CHRONIQUE
LA GROSSE TÊTE
Les Allemands disent " Er Trägt die Nase Hoch" en parlant de quelqu'un qui "pête plus haut que son cul". D'une manière plus distinguée, mon compagnon des premiers jours, Daniel Herault, disait " Il ne se prenait pas pour son cologarithme". On peut encore dire, plus banalement : "il croit que c'est arrivé", "son égo est surdimensionné", "il se gonfle comme une grenouille", etc... Bon. On sait tous ce que cela signifie, mais pas les causes de cette hypertrophie de la nullité.
C'est pourtant simple. Il suffit d'interroger votre concierge. (parisienne autant que possible). Qu'est ce qui d'après vous, Maame Sidonie, fait que votre fils aîné a réussi? - Ben, quoi, c'est qu'il est devenu haut fonctionnaire, ou passé à la télé, ou plein jusqu'aux as, ou alors député ... non prêfet, c'est mieux. - Vous n'êtes pas assez ambitieuse pour votre progéniture, Maame Sidonie, visez haut, ça ne coûte rien. - Bon, si vous y tenez, je lâche le morceau : Premier ministre, marié(e) à un émir du pétrole, star de cinéma, juge ou caïd de la haute pour faire trembler ou abattre des suspects, et ruiner leurs familles en toute impunité. Ça, c'est ce qu j'appelle réussir.
Je viens d'énumérer les dimensions du pouvoir matériel dit à haute entropie car point attaché à une personne particulière, mais à un attribut. : 1. Le pouvoir de coercition (petit juge français ou président des Etats Unis) 2. L'argent (le magnat, l'homme d'affaires ) 3. La notoriété (idole de la presse et de la télé), 4. La mort (le maffioso, et pourquoi pas, le tyran iranien).
CEUX QUI VEULENT PARAÎTRE QUELQU'UN
ET CEUX QUI LE SONT
Une des caractéristiques des gens qui se font la grosse tête, est le name dropping. Comme Les Facheux dans la pièce éponyme de Molière, ils font sonner leurs relations, mais le but comme l’intention sont différents. Le parasite, le courtisan, l’agent d’influence, font sonner leurs relations pour en tirer un profit, quelque dupe à impressionner en lui fourguant des tuyaux crevés, et au pis un bon repas dans un restaurant trois étoiles. Les restaurants de Paris sont pleins de cette sorte de couples, en un sens bien assortis. Celui qui se fait la grosse tête en revanche, est plus désinteressé, si j’ose dire. Il fait état de ses amitiés prestigieuses pour rehausser son image, pour lui et pour les autres. Ceci n’est guère conscient ni mensonger. Il y croit à sa fiction, il est convaincu qu’un sourire poli équivaut complicité tacite, que les deux mains serrées, représente un pacte implicite, qu’un « Comment-allez vous ? est une marque d’une amicale sollicitude.
J’ai connus ainsi la Présidente d’une association caritative, Chantal Boulakia, qui se dispensait en tous sens pour organiser des croisières culturelles. Pendant des années elle nous raconta comment elle rencontra à Jérusalem Alain Poher :
« Dès qu’il me vit, il vint vers moi, les mains tendues et il me dit : comment allez-vous Madame Chantal Boulakia ? J’allais lui répondre mais il me dit avec finesse : « je vois que vous êtes en pleine forme et ça me fait plaisir » il partit rassuré. Vous m’avez bien compris ? Monsieur Alain Poher lui-même vient vers moi pour demander des nouvelles de ma santé, il se souvient de mon nom. Mme Chantal Boulakia, a-t-il dit aussitôt ! »
Je compris que se faire la grosse tête, est un moyen bon marché d’atteindre sinon le bonheur idéal (qui le connaît ?) du moins une forme qui s’en approche. Souvenons-nous de ce personnage de Balzac sur le point d’expirer, dont le visage s’illumina de béatitude : il venait de recevoir une invitation pour une fête de la cour, où il avait rêvé toute la vie, en vain, d’être accepté.
Evidemment il y a ceux qui n’ont pas besoin de cela pour se prendre pour des puissants, ou des riches, des célébrités. Ils le sont ! Par ailleurs les trois valeurs matérielles sont interchangeables, par exemple le chef d’un état puissant peut frayer avec une star, ainsi que le montrent les magazines Jet Set.
Nous avons longtemps pris nos repas avec madame Pompidou, à Bayreuth pendant le festival. Elle était d’une parfaite simplicité, et zéro name dropping où elle eût dû commencer par elle même : je connais Mme Pompidou !
Demain soir John Elkann vient dîner. C’est un événement dans l’hôtel, d’autant plus que sa photo se trouvait à la une du Corriere della Sera et un éloge de sa carrière de sportif : un armateur modeste était-il dit. John Elkann est l’homme le plus élégant, le plus racé que j’aie jamais connu, mais toujours dans la discrétion la plus raffinée. Je ne l’ai jamais entendu mentionner une relation prestigieuse. Il va de soi que l’héritier de la famille la plus célèbre d’Italie, connaisse les grands de ce monde.
De même Axel Poliakoff vient d’accéder à une certaine notoriété en France grâce à une réception donnée Jeudi dernier pour l’inauguration des nouveaux bureaux prestigieux de Free News, dont il est le Président. Elle est étayée par une prestance remarquable. On a déjà dit qu’il ressemblait à un jeune prince, et qu’on le remarquait par son extrême élégance.
Il devait venir me voir Dimanche, mais il a disparu sans laisser de message et il est impossible à joindre. Changement normal de perspective : j’étais pour lui un bon guide culturel, mais aujourd’hui ce rôle pâlit à côté de l’ivresse médiatique. Une vedette n’a pas besoin d’un mentor culturel.