CHRONIQUE
FERRAGOSTO
C'est ainsi que les Italiens nomment le 15 Août. Je suppose que cela vient de Ferro et Agosto c'est à dire Août de fer.On entend par là le milieu sinon de l'été, du moins du mois. Pour moi le 15 Août marque le déclin de l'été, ce dernier tiers. Il y a belle lurette que les jours racourcissent sans que la chaleur étouffante qui nous écrase se dissipe. Paris est vide. Le vide des vacances collectives s'ajoute au vide de la paresse bien de chez nous. L'année dernière il faisait près de 35 à l'ombre et il nous fut impossible, rigoureusement impossible de trouver une pharmacie de garde ouverte. Ce 15 août on annonce 37° mais c'est quarante. Quarante degrés poisseux, pollués, sans un brin de brise. Chez moi la personne de garde pour des raisons de sécurité arrose tous les jours les géraniums de la loggia. L'erable peine et au dehors les maronniers ont revêtu leur affreuse parure d'automne, couleur rouille.
Hier je nageais sur le dos dans la belle piscine du château et j'admirais le vert lumineux de la riche végétation, le bleu du ... je m'arrête ici car il n'était point outremer mais lilas. Un ciel violet, oui, pas bleu, mais d'un violet étrange. Les frondaisons étaient d'un vert tirant sur l'orangé. C'est bien la première fois de ma vie que je vois un ciel violet. Jean Marie Mezerette, mon homme à tout faire, nageait auprès de moi et témoigna : le ciel était bel et bien violet. Il n'avait jamais vu cela. C'est comme si un voile rosé s'était abattu devant nos yeux.
Je nage généralement les yeux fermés. En les ouvrant après quelques temps, le ciel était redevenu bleue. Mais pas pour Mezerette ! Voici quelques siècles, on eut pris cela pour un présage, une apparition du démon, un prolégomène des catastrophes imminentes.
Bien des vicissitudes ont jalonné les deux premiers tiers de l'été. Juin à l'hôpital de Villejuif pour une opération problématique. Beaucoup de travail chez moi. Juillet, la joie de vivre à San Remo, dont la dernière semaine a été assombrie par l'abandon inexpliqué des Poliakoff. C'est malade de stress que j'ai regagné le château, après avoir appris que les résultats de mon opération m'imposaient de reprendre tout à zéro le premier Septembre. Juste auparavant je dois passer trois jours à Moscou avec Marina qui en rêve mais qui craint les effets de la dépressurisation pour ses oreilles.
Je crains la journée de Lundi. Je dois retirer mon passeport afin d'y apposer mon visa, remplir les formulaires correspondants et un bilan de santé, voir à Nyon un otorhino pour les oreilles de Marina, et recevoir Oleg qui vient me voir de Moscou. Je vais notamment de le tenir au courant de l'évolution de la collection Deripasca-Lussato, ce Western Mingei-kan qui a pour ambition de surclasser la collection Montgomery.
Je dépends de la compétence de Phiippe Boudin, mais j'essaie de poser des questions et de détecter les contradictions. Notamment je suis en train de comparer pièce par pièce nos collections respectives. En sortent des interrogations que nul livre n'aborde. Par exemple : pourquoi une pièce à l'état neuf est moins prisée qu'une qui a subi les outrages du temps, et qu'en même temps on justifie l'achat d'une pièce parce qu'elle est en parfait état? Quel est le rôle de l'ancienneté. Après tout un Raffaël est moins ancien qu'un Cimabue ! La parti pris de Montgomery de négliger des pièces kamakura serait alors fondé. Puis, si sont authentiquement Mingei des pièces courantes pour le peuple et par le peuple, selon le voeu de Yanagi, la plupart de ce qui est exposé n'importe où satisfait rarement cette condition. Les exemplaires exposés n'étaient pas à la portée du peuple ordinaire et étaient exécutées et quelquefois signées par de grands professionnels.
Il m'est instamment demandé d'écrire un livre qui tienne compte de ces questions et accompagne le WMK. Mais il devra être en anglais et tenir compte de l'ensemble de la bibliographie. Il me faudra rapatrier les pièces sockées à UCCLE et les sauvegarder au Musée du Stylo, puis les photographier et les répertorier. Où prendre le temps et l'énergie?