Masterclasses
Ce sont des séminaires organisés - en général prendant les vacances - par des artistes expérimentés à l'intention des professionnels auquels se joignent souvent des étudiants doués ou des amateurs passionnés. Parmi les plus célèbres celles d'Alfred Cortot, viennent d'être rééditées en quatre DVD. On a malheureusement coupé l'exécution par les apprentis pianistes afin de la comparer à celle, magistrale de Cortot. Dans ma discographie très partielle de la Sonate en la mineur pour piano de Mozart, j'ai omis de citer les quelques mesures jouées par le maître, plus connu par ses interprétations de Chopin. Elles sont conformes à sa réputation. Il joue n'importe comment, avec tous les maniérismes les plus désuets, et plus de fausses notes que de notes correctes. Le tout ponctué par des "bon, bon!". Il y a de quoi horrifier l'orthodoxe respectueux du texte que je suis! Et pourtant à ma grande surprise, je dois avouer que de toutes les interprétations que j'aie entendues, c'est la vision de Cortot, qui m'a apporté le plus d'enseignements. Sous ses doigts, la musique ne chante pas, elle parle! L'artiste met au dessus tout la puissance expressive et dramatique du jeu, la clarté de l'élocution, et il y parvient. Toutes les autres interprétations semblent pâles et artificielles à côté de ce son unique en dépit des insuffisances de l'enregistrement. Les mots convaincant, incontournable, psychologiquement juste, esthétiquement enthousiasmant, le viennent à l'esprit quand j'évoque ces masterclasses d'un artiste qui a été bien méprisé en fin de carrière, mais qui en dépit de ses inégalités et de son trac, demeure un exemple de probité artistique.
Préparation en cours, Des masterclasses de management et de théorie des systèmes sur ce blog, pourquoi pas?
Masterclasses sur un blog. Pourquoi pas ?
Les masterclasses sont des séminaires destinés aux jeunes professionnels et aux amateurs passionnés de musique ou de danse. Il se tiennent en général au moment des vacances, dans un endroit agréable et décontracté et l’ambiance est à la fois d’une grande concentration et d’une décontraction formelle propice aux échanges.
Ce blog, on l’a noté, a un caractère pédagogique assez dense et certains de ses articles sont destinés à des professionnels.
L’idée m’est venue hier, en réfléchissant aux milliers de visites de gens cultivés, passionnés et curieux qui me font l’honneur de s'interesser à ce petit blog, de les faire profiter de mon expérience professionnelle. J'entends par là plutôt que les matières que je connais le mieux (autrement il faudrait faire état de mon analyse du Ring), celles qui me font vivre et qui sont sanctionnées par des diplômes et des enseignements dans de grandes universités.
Or mon métier officiel est l’enseignement et la recherche en management des systèmes, à savoir la profession de spécialiste en organisation qui est à celle d’informaticien, celle du médecin par rapport au radiothérapeute. L’organisateur est le médecin de l’entreprise, alors que l’informaticien ne fait qu’appliquer des moyens préconisés par l’organisateur.
Je puis distinguer plusieurs stades dans la carrière d’un professeur-conseiller d’entreprise.
1. Les années d’apprentissage, comprenant un MBA, des stages dans des entreprises et un PhD. On y acquiert non seulement la connaissance nécessaire à l’accomplissement des tâches professionnelles, mais aussi celles qui vous permettent d’acquérir un statut et une reconnaissance professionnelles.
2. Les années d’enseignement. Elles vont du poste modeste d’assistant ou de chef des travaux, à celui de titulaire d’une chaire respectée dans un grand établissement de réputation mondial. Au fur et à mesure de sa progression, le professeur devra démontrer qu’il fait partie de l’establishment. Le moins qu’on puisse faire est de connaître tous les travaux de son domaine, et de publier dans les organes incontournables de la profession. Ecrire des livres, notamment des manuels, est déjà moins prisé. Aux Etats-Unis, les leaders universitaires n’écrivent pas de livres de cours, ils publient dans l’Administrative QUaterly des articles formatés, remplis aux trois quarts de statistiques et de protocoles de laboratoire, de références universitaires, et le moins possible d’idées personnelles surtout si elles sont basées sur l’intuition ou le bon sens. L’écriture à ce stade est référendaire pour utiliser le mot d’Hayakawa, c'est-à-dire bourrée de références. Par exemple vous pouvez lire dans l’article sur la psychologie du temps, signée par Paul Fraisse (dans le traité de psychologie expérimentale publié aux PUF) que lorsqu’on vieillit, le temps passe plus vite, assertion suivie par (Michaux 1934), référence qui nous apprend que l’honorable chercheur a abouti expérimentalement cette donnée de bon sens. Le 1934 se réfère à la bibliographie exhaustive figurant en fin de l’article. Le délire quantitatif universitaire atteint des pics aigus dans le Behaviorisme et la psychologie de l’art. Ainsi Francès a commis un énorme travail sur la psychologie de la musique dans lequel il manie avec virtuosité la zététique appliquée à la musique sérielle. Ainsi il a pu démontrer expérimentalement en laboratoire, que la musique dodécaphonique de Schoenberg ou de Berg, est rigoureusement inaccessible à l’entendement et surtout à l’appréhension artistique. Il est parvenu aux mêmes conclusions pour la fugue de l’op 106 de Beethoven, Il n’est pas loin de l’appréciation sévère de Guy Sacre : Beethoven n’aurait pas dû l’écrire. Ce résultat imbécile est dû non pas au fait que Berg est inécoutable (Wozzeck par exemple, bien que les plus grands chanteurs en puissent chanter tous les rôles et que d’innombrables mélomanes aient en tête les mélodies) mais à l’ignorance des détracteurs et leur manque d’accoutumance à la musique dodécaphonique. Le fait de choisir les sujets de l’expérience par un procédé aléatoire, et qu’on leur applique des critères étrangers à l’œuvre, est déjà incongru du point de vue épistémologique mais accordé au purisme scientifique ou qui se dit tel.
3. A un stade plus avancé, les professeurs les plus doués et les plus créateurs, quand il n’ont plus rien à prouver, et qu’ils prennent du recul, abandonnent le langage référendaire au profit d’une expression dépourvue de tout jargon, et ayant recours souvent à des métaphores. De même la bibliographie tatillonne et exhaustive en fin d’ouvrage, est-elle remplacée par des références aux quelques maîtres à penser qui ont influencé le créateur. Les titres des ouvrages figurent en bas de page. Freud, Jung, Campbell, Lewin, Hall, ou Shannon, font montre de cette sobriété, qui les ferait passer pour des amateurs s’ils étaient plus jeunes ou moins connus.
4. Cette pauvreté apparente des références universitaires, est due non seulement au fait qu’elles sont le plus souvent inutiles étant donné que le lecteur professionnel les connaît et qu’il les considèrent comme inessentielles, mais à celui que les connaissances glanées tout au long d’une vie sont intériorisées par le créateur, qui les utilise, les métamorphose, les combine, les formalise, et en fin de compte en oublie la paternité.
5. En ce qui me concerne, je pense être passé par ces phases, et au contact d’une réalité de terrain que je n’ai jamais quitté, j’apprends à raisonner avec bon sens.
Je crois avoir écrit quelque part, que vers les années 90, je m’aperçus que le programme que j’enseignais était une carte désormais sans territoire. C’est avec soulagement que je pris une retraite – d’ailleurs tardive – pour me consacrer uniquement à la poursuite de modèles d’entreprise plus conformes aux nécessités du terrain. A partir de l’an 2000, le paysage s’éclaircit et on vit apparaître les pics et les lignes de crête, qui ne sont visibles que de loin et qui vus de prés sont cachés par des multitudes de pics et de rochers.
Il m’arrive très souvent que mes anciens élèves et mes clients me posent une question pressante : quels sont les ouvrages qu’il faut avoir lu ? Si vous deviez vous réfugier sur une île, que prendriez-vous avec vous ? Ces questions reviennent à postuler qu’avec le recul que permet une pratique entretenue pendant plus d’un demi-siècle, les lignes de crête apparaissent et qu’ils veulent en bénéficier.
De ces réflexions ruminées à longueur de journée, vient l’idée de ces master-classes. Je voudrais bien communiquer, mon sentiment sur ce qu’il est vraiment indispensable de connaître dans ce XXIe siècle en mutation, quels sont les rochers résistant à l’érosion des stéréotypes, et aux coups de boutoirs de la mode amplifiée par les intérêts économiques.
Vous pouvez donc vous attendre à trouver un article sur « ce qu’il faut vraiment savoir, et qui est méconnu ou caché » dans l’organisation des systèmes gigantesques qui nous imposent leurs pratiques et leurs normes, et la vision du monde qui les étayent et qui est présentée par les maîtres du système comme une réalité ou une fatalité incontournable. Notamment j’aborderai les problèmes ayant trait à la centralisation, au principe de subsidiarité, aux la notions de spécificité et de banalisation – déshumanisation, enfin à une critique de l’esprit de Davos et de division mondiale du travail.