CHRONIQUE
CONFLIT D'INTÉRÊTS
On entend souvent ce terme dans les pages économiques ou politiques, quand il s'agit d'épingler un encombrant personnage.
Que recouvre cette expression passe-partout ? On nous dira qu’elle désigne un personnage dont, parmi les mobiles qui déterminent son comportement, deux au moins sont incompatibles. Par exemple on ne peut être juge et partie, ni se battre pour une cause et pour la cause opposée, ni encore être un avocat et faire le jeu d’un adversaire qui vous paye en sous-main, obéir au serment d’Hippocrate et négliger un malade parce qu’il ne peut payer. Le mot intérêt on le voit a un sens non exclusivement mercantile.
Dans le cas d’un petit juge qui s’acharne sur une proie pour satisfaire son ego et atteindre la célébrité alors que tout la désigne pour innocente, l’intérêt moral d’instruire à charge et à décharge, entre en conflit avec son intérêt médiatique ou, tout simplement son ego.
Il arrive parfois qu'en toute innocence on se trouve pris dans un dilemme : choisir entre deux amis, entre deux cultes, entre deux critères de valeur. Le mot intérêt est apparemment bien éloigné de son sens mercantile.
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Conflit d’intérêts
L'être qui m’est le plus cher, appelons-le X est un adversaire de Y pour des raisons non entièrement injustifiées. Un hasard inexplicable a voulu qu’entre Y et moi se soient nouées des relations presque aussi étroites. qu'avec X. Pour faire court, disons que je puis considérer ces deux personnages hors du commun, opposés par le caractère et les valeurs, comme mes deux fils selon le cœur, et qu’ils me le rendent. Je me trouve de ce fait en conflit d’intérêt avec chacun d’entre eux. Le seul moyen de m’en tirer m’a semblé d’annoncer la vérité et d’expliciter auprès de chacun d’eux ma position délicate. Etrangement cette sincérité a eu le mérite de rapprocher les deux adversaires. Mais non sans difficultés parce que leur entourage immédiat les poussent plutôt à l’hostilité réciproque, par malignité ou par … intérêt tout simplement. Une des manières de se concilier les grâces d’un puissant est de flatter ce qu’il y a de plus bas en lui. Le mensonge est fait pour séduire, la vérité n’est que vérité.
Dans une autre circonstance, je fus pris dans un conflit d’intérêts au sens juridique du terme. J’étais alors le conseiller d’une grande firme hollandaise, qui me rémunérait pingrement, mais suivait mes conseils et me respectait beaucoup. Un vrai covenant était instauré entre nous, y compris la durabilité tant que l’équipe dirigeante serait en place.
Et voici : son pire concurrent, un Français aussi dynamique et brutal que le Hollandais était prudent et circonspect, me fit un pont d’or pour me « voler » à son adversaire. Que faire ? Je dis au Français que même si j’acceptais son offre, je me sentirais d’une certaine manière lié au Praesidium batave et qu’il ferait mieux de prendre un autre conseiller. Il me fit comprendre qu’un des intérêts de ma présence à ses côtés, était précisément cet attachement qui ferait de moi éventuellement un médiateur précieux. Il était par ailleurs impressionné par ma familiarité avec une Compagnie infiniment plus importante de la sienne.
Le discours fut très différent avec le président hollandais.
« Vous êtes des nôtres, me dit-il- on ne veut pas vous laisser partir, on multipliera votre rémunération par dix, si c’est ça qui vous gène. Voilà ce que vous allez faire : vous acceptez la proposition du Français et vous défendez nos intérêts auprès de lui. Essayer de le gagner à notre vision européenne. Lui pense mondial. Même si cela lui coûte plus cher, il faut qu’il traite avec une compagnie comme la notre. A nous deux nos sommes compétitifs par rapport aux Japonais.
- Ce que vous me demandez est contraire à toute déontologie. Ce serait m’engager dans une voie qui m’est viscéralement étrangère.»
-Que proposez-vous alors ?
- C’est simple. Nous avons un covenant et je le maintiendrai. Mais si nous nous voyons ce ne sera pas pour parler de nos affaires. mais de la situation générale. Vous ne saurez rien de ce qui se passera entre votre concurrent et moi, et vous devrez me faire confiance. Par ailleurs je ne puis accepter un centime de votre part, et je veux pouvoir le déclarer honnêtement.
- Avez vous signé un covenant avec l’autre ?
- C’est un Français pragmatique. Il ne sait même pas ce que représente ce mot.
-Alors c’est très simple. Vous travaillez pour faire triompher notre vision commune. Mais je vous prédis qu’un jour le Français fera volte face et vous lâchera. Vous ne pouvez quand même pas nous empêcher de mettre votre rémunération de côté, en réserve pour les mauvais jours. Nous serons les seuls à le savoir.
Les prévisions de mon patron hollandais se révélèrent exactes. Lors d’un changement politique, le Français répudia sa maîtresse gauchistequi croyait en moi et se maria avec une BCBG giscardienne qui voyait en moi un minable. Je fus viré d’une façon honteuse, humiliante. Je décidai de repartir avec de nouveaux sponsors, et la firme hollandaise couvrit tous les frais d’installation et de démarrage.
Je dois avouer que je me trouvai rarement dans une telle situation de force et c’est sans doute pourquoi, contrairement à mes collègues qui profitant des opportunités offertes, se trouvèrent au pis avec une confortable villa pieds dans l’eau à Ramatuelle, un appartement sur le Champ de Mars, un chalet à Courchevel, au mieux avec un Château et une chasse en Sologne où ils frayent avec Bolloré, Frère, ou Dassault, je fus écarté de toute proposition lucrative.
MONSIEUR LOYAL
Je pense notamment au plus révoltant des ces exploiteurs d’intérêts conflictuels. Il s’agit d’un personnage dont on dit dans les milieux parisiens « il a ruiné bien des entrepreneurs qui lui ont fait confiance, mais il est si intelligent, si brillant ! ».
Ce personnage, appelons le M.Loyal, se trouva dans une situation où il était juge et partie. En tant qu’issu du sérail, très jeune il fut acquis à la politique des télécom. Cette force d’influence très puissante, était fortement opposée au développement de la microinformatique, que venaient de découvrir des Français inventifs. Sur notre sol naquit bien avant que le premier Apple, l’Alvan d’Alain Greber, un outil extraordinaire, l’Alcyane de J.P.Bouhot, et le Micral de Truong-Thi. Plusieurs entrepreneurs importants comme M.Henric PDG dela Compagnie des Signaux, voulurent investir dans cette branche prometteuse, et c’est à ce moment que je formalisai l’architecture générale de la microinformatique, appuyé par Jean Bounine et François Dalle. Tout allait donc pour le mieux.
MONSIEUR LOYAL
Mais M.Loyal veillait. Il dit aux éventuels acquéreurs que s’ils allaient contre la politique des Telecoms qui était celle de la France, ils n’obtiendraient plus une seule commande de l’Administration Française, et qu’aider des fabricants de minuscules ordinateurs, au mépris de la loi d’économie d’échelle, et bla bla bla et bla bla bla, serait parasiter l’effort de la France appuyé sur des techniciens pointus que le monde nous enviait.
Le seul qui osa résister, fut Truong Ti, le PDG du Micral, le premier microordinateur du monde. Il demanda pour aider son développement une somme très modique qui lui fut refusée sans explication, après des démarches épuisantes. Le plan de M.Loyal était grandiose et fut largement diffusé lors du colloque Informatique et libertés. Chaque citoyen serait connecté par un terminal gratuit, remplaçant l’ancien téléphone au Grand Serveur National situé à l’Ile d’Abo. Tout le savoir passé, présent et à venir de la France, y compris leurs mémoires privées et leurs documents personnels numérisés, était centralisé dans le plus grand des ordinateurs , et acheminé par le réseau gigantesque des télécoms. Ainsi, on lutterait contre l’hégémonie américaine dont on disait qu’elle nous imposerait son grand ordinateur. Nos gosses n’apprendraient plus notre histoire made in USA. Ils connaîtraient authentiquement celle de notre – de leur – pays.
Le résultat fut un désastre. On me fit tenir dans le rapport officiel (car en tant que détenteur de la chaire d’état, j’étais incontournable) un tissu de contre vérités, qu’on refusa de corriger. Je dus avec Jean Bounine et J.P.Bouhot éditer à nos propres frais un opuscule rétablissant la vérité : Questions posées à MLoyal et à M.Ponce Pilate. Mais la vie devint bientôt impossible pour moi en France. Je décidai alors de porter la bonne parole aux Etats Unis. J’y rencontrai incrédulité, indignation, rejet du corps informatique, mais au moins si quelqu’un voulait investir, on ne l’en empêchait pas.
Je parvins à obtenir l’appui de Young, Président de Hewlett Packard, et de Morgan Bell, vice président de DEC, à Maynard. L’évolution est inéluctable, prédit Bell, vous ne pourrez que gagner, me dit-il.
JCN : JUMBO COMPUTER NETWORK
WE TRY BETTER, BIGGER AND WE PLAY GOLF
En Europe j’avais contre moi des adversaires acharnés dont Maisonrouge, le PDG d’IBM, Nicolas Manson, le chef de l’institut IBM, le directeur des Chemins de fer britanniques, mais en parler serait aborder un autre sujet. Puis le vent tourna, IBM sous mon impulsion construisit le PC, plus pour remplir une niche à tout hasard que par conviction, paradoxalement DEC rejoignit le camp des gros. Je fus grâce à IBM nommé adjunct professor à la Wharton School dans le prestigieux S cube (Social Sciences Systems) où je me liais ) Adrian Mc Donough, auteur de livre magistral Information economics, où il oppose « the cost side » (la capacité et la puissance d’un ordinateur) au « value side » (la valeur réelle de cette information et établit une distinction entre data, information et knowledge (données, information, connaissance) . Il rejoignait les thèses d’un autre collègue illustre : Russel Ackoff qui démontra que « plus d’information, c’est moins d’information ». Toutes ces lois provenaient de grands savants, la gloire de leur département, mais ne faisaient guère l’affaire des marchands de logiciels et de télécommunication, qui avaient les moyens d’intoxiquer des populations toutes entières.
Le conflit d’intérêt frappait de plein fouet les professeurs d’université, ou les experts nommés par l’état qui connaissant la vérité, trahissaient la confiance qu’on plaçait en eux pour trente deniers. (De bons repas, des places d’avion pour des séminaires dans des pays exotiques). Je me souviens que le directeur France de la mère Arthur, (nom générique pour Arthur Andersen, Arthur Doolittle, ou autres officines. Je ne puis donner le nom de crainte d’un procès. Soyons courageux mais pas téméraires !) me proposa une substantielle commission si je promouvais l’extension du système SIA chez Auchan. Je refusai et dénonçai les manœuvres à des dirigeants indifférents. Ce ne fut que plusieurs années plus tard qu’on fit les comptes du désastre : SIA avait été maintenu en survie et au moment de son effondrement avait coûté autant que si plusieurs hypermarchés non assurés avaient été la proie des flammes. On ne reconnut jamais la clairvoyance de mes mises en gardes, bien au contraire. Par ailleurs tout se passait comme si l’argent qu’on laissait filer par millions d’un côté était d’une autre nature que celui qu’on économisait au prix de mille ruses, centime par centime. Allez comprendre !
Je m’ouvris tout à l’heure à mon ami Henri Mathias, de ce dilemme. Il répondit : une solution la vérité. Cela correspondait à mon attitude envers mes deux fils adoptifs. Lorsqu’on se trouve pris entre deux feux et qu’on reçoit des propositions des deux côtés, il n’y a pas de mal à manger à plusieurs râteliers, mais cela doit se faire en toute transparence. C’est ainsi que je dis à X : vous me rémunérez pour mes conseils. Je vous les dispenserai sans compter le temps, et avec la plus grande concentration mentale. Mais si Y que j’aime et que j’apprécie, me fait d’autres propositions je me réserve le droit de le conseiller aussi honnêtement que vous, comme un médecin se concentre sur ses patients. Si cela ne vous convient pas, je laisse tout tomber, ou je passe outre.
Mais je m’interdis d’utiliser des paroles adoucissantes, des formules ambiguës que je puisse tourner ma mànière quitte à prendre la réputation d’un être brutal et point diplomate. C'est d'ailleurs déjà fait !