiquement ou du socialement correct, se laissant donner la leçon par des intellectuels et des politiques qui ont ouvertement soutenu Lénine, Staline, Mao, Pol Pot ou Khomeiny.
7/ Les désinformateurs avancent généralement masqués. Le noyau dur ou virus désinformant est souvent entouré d’une enveloppe sémantique qui permet de « faire passer la pilule » et d’intoxiquer l’opinion sans l’indisposer, en trompant ainsi sa vigilance. Le système soviétique n’a cessé, même dans ses heures les plus sombres, d’invoquer la liberté, les droits de l’homme et les valeurs démocratiques. Plus près de nous, le noyau dur ou virus de la gauche marxiste-léniniste a été recyclé dans l’enveloppe d’un discours écologiste, tiers-mondiste et alter-mondialiste. De leurs côtés, les partisans de la mondialisation sans entrave promettent qu’elle sera heureuse et bénéfique pour tous les pays et pour toutes les populations, assurant à chacun le bien-être et la liberté. La menace prospère de façon dissimulée, tapie sous une ou plusieurs couches sémantiques apparemment rassurantes.
8/ Avec les progrès des technologies de la communication et l’industrialisation des médias, les vecteurs de la diffusion et de l’insinuation dans nos consciences d’informatiosn mensongères n’ont sans doute jamais été aussi performants. La presse écrite, la radio, la télévision et maintenant l’internet véhiculent désormais les textes, les sons et les images à une vitesse et à une échelle prodigieuses. Grâce à la puissance, à la réactivité et à l’efficacité de ces canaux, la désinformation est désormais un phénomène de masse, permanent et auto-entretenu qui gouverne l’opinion en temps réel. Le système médiatique, formidable caisse de résonance, s’est affirmé comme le relais étourdissant des champs de forces idéologiques qui rivalisent pour la domination des esprits. Il a pour particularités principales un horizon temporel limité au présent sinon à l’instant, ainsi qu’un véritable droit de vie et de mort sociales. Il porte au pinacle aussi vite qu’il cloue au pilori.
9/ La désinformation brouille toutes les valeurs et met sur un pied d’égalité toutes les idées et toutes les opinions. Elle s’accompagne d’un processus de dé-hiérarchisation (tout se mélange et se confond, tout se vaut et plus rien n’a véritablement de valeur et de sens). Elle induit une perte des repères qui désoriente et inquiète les classes moyennes. Celles-ci, qui constituent pourtant le socle sociologique de l’ordre social, se sont repliées dans une neutralité frileuse, laissant le champ libre à l’expression hurlante ou rampante d’idéologies délétères. Elles se désintéressent de la politique et leur défection contribue à fragiliser davantage les capacités de résistance de notre pays aux forces insidieuses qui lui sont hostiles.
10/ La désinformation de masse porte en elle les germes de crises aiguës. Non seulement en raison de l’affrontement entre des champs de forces idéologiques puissants et contradictoires. Mais aussi et surtout parce qu’elle crée une tension croissante entre la réalité et la représentation biaisée de cette réalité. A chaque fois que la réalité et cette représentation biaisée ou idéologique se confronte, c’est presque toujours la réalité qui est escamotée par l’opinion. Mais cette tension et le déni de réalité qui la caractérise, peuvent devenir au fil du temps proprement insupportables et engendrer de très graves troubles psychologiques, sociaux et politiques.
Ce magistral condensé a été utile, et le sera encore, je l'espère, à tous ceux que leur profession, du chroniqueur au ministre, exige de décoder les forces qui animent avec beaucoup de confusion la dynamique de leur électorat.