CHRONIQUE
ESSAIS EN MUSÉOLOGIE
Je fais allusion à notre musée "Western Mingei-kan" à Oleg et moi. Il est au point où on peut le considérer, en dépit de lacunes qu'il faut combler au fur et à mesure, comme ayant dépassé le principal musée du genre en occident, la collection Montgomery, ensemble très publié et présent dans la plupart des catalogues d'expositions en Occident. Il devient donc nécessaire avant de ménager une pause estivale (qui n'existe pas, car Boudin travaille activement pour nous au Japon pendant ce temps) de tracer une taxonomie des objets (classement raisonné) et un plan de développement. C'est cette réflexion très générale que j'aborde ici, car elle s'applique à n'importe quel domaine et à n'importe quel patrimoin. Tout visiteur parcourant les salles d'un musée récemment rénové ou une fondation nouvelle, partagera avec les fondateurs et architectes leurs préoccupations qui ne diffèrent pas essentiellement des notres.
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ESSAIS EN MUSÉOLOGIE (suite)
Tout commence par un essai de définition de ce que l'on veut faire ou aménager, ce qui n'est pas aussi simple qu'il n'y parait.
LA DEFINITION
Elle se fait par intension ou par extension.
DEFINITION PAR INTENSION
Par intension on définit le but de la collection muséale par des critères d’appartenance clairs et univoques. Dans le cas du Mingei :
On peut considérer comme Mingei un objet fait pour un usage à but défini, pour des gens simples (le peuple), et faisant appel à des méthodes artisanales. L'objet est confectionné pièce par pièce, par des maîtres ou de simples artisans, sans souci majeur d’esthétique ni d’arrière pensée esthétisante.
Ce qui est recherché est l’originalité et la beauté du tour de main, la vie imprimée à la matière qui, en retour, inspire l’artisan. Le Mingei a toujours existé dans presque tous les pays à toutes les époques, ainsi que le montre le mingei-kan (musée Mingei) original de maître Yanagi. Ce fut Yanagi qui en 1925 inventa le nom pour distinguer les pièces authentiques d’art populaire bénéficiant d’un traitement de la matière où la trace de la main est présente, de la pacotille d’exportation fabriquée industriellement et le plus souvent par la machine, japonaiserie équivalente des chinoiseries qui envahissent les bazars pour tourisme de masse.
Mais le Mingei diffère aussi de l’art de cour raffiné, où la perfection est recherchée et la matière dissimulée sous la laque précieuse ou la feuille d'or. Pensons aux netzuke en ivoire, les objets miniatures en laque précieuse, les paravents décoratifs ou sublimes de l’école Kano. Alors que les imperfections dues au temps et aux accidents de fabrication, sont exaltées dans le Mingei et souvent signalées par des décors à l’or fin, elles sont évitées ou corrigées dans l’art aristocratique. L’irrégularité heureuse, combinaison du hasard propice et de l’imagination de l’artisan, est une caractéristique du Mingei qui le rend très proche de notre sensibilité artistique contemporaine. Que l’on songe à Pollock, à Tàpies ou Fautrier, et à Burri pour n’en citer que quelques uns.
Là où le maître Yanagi déraille, fanatisé par une idéologie égalitaire, c’est lorsqu’il affirme que tous les artisans se valent. Ceci est manifestement faux, ainsi qu’il l’a lui même démontré dans son musée Mingei, le Mingei-kan de Tokyo. Seules les pièces magistrales y sont admises et exposées. Notre musée suit cet exemple en n’achetant que des pièces d’une exécution insurpassable.
Parmi les antiquaires du moyen-âge, le plus exigeant de tous : Benno de la Roussilhe ne vend que des modèles de premier jet, donc de la date la plus reculée possible, ses collègues se contentant le plus souvent de copies ou d’objets splendides mais qui excluent la notion de novation. De même dans notre musée nous recherchons des pièces les plus anciennes possibles, comme ce masque de démon d’époque Kamakura (haut moyen âge) qui en est une pièce maîtresse.
Un cas particulier sert de test d’appartenance : les vêtements et masques destinés au théâtre Nô. Ils sont d’une somptuosité exceptionnelle et dénotent l’art de cour. Mais ils sont Mingei par leur fabrication et leur fonction : ce sont en effet des vêtements de travail dont la fonction est d’éblouir les aristocrates de passage, que l’on met et qu’on retire selon les exigences de la scène. Ce ne sont pas des parures destinées à être portées par des personnalités importantes.
DEFINITION PAR EXTENSION
La ligne de partage entre ce qui est mingei, et qui ne l’est pas, est définie par l’inventaire de tout ce qui l’est. Un objet mingei est un objet qui est exposé dans un musée Mingei reconnu comme le Mingei Kan de Tokyo, ou encore un ensemble de catalogues et d’ouvrages qui font autorité.
Mais cela n’est pas suffisant car plusieurs de ces livres présentent des déséquilibres et des lacunes dus au goût des auteurs ou plus simplement à la difficulté de se procurer certaines pièces.
Par ailleurs on ne peut présenter le catalogue en vrac, ou par ordre d’entrée, mais selon une taxonomie qui fasse sens. Nous adhérons à la division par matière : Poterie et céramique, bois, textiles, pierre… Mais on doit également considérer à part des objets à fonction bien définie : masques, paravents, vêtements de pompiers (la corporation des pompiers était particulièrement importante dans un pays où les habitations étaient en bois), éventails, meubles et coffres, accessoires pour la cérémonie du thé, vases de cosmétiques, établis de menuisiers, de laqueurs, statues votives ou shamaniques, etc.
LA COLLECTION MONTGOMERY
Le point fort de la collection Montgomery est sans conteste une collection très complète d’assiettes toutes de la même provenance mais décorées de motifs très séduisants et variés. Ces pièces assez récentes (edo) sont cependant très recherchées et onéreuses. Il serait très difficile d’en constituer un ensemble comparable.
Il faut également reconnaître à la collection de nombreuses statues, comme ce chat qui sommeille à moitié, guettant sa proie, ou encore des théières sympathiques.
En revanche la collection très spectaculaire de manteaux de pompiers imprimés en réserve sur coton, est assez moyenne de qualité et manque de raffinement. Il y en a tellement, qu’un sentiment de nausée peut vous saisir. On doit reconnaître également des pièces d’époque Muromachi et Momoyama, essentiellement des jarres.
Le point faible de la collection est la totale absence de pièces anciennes, ou encore d’utilisation courante comme les oribe récents, les pipes, les objets pratiques et modestes typiquement mingei. C’est indéniablement le goût qui a guidé Montgomery. Ce n’est que sur le tard qu’il a essayé d’équilibrer le trésor amassé pendant trente ans, pour en faire une entité muséale. Mais on sent également dans les 600 pièces, le marchand qui a acheté des lots entiers et veut montrer les doublons.
LA PHILOSOPHIE DE NOTRE MUSÉE
Notre propos à Oleg, Tatiana, Marina et moi, a été essentiellement pédagogique. Il ne s’agit pas d’une collection qui s’est transformée chemin faisant en musée, elle a été pensée depuis le début comme musée. Il est évident que sans Philippe Boudin et sa compagne japonaise, jamais cet exploit n’aurait été atteint, et d’ailleurs au départ Boudin a agi en commerçant plus qu’en grand marchand. Mais quand il a compris que je ne voulais faire aucun compromis et que n’y connaissant rien j’étais prêt à lui faire confiance et lui donner carte blanche, il se passionna pour cette entreprise rare : l’enfantement d’un nouveau musée. Il proposa de reprendre les pièces achetées au début et qui n’étaient pas d’un niveau suffisant, il me dissuada d’acheter des pièces pourtant prestigieuses en me disant : il faut attendre pour avoir mieux.
Cela dit quelles sont les lignes de force qui se dégagent dès à présent du Western Mingei Kan (le musée Mingei occidental, un département du centre Lussato-Fedier à UCCLE) ?
1. Nous ne pouvons rivaliser avec la collection d’assiettes décorées de Seto.
2. Nous privilégions la qualité à la quantité. Ceci est particulièrement vérifié par la collection de vêtements de pompiers en coton peint en réserve au pochoir. Nous avons sélectionné des pièces anciennes, moins spectaculaires mais d’une haute tenue et d’un raffinement qu’on ne trouve que dans les pièces anciennes.`
3. Nous essayons de rechercher les pièces les plus anciennes possible pour un style ou un genre donné. D’où de nombreuses pièces Kamakura dont des jarres et des masques, mais aussi des poteries coréennes et japonaises du 8ème siècle. Cela suppose un sérieux effort financier mais ciblé sur des pièces majeures.
4. Autant que possible on essaye d’exposer des pièces dignes des musées japonais et de coller à leurs standards. Certaines de ces pièces sont d’une taille moyenne, ce qui est toléré pour des chefs d’œuvre. Montgomery partage au contraire avec Marina l’amour des pièces de grande dimension.
5. Bien qu’il nous soit formellement interdit de révéler les provenances pour des raisons compréhensibles, nous avons la source des marchands et des musées japonais d’où proviennent les pièces de la collection. Elles sont pour la plupart sérieuses et quelquefois prestigieuses.
6. Nos points forts sont : le textile, les ustensiles pour la cérémonie du thé, les oribe, les poteries d’une qualité exceptionnelle, les masques.
7. Il est dès à présent possible d’écrire un livre assez complet sur le Mingei sans recourir à l’extérieur ni de quémander des droits. Un tel livre devrait être tiré à un petit nombre d’exemplaires réservé aux musées d’art asiatique. Nous devons rattraper le retard pris en matière de notoriété.
8. Notre rôle est de faire voyager la collection et de prêter des pièces aux galeries et musées.
9. Nous avons des pièces phare parmi lesquelles un petit flacon à saké de Bizen, début Edo, fin Momoyama, d’une beauté et un état de conservation exceptionnels même pour les musées japonais. Un costume NÔ tissé en or et motifs multicolores. Le masque de démon Kamakura , un flacon à saké en porcelaine blanche d’une pureté et d’une ligne minimaliste, une paire de paravents représentant le cortège nuptial des renards.