Bruno Lussato

Posons une question simple : en trente ans, le rapport coût:- puissance de traitement informatisé a été divisé par mille. C'est la conséquence de la loi de Moore, qui constate que e rapport est divisé par deux tous les dix-huit mois. C'est ce que l'on appelle une exponentielle. Or, si dans certains domaines d'application tels les caméras électroniques ou les jeux vidéo, soumis à une forte concurrence, les utilisateurs bénéficient de cette fabuleuse baisse de coûts, au contraire dans le domaine réservé que se disputent Apple et Microsoft, on constate une stagnation dissimulée par une offre de plus en plus sophistiquée et des programmes de plus en plus foisonnants et aussi inutiles les uns que les autres. On sait fort bien que lorsque Vista sera lancé par Microsoft, l'obsoléscence organisée qui s'ensuivra se fera au détriment de l'utilisateur. Mais ceci n'est rien à côté du racket organisé par une connivence entre des fournisseurs de logiciels, des cabinets d'audit, des informaticiens. Le but de l'opération est de trouver un moyen de préserver le marché de l'informatique professionnelle de la baisse catastrophique des coûts, dus à la miniaturisation des composants et qui se répercutent à tous les stades du système informatique. Un exemple permettra d'éclairer le propos : dans les années soixante, un rapport édité part Diebold, promettait pour un futur prochain, l'avènement de superordinateurs d'une puissance de plusieurs centaines de K bytes. On pensait alors que grâce à des performances aussi vertigineuses on pourrait se passer de chefs d'entreprise. Un système intégré électronique, assimilerait toutes les données de l'entreprise, les soumettrait à des logiciels d'intelligence artificielle simulant le comprtement décisionnel des plus grands patrons et permettrait de diriger d'une manière optimale.
L'Oréal fut la première entreprise privée française à se doter d'un mégaordinateur, prenant en charge toute la comptabilité, la paye, les données marketing et statistiques. Ce monstre, occupait tout un étage rue du Faubourg St.Honoré, face à Hermès, et finit par mettre le feu à l'immeuble. L'argent touché par l'assurance, fut une aubaine, et c'est le seul cas à ma connaissance d'un ordinateur qui ait prouvé sa rentabilité! La puissance de ce mégaordinateur était inférieure à celle d'un vulgaire PC vendu dans les hypermarchés. Comment se fait-il que les firmes, loin de se contenter de cette capacité, sont encore amenées à gonfler sans fin leur capacité informatique? Ceci touche même des entreprises qui autrefois se contentaient de puissances modestes et qui - sans connaître de surcroît d'activité - peinent à faire face à leurs besoins avec des moyens informatiques mille fois supérieurs?
Il est évident que poser la question, ne peut qu'irriter tous ceux qui profitent - en argent et en statut - de cet état de choses. Et la conjonction de ces lobbies, pèse sur les décideurs finaux, les dirigeants, effrayés à juste titre par l'opacité du jargon et la terreur des pannes et mesures de rétorsion des sociétés de conseil. Récemment, un patron, en dépit de mes avertissements, s'engagea dans la mise en place d'un mégasystème informatique qui dut être abandonné avant même d'entrer en application. Le chiffrage des pertes équivalait à celui d'un incendie de cinq usines, non couvert par les assurances. En dépit de ce désastre, il fallut des années pour convaincre le patron d'arrêter l'hemorragie. Ce même patron était pourtant connu pour sa radinerie, et sa propension aux économies de bouts de chandelle. Un autre patron, qui m'avait promis de ne pas engager sa firme dans un programme SAP maximal, finit par céder aux pressions des auditeurs américains qui imposaient pratiquement des logiciels ruineux, sous couvert de transparence. Le cas célèbre de connivence fournisseur de logiciel-auditeur, qui devait entraîner la chute d'Arthur Andersen, est loin d'être une exception. Des précautions sont prises maintenant pour éviter des liens trop visibles mais les pratiques restent.
Les informaticiens intègres ou lucides qui ont essayé de lutter contre les abus, ont vite compris : ils ruinaient leur carrière et étaient excommuniés de la profession. Les polémiques haineuses que dut subir Carr, auteur d'une dénonciation des abus, publiée dans le journal de Harvard Business School, font écho à la conspiration du silence que rencontra le livre de vulgarisation que je publiai avec François de Closets chez Fayard. (L'Imposture Informatique). Cette rubrique contient des cas où l'abus de position du lobby informatique, ses causes, ses ressorts, sont étudiés. L'arme essentielle étant la désinformation des dirigeants. Les commentaires et la participation des informaticien soucieux de leur anonymat, sont bienvenues.