La dialectique centralisation - décentralisation
Deux systèmes autojustifiés (suite)
Les limites de la centralisation
Ci-contre reproduction d'une page de la plaquette éditée par l'ISD pour ses sponsors et présentant l'informatique de MAtrix comme une pieuvre tentaculaire et sournoise.
Tant que le système est de taille humaine, la centralisation peut fonctionner correctement. Ce qu'on appelle la taille humaine, est la possibilité pour le patron (ou le chef) de rencontrer, de dialoguer, de sentir, le terrain, soit directement (les clients) soit indirectement (en interrogeant les employés et les travailleurs de la base).
On n'insistera jamais assez sur le fait que les messages montants comme les messages descendants, ne sont pas totalement formalisables et encore moins chiffrables.
Désinformation des messages ascendants
La connaissance du terrain : clientèle, perception de la population, produits du cru, relations avec les maires et les élus locaux, bonne tenue des locaux, sécurité des biens et des personnes, fait intervenir des éléments qualitatifs très nombreux, contradictoires et instables, le plus souvent n'apparaissant que par des indices voilés qu'il faut décoder. Seuls des hommes expérimentés; connaissant bien la vie de la base, la clientèle, les produits, les machines, et travaillant en harmonie, peuvent affronter les aspérités du réel; plus on grimpe dans la hiérarchie, plus on perd de détails significatifs, l'intuition et l'observation tend à être émoussée par la variété et l'ampleur des problèmes qui assaillent les patrons. Il faut ajouter à cela, que les échelons intermédiaires ne présentent de la réalité que ce qui leur permet d'améliorer leur statut, leur pouvoir et leur rémunération. On connaît bien l'éléction "irlandaise" dans laquelle les chefs recommandent les subordonnés moyens, écartant les médiocres et les mauvais, mais aussi les meilleurs, plus indisciplinés et pouvant un jour leur faire ombrage.
Désinformation des messages descendants Une entreprise qui marche (on dit qu'elle a l'esprit entrepreneurial), repose avant tout sur le charisme de son dirigeant, son aptitude à faire partager ses buts, d'exiger des sacrifices et de soulever par son enthousiasme des montagnes d'inertie. Kojeve avait cité quatre formes d'autorité, comme HAyakawa, quatre types de langages, qui montrent l'importance des traditions, de l'équité, de la vision du futur, et du maintien coercitif de l'ordre. Ces quatres formes doivent être équilibrée et parvenir jusqu'au dernier ouvrier de la firme.
Or toutes ne résistent pas également à l'absence de contact direct. Par exemple le langage mythique et le langage vernaculaire, ont tendance à se transformer en langue de bois, le véhiculaire ( purement informatif) et référendaire (basé sur des chiffres et des données juridiques) sont secs et ennuyeux. Ils tuent émotion et motivation.
Lorsqu'une entreprise a moins de huit cent employés, et à condition que le turn-over ne soit pas excessif, le patron peut communiquer directement avec le personnel et émettre des jugements équitables. Mais dès que le nombre d'échelons hiérarchiques s'accroit entre la base et le sommet, dépassant quatre intermédiaires, l'influence perturbatrice et désinfomante de "l'empire du milieu" se fait sentir. Le patron ne peut plus juger que sur cartes, et ses incursions, même fréquentes au contact du réel, sont généralement "préparées" par son état major et biaisées sans qu'il ne se rende compte.
Un exemple de publicité d'une firme d'informatique (le commentaire est de moi!) . La personne humaine est réduite à une masse de chiffres absurde, disproportionnée. Le contraste est tristement comique entre la figure satisafaite du technocrate, et les connotations grandioses des nombres qui le qualifient. Cela donne une idée du niveau culturel des spécialistes marketing de la majestueuse entreprise, et des prospects à qui ils s'adressent. Ce cas n'est pas évidemment propre à la firme allemande. Il est absolument général.
Le management superficiel
Ces remarques avaient conduit Alfred Sloan jr. dans les années trente à fractionner de grandes firmes comme la GM en entité gouvernables et se faisant concurrence entre elles. Au lieu d'avoir un hypermoule central, composé d'experts en marketing, en relations humaines, en production, en finances, en juridique, etc... on avait autant d'hypermoules que de divisions fractionnées. Ce que l'on appelait du nom barbade de divisionnalisation. Sloan fractionna la GE en cing grands départements autonomes : Chevrolet, Dodge, Pontiac, Oldsmobile et Cadillac, ayant chacune leurs fonctions au complet, c'est à dire des hommes ultracompétents dont le pouvoir concurrençait celui de leur homologues du siège.
Une question à un dollar : les directeurs du siège et leur staff furent-ils des supporters enthousiastes d'une réforme, qui détournait la plus grande partie de leur champ d'influence, vers des divisions locales?
La question porte la réponse. L'argument principal des "centralisateurs", nous l'avons déjà exposé dans la théorie de l'hypermoule. Un hypermoule coûte moins cher que cinq hypermoules. Un seul directeur juridique pour une firme de cent mille personnes, assistés de zombies locaux obéissant à leurs instructions, coûte moins cher que cinq directeurs juridiques compétents locaux. Il y a pire : la compétence est aujourd'hui une ressource moins rare et moins chère, grâce à la prolifération des grandes écoles, et le mouvement créé par les chasseur de têtes. Que deviendrait le directeur juridique d'une firme divisionnalisée, dont l'ancienneté et la routine, le rendrait moins efficace que de jeunes loups sortis des business schools?
Matrix
Le raisonnement qui jadis sous-tendait la départementalisation par divisions (c'est à dire la décentralisation) prend aujourd'hui valeur d'évidence. Minsky a montré que les transnationales géantes sont gérées par des patrons surbookés, incapables de faire prospérer une entreprise sinon par des "coups" fumants et une croissance externe. Il ne s'agit plus de gérer en bon père de famille, de faire partager aux actionnaires (familiaux et stables) une vision commune, et de répartir raisonnablement les bénéfices issus de l'activité managériale. Non. Minsky parle de "management superficiel". Cela ne signifie pas que les firme dirigées ainsi de loin par des presbytes, soient condamnées. On a vu qu'elles peuvent au contraire subsister par prédation, en assimilant le milieu extérieur à leur structure et à leurs handicaps.
La mafia peut se permettre d'être gaspilleuse et mal dirigée. Les profits sont tels qu'on peut diriger les branches de "casa nostra" comme de loin. Or les différentes théories d'organisation, montrent que les entreprises centralisées géantes, sont non seulement incapables de créer des managers créatifs et sensibles au terrain, (réduction des hypermoules), mais que de plus elles sont affectées de maladies psychosomatiques et structurelles qui les livrent à des parasites prédateurs, notamment les sociétés de conseil en marketing, en informatique, les banques, les syndicats, etc... Par ailleurs ces entreprises sont fondées sur la loi de la jungle ou le plus gros mange le plus petit. Cela conduit irresistiblement à la raréfaction des hypermoules, un accroissement de la banalisation générale, mais surtout à une bipolarisation entre très riches (les maîtres de l'hypermoules) et pauvres (les zobies répliqueurs) voire les misérables (l'exploitation du tiers monde, par exemple à Dubaï).
La voie de la décentralisation est-elle possible?
Elle l'est mais malaisément à cause de la puissance de tous ceux qui ont intérêt à s'y opposer. La décentralisation est en effet un système autojustifié à l'instar de la décentralisation, ainsi que le montre l'axiomatique suivante :
1. En fractionnant la firme en un grand nombre d'entreprises à taille humaine, on provoque un afflux de gens de talent.
2. Ces derniers, étant autonomes, tout en bénéficiant des appuis et des relations du siège, peuvent se consacrer avec enthousisame à la satisfaction des besoins de leur zone d'action.
3. La réduction de la taille permet un effondrement de la complexité informatique, une centration sur le terrain et le client, l'élimination des intrigues de palais, une adaptation aux conditions locales.
4. Le rapport entre patron et chef devient direct, humain et basé sur une connaissance du terrain qui rend obsolète les cartes topologiques concoctées par les prédateurs marketing du siège.
5. Le système peut être mis en place de manière évolutive, progressive. En effet une unité locale autonome peut évoluer, grandir, disparaître, sans affecter l'ensemble de la firme. La gangrène est supprimée.
6. Passer d'un système décentralisé à un système centralisé est aussi aisé que brùler une forêt, ce qui est difficile c'est de replanter.
Aussi l'organisateur honnête qui désirerait décentraliser et faire passer les promesses du siège, de la langue de bois à une réalité, (promettre une réforme , mais ne pas l'appliquer est une des lois de Grrenne, sur le pouvoir) devra-t-il s'attendre à voir se dresser toutes les armes de la mauvaise foi contre lui. C'est la raison pour laquelle j'ai entamé avec mes collègues de l'ISD, ce travail sur le désinformation avant de me lancer dans des opérations d'allègement des structures hypercentralisées. Bien m'en a pris, je n'en dirai pas plus aujourdhui.