CHRONIQUE
FIDÉLITÉS
Il est des moments où on est au plus bas, c'est le contraire de la grosse tête. Disons la tête tzantzas ou tête réduite au tiers de sa dimension. Les indiens Jivaro après avoir décapité leur adversaire, soumettent sa tête à un traitement très complexe pouvant durer deux semaines, et qui emplissait d'horreur les conquérants espagnols. Le but était shamanique : emprisonner l'esprit de l'adversaire dans la tête qui devait offrir la plus grande ressemblance possible avec l'original. La tête tzantzas, disons la tête jivaro est donc l'état où on se trouve lorsqu'on se sent de trop, misérable, méprisés, pièce rapportée au sein d'une communauté qui vous exclut et à laquelle vous vous raccrochez sans dignité. J'avoue qu'Alxel Poliakoffa le don de me plonger dans cet état. Il est différent du syndrome "moineau déplumé" que je ressentais lors de mon amnésie. Je n'était pas inférieur aux autres, mais comme Saint François, proche de ce moineau sautillant que je vis tout heureux fouiller dans une poubelle d'Hédiard.
Puisque j'en suis aux variantes sémantique, plusieurs amis m'on suggéré de comparer grosse tête à snobisme ou à arrivisme. Le snob, dirais-je, est celui qui conscient d'appartenir à une caste ou un milieu elevé, ne daigne pas frayer avec le niveau au dessous. Un homme comme le grand François Dalle, était un snob, comme bien des professionnels de la mode ou des cosmétiques. L'arriviste, ferait n'importe quoi pour satisfaire son ego et sa position sociale. Il utilise le name dropping et fait sonner ses relations, vraies ou supposées, pour s'en faire d'autres. L'arriviste comme le snob, sont obséquieux devant ceux de la classe supérieure.
L'avantage de se faire la grosse tête, c'est qu'on finit par y croire (que vous êtes quelqu'un). Et à force d'y croire, les autres y croient aussi et agissent en conséquence. Ainsi s'instaure une dynamique positive fondée sur le culot, la morgue, baptisés audace et entregent.
En revanche lorsque vous avez la tête jivaro, à force de vous sentir un moins que rien, vous en persuadez également les autres, qui vous fuient ou qui vous traitent avec cette condescendance distraite et aimable, qui est plus insultante qu'une gifle.
J'étais hier dans cet état d'esprit, lorsque Oleg est venu à la rescousse, comme s'il ressentait télépathiquement mon désarroi. Il m'a donné carte blanche pour continuer mes achats d'objets Mingei, qui dès à présent peut compter comme le plus important du monde occidental.
En revanche le silence persistant d'Axel Poliakoff en dépit de nos accords, m'a plongé dans le dernier dessous.
J'ai alors adressé un SMS à Igor son père qui a aussitôt répondu, puis téléphoné affectueusement pour me dire que tout était prêt pour me recevoir dans sa résidence de la Côte d'Azur. Cela m'a mis du baume sur le coeur je l'avoue.
Je suis par ailleurs assez embarrassé, car je n'ai jamais été invité nulle part et j'ai honte d'imposer à mon hôte les nombreuses restrictions : régime sans sel, repas pris à l'intérieur etc. Mais c'est aussi une preuve que la fidélité ne s'arrête pas aux paroles aimables. J'existe. Marina a le même sentiment que moi et sa discrétion exagérée emposonne l'agrément de cette invitation sur la Côte. Elle aussi se fait une tête jivaro ! Elle a toujours peur de déranger, d'être de trop, et elle culpabilise sa santé délicate. Je sais que bien des gens de qualité sont comme elle et préfèrent décliner les invitations à résider chez des gens pour descendre à l'hôtel où ils se sentent plus libres.