*** La dialectique centralisation/décentralisation
Ce texte suppose connue la signification de ces termes, passés dans la langue courante. Le but de ces notations est de les axiomatiser afin de prouver qu'ils sont cohérents, autojustifiés et incompatibles.
Cohérence
Le postulat de base de la centralisation tient en trois assertions : les hommes sont bêtes, malhonnêtes et paresseux. Il s'agit d'une dérivation du paradigme impérial qui postule l'existence d'un principe transcendant, universel et éternel, dont la vertu se transfère à un médiateur humain :le chef. Ce dernier étant investi de la grâce surhumaine, est intelligent, probe et travailleur. On l'a deviné c'est le patron de droit divin ou ayant gagné ses galons par une lutte d'obstacles épuisantes. C'est aussi le guide, le président d'une république, le dictateur.
On peut construire à partir des trois assertions les dérivations suivantes :
Les hommes étant bêtes, il faut leur mâcher le travail, en décomposant les difficultés en petites opérations, comme on découpe la viande en petis morceaux pour la faire avaler à un enfant récalcitrant. C'est le travail en miettes selon l'expression de Friedmann. Ce travail n' pas de sens autre que très local.
Les gens étant malhonnêtes il faut les contrôler par des vérificateurs, qui à leur tour, sont assujettis à contrôle. Seul le chef en est dispensé.
Les gens étant paresseux, il faut les faire pointer.
Si nous rapprochons cette logique de celle de l'hypermoule, nous constatons que les employés ne sont que les clones d'un hypermoule détenant l'intelligence, la probité et le dévouement total à la firme.
Le paradigme impérial intégriste
Pris à la lettre seul le principe transcendant : peuple, dieu, volk , prolétariat, parti, être suprême etc. est incorruptible car non -humain. L'homme est frappé d'un pêché originel qui le rend vulnérable aux tentations du démon : paresse, malhonnêteté, égoïsme, bêtise etc. Par conséquent il faut faire contrôler de près tout détenteur du pouvoir de décider, en le ligotant de telle sorte dans les règlements, qu'il n'ait plus la moindre marge d'autonomie. C'est le pouvoir à haute néguentropie (qui prive l'individu de tout pouvoir réel, qui on l'a vu exige une forte entropie). D'où la mise en place de structures indépendantes et immuables, composées de morts ou de zombies incompétents et désinteressés, qui puissent régenter même le représentant le plus élevé du Principe Suprème.
Lors du choix de la Grande Bibliothèque, (site françois Mitterrand), la décision qui a abouti au plus absurde des projets, é ete prise, non par le Président de la France, mais par une commission de spécialistes ne connaissant à peu près rien du fonctionnement d'une bibliothèque. Les bibliothécaires et les lecteurs ne furent pas consultés car on ne pouvait admettre dans la commission des juges et parties.
On peut en dire de même pour cette autre monstruosité que fut l'Opéra Bastille. Si le choix du lieu fut idéologique et obéissant à toute rationalité, en revanche celui de l'architecte échappa à tous les interessés et à tous les compétents. On aurait dû normalement faire appel à des architectes ayant montré leur maîtrise dans la construction de salles d'opéra, mais cela eût entraîné une intervention humaine, un choix conscient et motivé, avec une part d'arbitraire certes, mais surtout la possibilité de soupçonner une cote d'amour, des ports de vin ou des connivences politiques. EN faisant appel à une commission bureaucratique on était sûrs d'éliminer toute influence humaine corruptrice. L'architecte choisi, Ott, n'avait jamais construit quoi que ce soit d'important, ni même de significatif, on l'aurait choisi d'après une table de nombre aléatoires, on n'aurait pu faire pire.
La bureaucratie à la française
Non, ce terme polémique n'est pas de moi! On le doit à Octave Gélinier, un des plus éminents introducteurs en France de la notion de décentralisation. (cf. son ouvrage sur Les structures compétitives) et ce n'est pas Michel Crozier, le plus grand expert en la matière qui le contredirait. On doit à notre glorieux pays, non seulement les Droits de l'Homme, le génocide vertueux (la Vendée), la naissance de la Commune, mais aussi une forme extrême de bureaucratie.
Son origine remonte à Louis XIV qui déclarait "L'Etat c'est moi!" laissant entendre que cette assertion était légitimée par Dieu lui même. Le Roi-Soleil était donc surhumain et comme tel ne pouvait de tromper. Il suffit de lire les hagiographies de Molières pour découvrir qu'en ce monarque se concentraient le bonheur, l'utile, le moral, le beau, le vrai, le progrès, en bref, toutes les valeurs HUMELD. La hierarchie qui assurait par délégation la transmission du pouvoir du trône au tiers Etat, était assurée par d'anciens nobles provinciaux, dotés d'une large autonomie, mais réduits à l'état d'animaux de basse-cour.
Et voici qu'un de ceux-ci, Nicolas Fouquet, commit l'imprudence de vouloir surclasser le monarque divin, dans la splendeur de Vaux-Le-Vicomte, le brillant culturel des La Fontaine et des Mme de Sévigné, le raffinement de Mansart. C'était contrevenir au postulat de l'empire. Il fut exilé, comme le sont les oligarques qui aujourd'hui portent ombrage au pouvoir de Poutine. Il fallait faire un exemple, comme ces sultans qui coupent la tête de leurs vizirs lorsqu'ils prennent trop d'influence, ou Staline ordonnant des purges de hauts dignitaires, comme on ordonne une saignée. Mais il fallait être en place une système de relais entre le trône et la populace qui ne soit pas suspectée de détournement de pouvoir ni de corruption. Ce fut à Monsieur de Colbert que revint le mérite d'avoir découvert le paradigme bureaucratique parfait, que le monde entier ne nous envie pas mais qu'il imite en le perfectionnant.
Le postulat fondateur de la bureaucratie à la française tient à trois assertions
1.Les décideurs doivent être totalement étrangers aux conséquences de leurs décisions qui ainsi seront totalement neutres.
2. Les décideurs ne doivent pas avoir de passions, de préférences, de préjugés, de sentiments, ils doivent obéir à la raison pure et ne pas tenir compte des cas particuliers, sujets à des appréciations subjectives.
3. Qui vole un oeuf, vole un boeuf. Il faut tout contrôler, y compris et surtout, la taille au dessous de laquelle un crayon est considéré comme trop usé pour être inséré dans un prote crayons.
Le réponse à ces exigences est d'une géniale simplicité : seuls des morts remplissent ces conditions. Seul des morts doivent par conséquent décider de toute l'activité d'une nation. Si l'on considère la mort comme la privation de la vie, on peut dire que des textes juridiques, des règlements administratifs, élaborés par des experts ignorant tout des questions sur lesquelles ils statuent, ce qui les met à l'abri de toute influence, le système de pouvoir mis en place par Colbert fut une immense nécropole. Par exemple, on pourrait penser que le meilleur juge de la valeur d'un employé ou d'un ingénieur, est son patron ou ses pairs, mais ce serait faire intervenir des sentiments personnels. En aucun cas un chef ne doit pouvoir juger de l'avancement ou de l'exclusion de son subordonné. Ce pouvoir, qui est l'un des plus importants, est réservé au monarque suprême, c'est à dire à Dieu (ou à l'Etat, ce qui revient au même). Comment cela? En cataloguant tous les cas relevant de la plus minime de la décision, avec toutes les variantes contextuelles, et en trouvant par le prodige de la raison pure, la réponse juste, l'ordre juste, la décision juste. Par exemple la promotion d'un employé se fera par voie de concours aveugle, et sera jugée d'après des critères définies par des commissions dont les membres n'on aucun contact suspect avec les acteurs réels. C'est ainsi que fut choisi l'architecte de l'Opéra Bastille. Jean Nouvel me dit amèrement, lors d'une visite qu'il rendit à mon centre des Capucins : l'Institut du Monde Arabe, ne reflète pas mon projet mais exprime visuellement les textes administratifs arbireaires qu'on m'a imposés et qui sont le resultat de compromis entre bureaux et factions, n'ayant rien à voir avec la fonction réelle.
Le principe scalaire
Ici, tous sont égaux, mais il y en a qui sont plus égaux que d'autres
Orwell, Animals Farm
Ce que je viens d'exposer peut paraître aberrant. Ce l'est effectivement, et seules des organisations étatiques ou assurées de leur survie, indépendamment de leur efficacité, peuvent appliquer les principes de la bureaucratie à la française.
La plupart des chefs d'entreprise voudraient bien obtenir de leurs troupes la discipline des assujettis aux textes bureaucratiques et supprimer tous les postes de responsabilité, mais ce serait condamner leur firme à un dépérissement rapide. Aussi un compromis a été trouvé que l'on nomme le principe scalaire.
Le chemin qui mène de la base (l'employé opérationnel ou l'ouvrier) au sommet (le patron) est jalonné par des sortes de barreaux d'une échelle. Les gens de la base qui veulent gagner de l'argent du statut et du pouvoit, doivent gravir les barreaux de l'échelle. Au fur et à mesure qu'on s'élève dans l'échelle hiérarchique, les cadres intermédiaires deviennent de plus en plus honnêtes, intelligents et travailleurs.
Ce principe entraine un certain nombre dé dérivations.
1. Les supérieurs hiérarchiques doivent avoir une autonomie et un pouvoir discrétionnaire de décision supérieur de leurs subordonnés.
2. Les supérieurs hiérarchiques ne doivent pas leur qualités d'intelligence, de travail et d'honntêteté à leur tempéramentn ni à leur esprit, mais à leur proximité du sommet. Les flux positifs d'honnêteté, de dévouement, d'intelligence et de compétence, tombent en pluie depuis le trône, jusqu'à la base, mais malheureusement il y a une perte en ligne, et c'est pourquoi, les décideurs locaux, proches du terrain, ne sont pas seulement cantonné à des domaines plus restreints (ce qui est normal) mais contrôlés plus étroitement et leur autonomie (décision discrétionnaire) parce qu'ils sont moins honnêtes, intelleigent et travailleurs. Ce postulat est sanctionné en France par la loi, qui limite le travail des non-cadres à 35 heures (au delà, ils fatiguent) alors que les cadres ne sont pas limités par leur horaires. Quant au patron, ou aux hauts fonctionnaires qui pondent des limitations d'horaires, ils travaillent des soixante dix heures par semaine. Ainsi se crée une polarisation entre sommet et base.
3. Au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie, le nombre de postes disponibles s'amenuisent. Ce phénomène est dû à une tradition et à un postulat. La tradition est militaire. Dans l'armée romaine, le "span de contrôle" (l'éventail de subordination) est de dix. Dans les organisations modernes, Graicunas l'a fixé au nombre de Miller : sept plus ou moins deux. Le postulat est que les gens intelligents, capables et travailleurs, ainsi que les honnêtes serviteurs, sont de moins en plus nombreux lorsqu'on s'élève dans la hiérarchie. C'est pourquoi, si l'on veut gagner du statut, il e est indispensable de s'élever dans l'organigramme. Cela revient à perdre de vue le terrain pour se rapprocher de la salle des cartes. Un excellent opérateur du terrain, perdra ses qualités en accédant à un domaine qui lui est étranger. C'est ce qui provoque le Principe dit de Peter. On continue à grimper jusqu'à ce qu'on atteigne son niveau d'incompétence. Certaines mauvaises langues prétendent que Sarokozy ferait un excellent directeur régional chez Carrefour, que de Villepin serait parfait comme directeur de elations Publique à l'Oréal, que Madame Ségolène remplirait parfaitement le rôle d'assistante social dans un grand groupe ou comme représentante d'un centre pour handicapés de luxe (il faut pouvoir la payer), le père Le Pen serait convenable comme patron d'un café du commerce, et Chirac, s'est révélé un excellent maire de Paris.
Synergie et économie d'échelle
De tout ce qui précède, il s'ensuit que les hommes travailleurs, honnêtes et compétents (car sortis de grandes écoles) sont une ressource rare et chère. Un petit nombre de ces têtes d'oeuf doivent prendre des décisions qui engagent la vie de la firme et qui seront imposées à la masse des employés intermédiaires et de la base, grâce au système de démultiplication hiérarchique et à la bureaucratie à la française. Il s'ensuit que ces supérieurs hiérarchiques peuvent être con-
sidérés comme des hypermoules, fabriquant des comportements standardisés imposés aux cadres intermédiaires, dépourvus d'initiatives créatrices et cantonnés à la formation et au contrôle des opérationnels. Ils sont comparables à des clones standardisés.
De deux entreprises, c'est celle qui concentrera tous les pouvoir dans le moins d'individus possibles, qui sera plus rentable que celle qui en délégant et en conférant l'autonomie à un grand nombre de subordonnés, multiplier inutilement les nombre d'hypermoules. Il faut concentrer les resourrces rares et chères et les mettre à la disposition du plus grand nombre possible d'opérateurs sous-payés.
Evidemment, ce n'est pas ainsi qu'on va argumenter dans les milieux orientés par le paradigme impérial. On va se plaindre qu'on ne trouve pas - ou plus - sur le marché, de cadres compétents. Que lorsqu'on donne un semblant d'autonomie aux gens d'un niveau inférieur, ils trichent ou ils font des bêtises qui engagent toute la firme. Ceci n'est pas faux, car il est compréhensible que des cadres motivés, imaginatifs et mûrs, n'aient aucune envie d'entrer dans des entreprises qui ne leur proposent que des rôles routiniers. Il est tout aussi compréhensible que lorsqu'on donne le pouvoir de décider (donc le risque de sanctions en cas d'échec), à des cadres intermédiaires, ceux-ci ne soient guère enthousiastes. Ils savent fort bien qu'à la moindre maladresse, ils seront discrédités et que leur échec viendra renforcer la croyance dans postulat centralisateur. Le système est donc auto justifié.
A suivre