Où la réalité dépasse la fiction
La palme revient sans conteste à Ségolène Royal qui croit exploiter à son avantage le viol de deux femmes policières en proposant que la nuit elles soient reconduites chez elles par des policiers afin de les protéger. Pour ajouter au comique de la proposition, elle pourrait ajouter que c'est une des justifications de l'accroissement des effectifs de la police.
S.R. ... il y a deux jours, une femme policière s'est faite violer, tout près de Bobigny, en sortant de son commissariat. Et au mois de mars, au même endroit,, l'une de ses collègues s'était également fait violer. Qu'est-ce qui s'est passé entre ces deux faits pour qu'aucune protection policière ne soit apportée à une femme policière? Demain si je suis élue présidente de la République, les agents publics seront protégés, et en particulier les femmes. Elles seront accompagnées à leur domicile lorsqu'elles sortent tardivement des commissariats de police.
Nous faisons remarquer que SR se livre à une inférence qu'elle prend pour un fait. Le fait que les femmes policières ont été violées, ne prouve nullement qu'elles l'aient été en tant que policières et non en tant que femmes. Il s'agit en termes techniques d'une implication. Si effectivement il s'agit d'un viol simplement à but sexuel ou de domination haineuse de type raciste, il faudrait reconduire à leur domicile toutes les femmes.C'est ce que remarque N.S.
N.S. Si vous devez faire raccompagner toutes les femmes fonctionnaires chez elles la nuit, il faudra dire qu'il y a une fonction publique au service des Français, et puis une autre au service des fonctionnaires qui rentrent!
S.R. ça ne m'amuse pas, ce crime abominable. Vous avez une autre solution?
N.S. La solution c'est de ne pas mettre un garde du corps à chaque fonctionnaire femme qui rentre chez elle. C'est de réprimer les délinquants pour qu'il n'y en ait plus...
En poussant plus loin le raisonnement, on peut se demander pouquoi une femme athlétique et rompue au combat de rue (il y en a de plus en plus) aurait davantage droit à un garde du corps, qu'un jeune policier malingre et peu combatif? Ce serait une discrimination. Ceci n'a pas échappé à S.R. qui a précisé son propos dans Le Parisien du 4 mai 2007.
S.R. J'ai trouvé N.S. désinvolte. D'autant que ce viol atroce avait précédé, en mars au même endroit, d''un autre viol. ... Dans les quartiers ultrasensibles, je considère qu'il faut raccompagner le nuit les femmes policières, et peut-être même tous les policiers - comme cela se fait déjà au Québec. On peut imaginer qu'une patrouille puisse faire un détour pour les redéposer chez elles.
La proposition est donc réservée aux "quartiers dits sensibles". Cela semblait implicite, encore qu'à présent la notion est plus que poreuse, de même que la nuit, comme unité de temps. Le crépuscule est-il plus dangereux? Et ne faut-il pas ajouter des rues et des parcs déserts.
Mais cette restriction est compensée par un élargissement de la proposition, puisqu'elle est étendue à "tous les policiers". Il faudrait non seulement mobiliser un garde du corps, mais toute une patrouille normalement mobilisable à tout instant, mais dont la disponibilité serait entravée par le fameux détour!
Et, on le répète, pourquoi pas tous les habitants jeunes ou vieux qui sont à la merci d'une agression et d'un cambriolage dans ces quartiers "de jeunes"? Pourquoi réserver la protection aux seuls agents publics?
La réponse est simple : cette proposition comique était destinée de se concilier les suffrages des policiers au détriment de Nicolas Sarkozy.
Colère feinte contre compassion larmoyante
Le moment que Ségolène Royal appelle "le summum de l'immoralité politique, restera sans doute le summum du spectacle politique, surpassant les guignols de l'info, n'était la gravité du sujet. Ce "climax" du débat est précédé de signes avant-coureurs:
S.R. : c'est ça la société que vous nous proposez : aller devant les tribunaux pour demander une place en crèche...
N.S. : Madame, si vous me le permettez. Vous n'avez pas besoin d'être méprisante pour être brillante.
S.R. : Je ne suis pas méprisante. Je connais vos techniques. Dès que vous êtes gêné, vous vous posez en victime.
N.S. : Avec vous, ce serait une victime consentante.
S.R. : Eh bien tant mieux, au moins, il y a du plaisir.
N.S. : J'ai trop de respect pour vous pour vous laisser aller dans le mépris.
Ségolène Royal a raison : la solution juridique de Nicolas Sarkozy est théorique car:
S.R. ... Vous croyez que les ges vont aller devant les tribunaux qui sont déjà débordés et qui ont déjà bien d'autres choses à faire. Ce n'est pas sérieux. Faisons les places en crèche, faisons les structures d'accueil.
N.S. : Ce n'est pas gentil de dire des choses comme ça. Je vais prendre un exemple qui va peut-être vous toucher. L'affaire des enfants handicapés dans les écoles.
Dans tout ce passage, on relève l'obséquiosité feinte de Nicolas Sarkozy, qui répond aux attaques personnelles de Ségolène (je connais vos techniques) par des formules qui n'ajoutent rien au style d'un débat présidentiel dans une France soucieuse de panache stylistique de la part de ses chefs. Le ton masochiste est accentué par l'allusion à la victime consentante qui y trouve du plaisir et il est suivi par le langage vernaculaire, celui de la petite enfance : "ce n'est pas gentil etc..." . Emporté par le jeu des formes langagières, Sarkozy oublie le contenu et s'engage tête baissée dans le piège en évoquant avec compassion le sort des enfants handicapés. Il se trouve alors dans le terrain de son adversaire, furieuse que l'on ait fermé son dispositif d'insertion pour le transférer dans un autre, tout aussi efficace (ou inefficace, disent les associations révoltées par les deux candidats qui instrumentalisent le malheur des enfants).
Le ton compassionnel de Sarkozy est le prétexte d'un règlement de comptes. Voici dix ans, le même débat opposait les deux adversaires et Ségolène provoqua par une fausse colère Nicolas qui perdit son contrôle. Mais dix ans plus tard, ce dernier écouta ses conseillers qui l'entrainèrent à la patience zen. La colère manquant son but, la provocatrice, insista et en fit trop, ce qui permit à Sarkozy de mettre en évidence pendant quelques répliques du plus haut comique de boulevard, "l'énervement" de la candidate à la présidence.
S.R. : Là, je pense qu'on a atteint le summum de l'immoralité politique. Je suis scandalisée par ce que je viens d'entendre. Car jouer avec le handicap comme vous venez de le faire est proprement scandaleux...Non M.Sarkozy tout n'est pas possible dans la vie politique. ( allusion au slogan ; ensemble tout devient possible) ... Et je suis très en colère.
N.S. : Calmez-vous! Ne me montrez pas du doigt avec cet index pointé.
S.R. : Non, je ne me calmerai pas, non je ne me calmerai pas, je ne me calmerai pas.
Il manque à ce dialogue le rictus mauvais de la candidate et le ton hystérique.
N.S. : Pour être président de la République , il faut être calme.
S.R. Non, pas quand il y a des injustices. Il y a des colères qui sont parfaitement saines parce qu'elles correspondent à la souffrance des gens. Il y a des colères que j'aurai même quand je serai présidente de la République, ...
On imagine ce que pourraient être les colères d'une présidente telle que Madame Royal. Elles s'exerceraient au détriment de ses contradicteurs, et on basculerait du comique du débat au dramatique d'un pouvoir exercé par une femme en colère.
N.S. : Je ne sais pas pourquoi, Mme Royal, d'ahabitude si calme, a perdu le contrôle de ses nerfs.
S.R. : Non, je ne perds pas mes nerfs, je suis en colère. Ce n'est pas pareil. Pas de mépris, M. Sarkozy. Il y a des colères très saines et très utiles.
Ségolène hurle de plus belle, et comme d'habitude ne regarde pas son adversaire, dont elle fixe l'épaule, ce qui oblige Nicolas de prendre à témoin les médiateurs.
N.S. : Je ne sais pas pourquoi Mme Royal s'énerve.
Le mot nerf, répond à colère. Le jeu de Nicolas Sarkozy est tellement évident qu'il constitue presque une insulte à l'intelligence de la candidate. Mais celle-ci manque totalement du sens de l'humour, voire du ridicule.
S.R. : Je ne m'énerve opas. Je suis en colère? Je ne me suis pas énervée. J'ai beaucoup de sang-froid.
N.S. : Vous venez de le perdre? C'est pas de chance.
On relèvera la tournure populaire et vernaculaire : "c'est pas de chance". Elle pourrait s'adresser à un compagnon de bistrot jouant au PMU.
S.R. : Non, justement pas. Je suis en colère face aux injustices, face aux mensonges.
N.S. Je ne vois pas pourquoi Mme Royal , ose employer le mot immoral. C'est un mot fort...
.....
N.S. : Je ne me serais jamais permis, madame, de parler de vous comme cela.
Ici, le langage est plus proche du Molière des Précieuses Ridicules. On nage en pleine comédie. Le madame constamment répété est emprunté à ce genre de satires des femmes savantes et des mondaines. La tenue très bourgeoise XVIe arondissement de l'amie des pauvres, accentue cette impression théâtrale.
S.R. : Parce que moi, je ne mens pas...
N.S. : ... et au moins, cela a une utilité madame, c'est que vous vous mettez bien facilement en colère. Vous sortez de vos gonds avec beaucoup de facilité, madame. Président de la République c'est quelqu'un qui a des responsabilité lourdes, très lourdes.
S.R. : Je ne suis pas sortie de mes gonds. Car, moi aussi , j'ai l'intention de me faire respecter.
... ... ...
N.S. En quoi est-elle saine votre colère? Traiter votre contradicteur d'immoral et de menteur, je ne vois pas ce que ça a de sain et d'utile! Vous avez la vision sectaire de la gauche, toute personne qui ne pense pas exactement comme vous est forcément illégitime. ... Il faut savoir garder son calme et ses nerfs.
Autre moment faste. Royal refuse d'aligner le moindre chiffre. Je ne puis que l'excuser, car jamais les précisions quantitatives émises par un programme politique n'ont eu le moindre sens. On se trouve ici en pleine approximation qualitative. Mais avec la candidate socialiste, l'incantation remplace l'approximation. Le "je le veux" prononcé avec un sourire figé et un ton péremptoire, relève du mythique. Il est clair que la candidate est investie par un principe transcendant qui lui est transmis par le peuple et les "partenaires sociaux". Voici un exemple de dialogue. Nicolas Sarkozy, lui démontre que ce qu'elle se propose d'accomplir n'est tout simplement pas possible dans le monde réel; mais la madone en blanc appartient à un autre monde, celui de "l'ordre juste".
N.S. : ... MAis non, ce n'est pas possible, madame, excusez-moi. S.R. : Ah bon? Ce n'est pas possible? - N.S. : Parce que la fonction publique hospitalière, c'est payé par un autre budget que le budget de l'Etat. - S.R. Si vous ne pouvez pas le faire, comment voulez-vous accéder aux responsabilités? Eh bien, moi je le ferai. Je le ferai. Il faut imaginer l'intonation incantatoire du "moi, je le ferai. Je le ferai!
Le chef d'oeuvre
La liberté d'après Sarkozy, c'est de travailler plus pour gagner plus si l'on veut ou rester au niveau plancher des 35 heures, voire 32 heures, en gagnant moins. Ce n'est pas de se voir interdire de travailler quand et à l'âge que l'on veut. Ni d'imposer de prendre la retraite à des "vieux" de 61 ans qui sont capables d'apporter leur talent à la collectivité, pendant la vingtaine d'années qui leur reste à vivre. Par un extraordinaire tour de passe passe sémantique, Ségolène Royale affirme que la liberté, c'est de se voir imposer un maximum d'heures travaillées afin de faire place qux chômeurs. Voici sa formule magique :
...Mais laissez les gens libres. Ne leur imposez pas de travailler plus pour gagner plus.
Ségolène Royal
Comment interpréter cette déclaration? Elle impliquerait que Sarkozy impose aux gens de travailler plus même s'ils ne le désirent pas. Une autre interprétation, serait que Sarkozy leur impose, s'ils veulent gagner plus, de travailler plus. Ségolène Royal rend la liberté aux gens : on les laisse libres de gagner plus sans travailler plus s'ils le désirent.
Comment parvenir à équilibrer face à la concurrence une telle équation? C'est simple. Cela implique que les gens actuellement travaillent lentement, mal, sans intelligence. Il vaut donc mieux les payer davantage pour un temps de travail égal car il travailleront mieux, plus vite, et intelligemment car ils seront motivés. Ce qui évoque le raisonnement de Madame Frosine qui explique à Harpagon qu'en épousant une jeune fille sans le sou, il gagne en fait une dot considérable contituée par toutes les dépenses qu'elle ne fera pas. Je me plaignais de la disparition du théâtre de boulevard des chaînes nationales de télévision, mais là, mes attentes sont satisfaites.
On pourrait continuer indéfiniment. Mais ce qui émane de tout cela, est un niveau déplorable du débat, indigne de la fonction présidentielle d'un pays qui se prétend donneur de leçons au monde entier. En présentant ces extraits à des amis étrangers, et en leur faisant passer cela pour un canular, ils protestèrent : cela n'était guère crédible! En fait le canular consistait à les faire croire au canular.