Les éléphants et le clown éméché
Le cirque électoral
Dès que la prudence et la perspicacité existèrent, on vit naïtre une grande hypocrisie.
Le Tchou-Tsieou.(Ve siècle av. JC.) Sentence en trois caractères.
S'il est évident que - par nécessité professionnelle - les politiciens sont égaux devant la mauvaise foi et l'hypocrisie, il en est cependant aui sont plus égaux que les autres, pour ajouter une nouvelle paraphrase à l'expression d'Orwell dans Animals Farm. Et la palme revient sans conteste au quatuor d'éléphants qui en choeur chantaient les louanges de la madonne en blanc. Le pire était à mon sens Fabius qui d'une voix cauteleuse déclarait en substance : " je sens que les mots prononcés par Sarkozy : kärcher, racaille, origine génétique de la pédophilie, sont particulièrement inquiétants, ils n'annoncent rien de bon ". IL illustrait ainsi à merveille le procédé de désinformation consistant à sortir de son contexte un mot et le répéter en lui donnant une valeur incantatoire après l'avoir détourné de son origine. Ce qui m'impressionnait était moins le tons que le sourire, le visage gras, la petite bouche en coeur... C'est Schiller je crois qui disait qu'à quarante ans un homme a le visage qu'il mérite. J'y pensais en regardant le beau quatuor d'éléphants; Hollande le falot, Jack Lang, le vieux beau, Kouchner la diva, et pour couronner le tout, Fabius. De l'autre côté se trouvait la dignité avec Simone Weil et Bertrand qui fut d'ailleurs le seul à dénoncer les fausses symétries. "Vous qui dites que vous êtes les représentants du changement, qu'avez-vous fait pendant que vous étiez au pouvoir? " Après tout Fabius était premier ministre, avec bien plus de responsabilités que Sarkozy.
Les discours présidentiels furent un festival de pensée unique tournée vers ce que les conseillers en communication, sortis tous du même sérail soufflaient aux candidats. Les deux vainqueurs sémantiques furent sans doute Le Pen (le drapeau Français, l'ordre républicain, les valeurs civiques, la sécurité) et Bayrou (l'oxymoron gauche-doite et nègre-blanc). Et voici Nicolas Sarkozy clamer les valeurs du coeur, l'aide aux malades, aux exclus, aux handicapés, enfin, toutes les litanies débitées par Royal. Celle-ci en revanche, faute de compétence, a été incapable de tenir un discours sur l'économie. Partout la fusion du Yin et du Yang, qui a fait l'objet de mon article sur le Figaro Magazine, fut consommée dans les discours. Je devrais réclamer des royalties.
Le seul a oser dénoncer que le roi est nu, fut Bernard Tapie. Il est vrai qu'il était légèrement ivre et que son contrôle s'était relâché. Et voici qu'il nous apprend que ses amis les éléphants n'avaient de cesse que de psalmodier TSS, "tout sauf Ségolène" et de les traîter de faux culs. Un silence glacial salua cette saillie. Il n'y a que la vérité qui blesse.
TSS+TSS=NI NI + epsilon.
Voir plus bas la formule présidentielle décodée
J'ai trouvé dans les commentaires venus d'Angleterre et de Provence matière à réflexion.
Ce qui frappe dans l'argumentaire de l'élection est la bipolarisation de l'opinion. Le "Tout sauf Sarkozy", a été le plus fort fédérateur de la gauche, l'extrême gauche et le centre-gauche de Bayrou. En revanche le "Tout sauf Segolène" a été beaucoup plus discret, pensée unique oblige. On n'attaque pas le coeur, la compassion, Jenne d'Arc, il faut comme dit Sarkozy la traiter avec le plus grand respect. A la rigueur on peut hasarder des doutes sur ses compétences techniques, mais il ne s'agit pas de diaboliser une madone. Car c'est ainsi qu'elle apparut après un longue attente passée sans doute en train de refaire son maquillage. La mystérieuse apparition était tout en blanc, dans une robe très élégante, "people" plutôt que "peuple" qui ne venait pas de chez Monoprix. Un sourire mystérieux et serein, des mains intimant aux élèves qui l'acclamaient le silence, un ton inspiré et prophétique, furent critiqués par les esprits chagrins comme des postures plates, figées. J'ai trouvé au contraire que le numéro était réussi. Elle restait dans son rôle, en y ajoutant des couplets prélevés chez Le Pen. N'oublions pas d'ailleurs que parmi les ouvriers, nombreux furent ceux qui hésitèrent entre le FN et le socialisme.
J'admire profondément Ségolène Royal. Voici une femme, qui contrairement au quatuor d'éléphants sus-nommés, a le visage qu'elle ne mérite pas. Qui imaginerait derrière ce masque de mansuétude, de charme féminin, de compassion, et d'élégance très bourgeoise, une virago autoritaire, fanatique, agressive, imbue d'elle même, détestée et crainte pas ses proches? Ce pouvoir de dissimulation la rend encore plus toxique. En revanche Sarkozy, suivant en cela ses conseillers, s'est aventuré dans les plates-bandes de Royal, tenant un langage Yin calque sur cette dernière. Au fond voici un homme qui réalise involontairement le rêve de Bayrou, tout au moins dans son discours. Du Le Pen light, du ROyal Light, du BAryrou Light. La formule : ordre et protection + aide aux exclus et aux malades + rassemblement non partisan, voici qui devient la nouvelle pensée unique.
Autre pensée unique : la flagornerie envers le peuple français investi d'une maturité, d'une lucidité politique qui devrait servir de leçon au monde entier. En fait, la raison est tout autre. Un grand nombre de paresseux, d'indifférents et de nantis, qui jadis ne votaient pas, pour ne pas compromettre leur bronzage ou leur jogging, se sont précipités ver les urnes, poussés par la sainte trouille. Ils n'ont pas été les seuls à penser comme moi : il ne s'agit pas de TSS, mais tout sauf ces haineux, ces fanatiques, ces hypocrites. Ils ont compris que la France était menacée non pas par un parti politique, mais par une vague incontrôlée reposant sur la désinformation stalinienne et l'utopie soixante huitarde. Le danger, est que devant le score élevé de Sarkozy, qui montre à l'évidence que la France est en majorité à droite, contrairement à son intelligentsia, ils se démobilisent.
Le score élevé de Sarkozy, montre aussi qu'il y a des limites à l'intox et à la désinformation. La haine était trop évidente, la chasse au sorcières trop visible, la diabolisation trop générale. Il est probable que la gauche adoptera un ton plus raisonnable. De même s'il veut l'emporter, Sarkozy doit faire preuve du plus grand sang froid. Mais je sors ici de mon domaine de compétence pour m'aventurer dans les sables mouvants de la politique.