On pourrait penser que Guy Sacre n'a en vue que les académiciens allemands qui pensent que la valeur d'une oeuvre ne tient qu'à l'étalage d'une virtuosité polyphonique. Ainsi, à propos des variations sur un thème de Bach, Op 81 de Max Reger, maître allemand réputé en son temps, il écrit
: "Le spectacle seul de ces pages harassées de signes a fait reculer mille pianistes... on veut bien proclamer que cet Op.81 est le chef-d'oeuvre pianistique de Reger : il n'en coûte rien à personne et on tire un trait".
Le problème est que Sacre confond complication académique et complexité innovante. C'est ainsi qu'il écrit :
" pourquoi faudrait-il que les chefs-d'oeuvre soient des panthéons, où l'on dépense beaucoup de respect et peu d'amour? En vertu de ce sot principe, la Sonate Hammerklavier de Beethoven, signalée par trois ou quatre étoiles dans les guides spécialisés, reçoit peut-être plus de visiteurs que la petite Sonate en fa dièse ; mais ceux que la seconde a touchés lui resteront fidèles et s'y réchaufferont souvent; ceux de l'autre ne reviendront guère, la mettront dans un coin de leur culture, entre autres souvenirs intimidants..."
Mompou renonce donc à ces plats artifices qui n'ont occupé que des Mozart, des Schumann (qui n'est pas parvenu à les maîtriser, étant visiblement au dessous du "moindre tâcheron de conservatoire"), de Brahms (qui comme Bach, triturait quelques notes pour les développer) et bien entendu de Beethoven qui dans l'Op 106 a été sévèrement remis à l'ordre par Monsieur Sacre. Quel est donc son secret musical? (j'entends de Mompou, pas de Beethoven). Sacre nous apprend qu'il
a souvent dit que la musique était un fluide, et qu'il le recevait à la manière d'un médium, pour le transmettre à son tour... La réitération est essentielle à ses pouvoirs magiques : elle abolit à la fois le temps et l'espace ; elle endort la conscience, anésthésie la douleur. Les froides techniques du développement (voire celles de la modulation) outre qu'elles détruisent les proportions implicites d'une idée musicale, ne peuvent que délayer la force de ce flux primordial, que les Charmes ou les Cants màgics tâchent de garder intact. "
L'écriture est originale, poursuit Sacre : lucidité, concision, pauvreté consentie, emphase abhorrée (empruntée à Satie), euphonie voluptueuse (Chopin), cette "gourmandise de sonorités" qui "lui fait essayer d'étonnantes combinaisons, où l'on ne sait trop lesquels, des doigts ou des oreilles ont le premier rôle". ... "Ma musique dit-il, c'est mes mains... après Chopin et Debussy, et de façon plus divinatoire encore, il a tiré parti des ressources les plus intimes du piano... qu'il fait mieux qu'écouter, qu'il ausculte de ses mains. (Mompou avoue franchement ne pas avoir d'audition intérieure). ... Vivent aussi dans son style, en leur senteur la plus embaumante, tous les modes de la musique populaire... éolien, phrygien, et autres échelles savoureuses. "
A propos des Chants Magiques. "Mompou découvre très tôt que l'une des fonctions de la musique, la principale peut-être, est de faire parler en nous ce qui est silence. Il faut pour cela ... user de formules incantatoires, dont la vertu répétitive finit par mettre en branle les mécanismes les plus mystérieux de l'être,... le replongent à l'orée de sa vie antérieure. "
Guy Sacre, qui ne se prive pas de censurer Schumann, dont il pense que le scherzino du Carnaval de Vienne ou les Chants de l'Aube, pourraient sans dommage être jetés à la poubelle,* qui estime que le plus grand tort de Schönberg a été d'avoir par son proselytisme plongé la musique dans des années de plomb (merci pour Wozzeck, Lulu ou Soldaten, les opéras les plus importants du XXe siècle), notre censeur n'émet pas une seule réserve pour l'oeuvre de Mompou, qui est pourtant jugée par bien des pianistes, d'un charme anecdotique au mieux, d'une platitude désolante, au pire. La postérité a d'ailleurs jugé.
* Voici textuellement pour ceux qui penseraient que j'exagère, l'appréciation du troisième mouvement du Faschingsschwank aus Wien : ... le scherzino n'est qu'un mauvais moment à passer; l'un des rares moments que même le Schumanien le plus fanatique n'hésiterait pas, s'il dépendait de lui, à jeter au feu... etc)."
J'avoue avoir toujours écouté avec délectation ce spirituel scherzo, merveilleusement interprété par Richter, en Italie, mais sans doute je dois ne pas avoir d'oreille, comme tous ceux qui, selon Guy Sacre, osent apprécier la sonate Op.106 de Beethoven et dont je suis.
CONNOTATIONS ET DENOTATION
On peut se demander pourquoi j'ai consacré autant de temps à tirer sur des ambulances, à relever les outrecuidantes imbecillités de ce monsieur "que nul ne connaît" (pour paraphraser une vanne lancée par une candidate à l'élection présidentielle à l'encontre d'un membre de son parti qui venait de donner sa démission). En se commettant avec certains, disent mes amis, on risque de se rabaisser à leur niveau. Et c'est ce qu'on pourrait objecter à propos de l'auteur de " La musique de piano, dictionnaire des compositeurs et des oeuvre" (Laffont 1998). Or si j'ai cru bon consacrer autant de place à celui qui en dépit de ses 2998 pages de littérature, peut passer pour certains pour un amateur besogneux, c'est que sa prose, par son contenu et par son style, soulève des questions qui dépassent et de loin la psychologie de la musique. Et c'est pour les approfondir que je vais me faire l'avocat du diable et prendre la défense du sévère procureur de la malheureuse Hammerklavier.
1. Monsieur Guy Sacre a des côtés dignes d'admiration.
Il a, à lui tout seul, élaboré un panthéon de la critique pianistique, (ce que j'ai moi-même tenté avec mes 1800 pages sur la Tétralogie de Wagner). On peut s'en moquer, mais il faut le faire!
2. On peut supposer (en lui accordant le bénéfice du doute) que notre auteur a déchiffré (sinon joué et encore moins approfondi) des milliers de pages pianistiques, et digéré aussi bien Mozart que Muffat.
J'ai d'ailleurs connu des amateurs doués, pourvu de grandes mains et de facilités déconcertantes pour la lecture, dévorer indifféremment du Franck et du Scriabine. Ils déchiffraient à page ouverte. Simplement ils n'établissaient aucune hiérarchie entre le sublime des variations Goldberg et le pianistiquement savoureux de Saint François d'Assise marchant sur les flots, avec néanmoins une préférence pour ce dernier morceau, bien plus agréable à jouer et à écouter. Un de mes camarades de classe faisait partie de ceux là, son jeu était sonore, assez précis, et tantôt lourd et sirupeux. Il lisait à livre ouvert, à la vitesse convenable, et ses doigts longs et épais, restituaient à partir des triples croches de la partition, des flots de musique plaisants à l'oreille.
Question : le déchiffreur qui passe l'essentiel de son temps à balayer tout le répertoire, peut-il accéder aussi profondément à des oeuvres profondes et conceptuellement difficiles, qu'au musicien qui se cantonne à un répertoire limité aux seuls chefs d'oeuvre?
3. J'ai entendu en concert, un vieil artiste de 90ans jouer cette marche turque tellement critiquée par monsieur Sacre. (Shura Cherkassky) Elle sonnait miraculeuse de finesse et de subtilité polyphonique sous ses doigts potelés. Il est vrai qu'il avait dû consacrer à son approfondissement un temps peut-être supérieur à celui que notre censeur employa à jouer tout Mompou ou tout Henri Tomasi.
Question : comment se fait-il qu'un dechiffreur aussi universel que M.Sacre estime, sans complexe, qu'il faut être sourd pour aimer une musique qui suscite l'admiration et l'émerveillement d'artistes comme Charles Rosen, Georges Pludermacher (pourtant extraordinaire dechiffreur) ou Wilhelm Kempff? Il ne s'agit pas d'invoquer un argument d'autorité, mais ne pourrait on pas concéder à ces artistes le bénéfice du doute? Est-ce que par hasard ils n'auraient pas, eux aussi, une oreille musicale? Et qu'est-ce qui autorise M.Sacre, qui ne comprend goutte à des pièces monumentales, non seulement de les condamner, mais en même temps de stigmatiser ceux qui les aiment et les admirent?
Je puis en parler en connaissance de cause. J'ai joué toute ma vie, à la fois la Sonate à Thérèse, (que Beethoven aimait tout particulièrement et qu'il préférait, il est vrai, à de plus connues), et la Hammerklavier détestée par Sacre.
Lorsque j'étais jeune, je préférais moi aussi la première de ces oeuvres, séduisante et attachante dans sa douce familiarité, à la seconde, pleine d'aspérités et de violence. Mais je n'ai jamais eu l'absurde fatuité d'attribuer mon incomprhension pour la sonate la plus importante de Beethoven, aux insuffisances de ce dernier. J'ai bien au contraire continué de l'explorer, et assez rapidement de magnifiques mélodies ont commencé à surgir du chaos. Il ne m'a pas fallu plus d'une ou deux décennies pour arriver au bout de la fugue et pour découvrir la splendeur de cette musique, l'originalité et la vitalité des ces formes complexes et logiquement astucieuses que condamne Sacre.
Alors, sans invoquer l'argument d'autorité (par exemple de l'appréciation des artistes aussi nombreux que célèbres, qui jouent la sonate-monument) mais uniquement mon expérience personnelle, j'aboutis à la conclusion suivante : ou je suis un génie et j'ai pénêtré seul entre tous la beauté de la sonate la plus ambitieuse de Beethoven en seulement quelques années de travail, ou c'est Monsieur Sacre qui n'a pas eu le loisir ni le désir de voyager vers le coeur de l'oeuvre, étant occupé à savourer les pièces de Mompou e altri. Je tiens pour rien, car cela indiffère M.Sacre, l'avis du compositeur, qui la destinait aux générations futures et qui consacra un temps considérable à la "composition" de la fugue, bien que d'après notre critique, n'importe quel tâcheron de conservatoire pourrait les yeux fermés se livrer à cette tâche stérile.
4. Il est évident que M.Sacre privilégie la surface sensible de la musique, "le bruit qu'elle fait" par rapport au concept qui la sous-tend. On notera qu'il adore les sonorités voluptueuses, les groumandises pour l'oreille, le toucher pulpeux et les résonances acoustiques, et que tout ce qui est conceptuel le hérisse et tout particulier les sophistications de la structure et du développement, qu'il attribue à des tâcherons alors qu'ils représentent le ressort de toute la musique allemande de Bach à Schönberg. Faut-il opposer les deux aspects de l'oeuvre?
5. J'ai signalé dans un commentaire de Wikipédia, à propos de la sonate Op.111 de Beethoven, la polémique qui opposait au principal auteur de l'article, ceux que rébutaient l'emploi de mots comme "admirable, sublime ou magnifique". D'après eux une encyclopédie qui se respecte doit s'abstenir de tout jugement, afin de prouver son objectivité. Il leur fut répondu qu'aucune encyclopédie ne se prive d'utiliser ces épithètes qui permettent de différencier le talent du génie, Beethoven de Spontini. Se priver de toute appréciation serait traiter l'oeuvre comme on classe et on décrit une espèce botanique.
Le débat concerne l'opposition entre la dénotation et les connotations. La photo d'un plat de viande est une dénotation, de même que l'information relative à la cuisson, à la préparation, etc. Les mots "morceau de premier choix de cadavre de vache" et "filet mignon surfin" sont des connotations, provoquant des associations négatives ou au contraire flatteuses. Par ailleurs la présentation du filet de boeuf peut être séduisante ou au contraire, lorsque l'éclairage est bleuâtre, écoeurante. Des expériences ont été conduites qui ont prouvé que les participants à un dîner baignant dans une lumière verdâtre, ont été saisis dans la nuit de troubles digestifs.
Que viennent faire dans notre débat ces considérations semantiques et gastronomiques? C'est simple.
La même oeuvre peut être décrite par des dénotations (c'est l'analyse objective, musicologique, historique etc.) ou par des connotations (flatteuses ou fielleuses). Alfred Cortot ne se bornait pas à utiliser des épithètes pour décrire les préludes de Chopin (admirable, bouleversant, fantomatique), il affublait chaque prélude d'un titre qui faisait grincer des dents les puristes : "dans l'attente fiévreuse de l'aimée, sur une tombe, elle m'a dit : je t'aime etc..." . Il estimait que ces titres permettaient d'inspirer l'interprète et l'aider à jouer de manière expressive.
Le problème est que ces connotations sont purement subjectives et qu'on arrive quelquefois à des contradictions entre interprètes. Par exemple la fugue de la sonate Hammerklavier de Beethoven, bête noire de monsieur Sacre, est qualifiée par Yves Nat comme une explosion de joie et d'énergie, alors que la plupart des pianistes la considèrent comme sinistre, effrayante, et vaguement monstrueuse. C'est d'ailleurs cette peur de juger et de qualifier, qui rend bien des analyses aussi stériles justifiant les parti-pris passionnés de Guy Sacre qui lui, au moins, accroche l'attention. Ce dernier ne se prive pas d'employer les épithètes et les métaphores. Lorsqu'il qualifie la fugue de l'Op 106 comme d'étranges fruits qui poussent dans le désert, il commet ainsi un acte subjectif et suggestif, bien que désinformant.
Toutes les analyses de cet auteur sont farcies de connotations, de métaphores, de descriptions pour lesquelles il convoque toutes les ressources les plus fines de la langue française, à tel point qu'on a l'impression qu'il a passé plus de temps à consulter le Grand Robert que les partitions. A-t-il raison de le faire et n'est-il pas enclin a parasiter l'oeuvre?
A titre d'exemple de dénotation on peut déclarer que le premier thème du premier mouvement de la sonate K310 de Mozart, est forte. féminin, et dissonant, homophonique et basé sur l'accord de la mineur. Le second thème ainsi que l'exige la dialectique de la forme sonate, est masculin, piano, et consonant, polyphonique, superposant un dialogue à la main gauche puis à la main droite, à une suite de double croches, l'ensemble étant dans la relative majeure, do majeur du ton principal. La coda revêt le rythme de marche inflexible du premier thème, combiné au dessin fluide de doubles croches. L'étrangeté du schéma tient à la dynamique piano de toute la coda, alors qu'on s'attend à entendre un forte qu'appellent la fanfare de la main droite.
Voici donc pour l'exposition de K330. L'information que je viens de transmettre est bien une dénotation verifiée sur la partition. Elle peut être précisée, développée, et falsifiée. L'autographe tranche.
Or voici un échantillon de la prose de Guy Sacre:
" ... la tragédie et la révolte s'engouffrent d'un coup, avec leur tumulte, leur goût de cendre, leurs lueurs d'incendie...."
"L' allegro maestoso de la K 310 agresse (son public). Il est remonté à bloc, comme un mécanisme impitoyable et furibond. Les impacables et souvent discordantes batteries d'accords qui accompagnent le farouche premier thème, au rythme pointé de marche, sont relayées par des basses d'Alberti survoltées. "
Cette description correspond ce que je ressens en jouant l'oeuvre, sans pouvoir l'exprimer. Guy Sacre a fait preuve d'une grande maîtrise de la langue française qui lui permet de décrire les connotations du premier thème. Mais tout change dès le second thème, en parfait contraste avec le premier, et la coda qui renoue avec le caractère d'ensemble de la sonate, et dont on ne peut rien dire de plus évocateur. Or Sacre écrit :
" Le second thème (un thème?) n'est qu'un long fil de double-croches, qui passe d'une main à l'autre, parcouru d'électricité : la conclusion de l'une et l'autre partie confie à la main gauche un trait redoutable, qui court frénétiquement au ras du clavier. Rien ne freine ce rouage, même pas l'indication "calando" de la mesure 14 ".
J'avoue que si je suis surpris par le goût de cendre et les lueurs d'incendie, je le suis encore plus par la ligne à haute tension mortifère qu'évoque pour lui la broderie du deuxième thème.
Sacre se demande d'ailleurs s'il s'agit d'un thème, ce qui montre qu'il n'a pas compris que ce qu'il entend n'est qu'un accompagnement merveilleusement fluide, et que la mélodie principale est à la basse, rappellant par anticipation l'air de deuil de Dona Anna dans Don Giovanni. On ne peut le lui reprocher, car, ainsi que je l'ai noté dans mon analyse de la partition, la plupart des pianistes filent ainsi le deuxième thème et la coda, pianissimo (comme Pires) ou fortissimo (comme Guillels). Ils escamotent ainsi la mélodie sous-jacente au "fil chargé d'électricité".
Alors? Faut-il condamner l'imagination débordante de Guy Sacre? Je ne le ferai certainement pas, car j'ai ressenti moi-même en jouant le deuxième thème et la coda, cette impression de mécanisme fatal remonté à bloc. Je me demandais aussi d'où venait le malaise que m'inspirait leur fausse légèreté, et pourquoi, arrivé au bout du premier mouvement, je me sentais épuisé, presque KO, comme après avoir joué un moto perpetuo interminable. La main gauche contrairement à ce que prétend Sacre, n'a rien de pianistiquement redoutable, mais il est vrai qu'elle court au raz du clavier, et cette frénésie vide nerveusement le pianiste.
Dorénavant, après avoir lu la description de Sacre, je jouerai différemment ce premier mouvement. L'impression de terreur presque paranormale qu'il véhicule par sa prose, se transmettra à mon toucher, à mon jeu et le résultat en sera plus impressionnant.
De même pour le second mouvement, le critique parle de torpeur nocturne et de buée du souvenir, en référence à Debussy, de "choses si secrètes et impalpables et si tenues que des doigts trop brutaux, en vérité, les réduiraient en poudre". Il critique le pianiste maladroit et bien intentionné qui suivrait à la lettre les indications du compositeur, qualifiés d'ahans de bucherons. On ne sait d'où Sacre tire cette comparaison, car les sf. ne sont que des accents et une partie de cette torpeur est notée "forte" par Mozart, et d'ailleurs la mention chantant, ne s'accorde pas à cette ambiance étouffée que prône notre admirateur de Debussy.
En revanche notre commentateur décrit fort bien le développement dramatique de cet andante cantabile, décrit de manière spectaculaire, renforçant les connotations démoniaques :
" L'arrivée sur ut mineur libère des forces maléfiques... " puis leur disparition soudaine dans les profondeurs d'où elles ont surgi : " Comme souvent chez Mozart, il ne faut que quatre mesures pour apaiser on ne sait par quel miracle cette houle, ces flots démontés. Mais on reste longtemps interdit, n'osant reprendre à la mesure 53, cet arpège d'anacrouse qui, au sortir de la tempête, ouvre à nouveau le jardin nocturne.
Tout pianiste qui a joué ce mouvement éprouve sans doute cette sensation des plus étranges que procure la soudaine extinction du climax furieux débouchant dans le vide. On en a le souffle coupé, et on a l'impression qu'on a été emportés par une tornade. Il faut du temps pour récupérer. Mais la basse doit nous rappeler que le tragique n'est jamais loin. Et ce jardin nocturne, n'existe probablement que dans l'imagination de Sacre. Il s'agit tout simplement d'un chant de solitude recouvrant comme un glacis, l'horreur sous-jacente, le feu nucléaire, qui un instant a fusé des profondeurs, comme une coulée de lave inopinée et temporaire, des failles d'un cratère.
La description du dernier mouvement est banale tant les connotations qu'elle exprime sont ressenties par tous les pianistes : fantomatique, oppressant, image même du désespoir, motif inlassable et haletant. Dans celle du trio, dont le mode majeur est "le plus démuni des sourires, et si près de se résoudre en larmes silencieuses", l'auteur emporté par son enthousiasme minimise la pédale obsessionnelle de la, et le contrepoint habile des transitions. Cette pédale est partout présente dans le presto, et à la main gauche, elle se renforce dans le trio (appelé intemède par Sacre).
Le talent incontestable de Guy Sacre Pour décrire les nuances les plus fines de son émotion, Sacre convoque toutes les ressources du vocabulaire. Il arrive ainsi à nous la transmettre. Cette émotion c'est la sienne. Il se peut, comme, dans le cas de cette sonate K310, qu'elle soit accordée à ce que nous conte la partition, et c'est une aide précieuse à la découverte de la signification de l'oeuvre.
Mais trop souvent, il dérape, dès que la pièce dépasse le simple effet de surface et dépasse un certain niveau d'abstraction ou de complexité. Cela ne signifie pas que l'effet de surface n'existe pas. Bien au contraire. Mais ce n'est que la peau de l'oeuvre, le glacis, le "bruit qu'elle fait." Et c'est ce bruit, et plus encore, ce qu'il évoque dans la sensualité musicale de Sacre, qui est si bien traduit par lui
J'avoue que lorsque je veux préciser certaines intuitions, certain trouble, que suscite en moi, une pièce d'atmosphère, j'aime bien recourir aux évocations littéraires du dictionnaire. Mais si je veux me sentir plus près de l'oeuvre, la pénétrer au delà de son aura auditive, c'est à des analyses anglo-saxonnes que je me reporte. Le plus modeste des livrets explicatifs, enfermé dans un emboitage de CD, est parfois plus éclairant, plus riche, plus juste, que les évocations complaisantes et subjectives du gros dictionnaire Laffont.
D'autres critiques musicaux français ont les travers et le talent littéraire de Sacre. Cela commence par le cercle d'admirateurs naïfs de Wagner (comme Louis-Pilate de Brinn'Gaubast), relayés par des critiques mondains comme Bernard Gavoty. Ce dernier (Clarendon) qui ne tarissait pas d'éloges sur les sonorités subtiles de Karajan et sa gestuelle admirables, les yeux fermés, les mains comme des colombes, traita, de même que ses confrères, Wilhelm Backhaus et, si je ne me trompe Claudio Arrau, de telle sorte, que ces maîtres évitèrent de jouer en solistes à Paris. Backhaus ne cachait pas son mépris pour ces mélomanes (mot affreux!) parisiens qui adulaient une nullité arrogante qui se permettait de le traiter de "maître d'école".
Aujourd'hui André Tubeuf prend la suite, et bien des critiques de disque et d'opéras se situent dans ce noble sillage des orfèvres parisiens.
Tout ceci pour conclure par une formule : les Guy Sacre du microcosme parisien, ajoutent leur information à l'information de surface, et cette information couvre le message profond lorsqu'il existe. Il s'agit littéralement d'une information désinformante.
  Mozart. Sonate KV 310, Premier mouvement. 30 mai 2007 .....  L'information derrière l'information. PLAN DU PREMIER MOUVEMENT. Aller aussi à  1       2  En chiffres rouges, le numéro d
Suivi: Jun 01, 23:49