Saturday, 11 July 2009
CHRONIQUE
EXCELLENCE OU PERFECTION?
Marina et moi, avons eu l'honneur de recevoir la visite d'une personnalité que nous connaissons de longue date. Elle était à plusieurs reprises l'hôte de mon Centre Culturel des Capucins, et nous avons échangé de mélancoliques souvenirs sur ce lieu d'exception, moins parce qu'il n'existe plus que parce qu'il ne pourrait plus exister. L'humanisme où il puisait ses racines n'est plus, les racines se sont desséchées et de l'arbre de vie, il ne reste plus qu'un souvenir vivace chez ceux qui ont mérité de goûter à ses fruits.
Raffaella Bernardi Simoni Malaguti, est la fille du Cavalier Simoni à qui le musée du stylo. Ce musée, de loin le premier au monde et impossible à reconstituer, fut l’objet d’un old-up sanglant qui m’expédia à l’affreux hôpital Georges Pompidou. Je me dis en mon fors intérieur : après tout c’est peut-être un bien, car j’étais absorbé par la fringale du collectionneur, et dans ma rage de tout posséder, de tout montrer , j’admis parmi les riches trésors, de véritables monstres esthétiques, que je ne pouvais cacher. C’eût été offenser mes généreux sponsors. Le peu qui restait, fut volé par les gardiens. Le dernier de ces vols me toucha profondément bien que j’aie cessé d’étendre ce qui restait du musée. C’était le chef d’œuvre absolu conçu pour le deuxième millénaire par Raffaella Malaguti : un corps à vingt facettes d’or incrustées chacune d’intarsia de nacre. Cette pièce est renfermée dans une double coquille de cristal de Murano, où se baladent trois abeilles en or massif. Plus aucun orfèvre aujourd’hui ne peut tenter l’expérience. Cette pièce suprême dépasse la notion d’excellence pour atteindre celle de perfection, avec sa nuance d’indépassable, d’unique, de presque surnaturel. On me dira que bien des chronomètres y parviennent. Ce n’est pas faux et on connaît la qualité de certains Bréguet, les montres en platine, ultra-plates dotées de deux seules lancettes, de Audemars Piguet… La « Bernini » les dépasse car elle est seule à dominer. Si on excepte des Namiki japonais, pratiquement hors commerce.
Il me fut impossible de retrouver aucun des stylos volés, y compris le Bernini et un magnifique Namiki. Je finis par rassembler mes économies et achetai des équivalents sur le marché Américain. Actuellement il me reste quelques pièces d’exception et une magnifique série des Omas les plus précieux qui constituent l’apogée de la marque.
C’est maintenant qu’il me faut évoquer la splendide série des « Jerusalem ». Chaque pièce est enveloppée par une frise représentant les murs de la ville sainte. Déroulée elle montre un travail de bénédictin de reconstitution. Non seulement elle est réalisée à la cire perdue, comme les statues de grands maîtres en bronze, mais elles sont finies manuellement. La série comprend quatre versions : argent, or, or blanc et platine.
Il ne reste qu’un exemplaire disponible en platine (un de ceux que l’on m’a volés) sur cent dispersés partout dans le monde. Raffaella qui n’en a pas, au bout de patientes recherches a retracé et contacté l’acquéreur du N°1, la première pièce produite et parfaite. En effet, il est très difficile de travailler un métal aussi dur que le platine et qui de plus résiste à chaque essai. A ce que j’ai compris, on a du abandonner ce travail avant d’arriver aux cent exemplaires annoncés.
L’exemplaire en or blanc, je suis le seul à le détenir, car il a été réalisé expressément pour le Musée du Stylo et de l’Ecriture. Le modèle en or, en apparence classique et standard, a bénéficié d’une réflexion approfondie, que Raffaella m’a confié ce soir et qui m’a stupéfait. Tout ce long préambule n’a été rédigé qu’avec cette révélation dans la tête.
LE SECRET DE RAFFAELLA MALAGUTI
En évoquant l’exemplaire en or du Jerusalem, Raffaella m’expliqua que pendant ds mois elle essaye de définir la couleur de l’or qui corresponde au mieux au murailles de la Ville Sainte, éclairées au couchant. IL fallait rendre cette nuance rosée, mais d’une nuance si particulière que nul ne pouvait la percevoir. J’exprimai mon étonnement : je connais l’or vert, l’or rouge, l’or jaune, mais je ne savais pas qu’on pouvait aller aussi loin dans les nuances…
C’est vrai pour les joailliers et les applications grossières pour le grand public. Mais je puis obtenir la couleur que je désire comme on commande une essence particulière pour compléter un parfum. Ce qui est important est de bien visualiser ce qui correspond exactement à notre vision personnelle. Voyez quelques stylos en or Omas, vous constaterez que la teinte du métal varie d’un modèle à l’autre. Il n’y a pas deux ors semblables.
On peut aimer ou pas, mais cette recherche de la perfection est impressionnante car elle repose uniquement sur le génie humain, à un contact direct entre le concept et la matière, et une tolérance zéro.
J’étais entièrement équipé en Hermès. Ma veste était plutôt mal coupée, j’avais un sac pochette en box très fragile. Très plat il ne fermait pas et on ne pouvait pas y loger grand chose. Mais les ceintures, les vêtements décontractés, les foulards, avaient un cachet inimitable.
LA PERFECTION INDUSTRIELLE
Watson, l’ancien président d’IBM et ambassadeur des Etats Unis, avait pondu un aphorisme, annoné par des générations de cadres supérieurs :
Il vaut mieux viser la perfection et la manquer
Que viser l’imperfection et l’atteindre.
Madame Malaguti a suivi une autre voie :
Il vaut mieux viser la perfection et l’atteindre
Que de viser la perfection et la manquer !
Le président de la Général Electric, Jack Welsh, lui choisit la voie de l’imperfection encadrée par des écarts types : σ, σσ, σσσ etc… Plus le nombre de sigmas était élevé, plus on s’élevait dans l’échelle de l’excellence. Viser l’imperfection pour atteindre l’excellence, en acroissant par petits pas le nombre de sigmas. Des programmes de motivation bien calculés par des spécialistes et des conférences du charismatique Jack Welsh, permirent ainsi d'atteindre l'objectif : obtenir une augmentation des sigmas estimée supérieure à la concurrence.
Visez l'imperfection pour atteindre l'excellence !
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JOURNAL DES TEMPS D'INNOCENCE
MME COUDERC.
Si ce journal est vu à travers les yeux d’un enfant, comme The Painted Bird de Kosinski, en revanche je ne manquais de rien dans mon cocon de la rue de Strasbourg. Notamment j’appris à lire et à écrire.
Mon premier contact avec l’écriture fut décevant. Le guerre n’avait pas encore éclaté et j’allai au Lycée Carnot où je récoltai aussitôt deux heures de retenus, où je devais écrire je ne sais quoi, cent fois de suite. On m’avait donné un porte plume à pointe de verre, et je ne savais pas écrire avec cet horrible instrument. Je m’ennuyai mortellement ; et on me retira du lycée pour me donner des leçons particulières. Mon institutrice, Madame Couderc, éait une adorable dame aux cheveux blancs qui habitait non loin du lycée, à côté de la boulangerie où on stockait les biscottes Heudeber. Elle avait un stylo empli d’encre rouge, pour les corrections. C’était un Safety Waterman à plume rentrante, ce que je trouvais fascinant. Moi même utilisais une plume sergent major et une bouteille d’encre violette.. J’aimais écrire et j’admirais un garçon bien plus vieux que moi, mais qui emplissait en tirant la langue, des lignes d’écritures aux pleins et déliés très marqués. Fort embarrassée, Madame Couderc me dit de ne pas y prêter attention. C’était un psychopathe vicieux, et retardé mental.
Puis ce fut la guerre et je ne bougeai plus de chez moi. Je crois que ce fut étudiant qui se chargea de m’apprendre l’arithmétique et le français. J’avoue qu’ici j’ai du mal à ordonner et à dater les images fixes qui m’envahissent en ce moment. Voici quelques jalons :
J’avais un livre de chevet : cinque cento giochi, (500 jeux) que je lus et relus des centaines de fois. Chaque page excitait votre curiosité. Dans l’une un monsieur en boutons de manchettes irréprochables, faisait pivoter un cercle de carton attaché à deux ficelles. . Sur une face se trouvait dessiné un oiseau, sur l’autre une cage. En faisant pivoter entre les doigts le dispositif, l’oiseau était dans la cage. Mais mes jeux préférés avaient trait à l’électricité et à la chimie. Comment fabriquer assez de courant électrique pour allumer une lampe de poche. Il fallait d’une part du cuivre, ou du plomb, ou encore du charbon. Ce sont des choses qu’on pouvait obtenir , le sol était plein de douille en laiton. Mais il fallait aussi du zinc, et où se le procurer ?
J’avais lu dans L’Illustration qu’il existait un Conservatoire des Arts et Métiers. La photo montrait un monsieur barbu officiant dans sa chaire de chimie. Il avait certainement des lamelles de zinc ! J’aurais donné cher pour en avoir quelques unes.
LE GRAND DICTIONNAIRE
Mon instruction, disais-je, je la puisais dans les bibliothèques : tout d’abord celle que mon père avait édifié étant jeune et qui se trouvait dans le minuscule salon de la rue de Paris. C’est là que se trouvait le Grand Dictionnaire Larousse du XIXème siècle en 22 volumes et quatre colonnes serrées par page. Mais aussi de vieux numéros de L’illustration, de très belles cartes postales en noir et blanc représentant des statues de Canova et de Phidias, des numéros sur la peinture flamande. Mon père était un excellent dessinateur et il était fier de ses copies au crayon-encre violacé et indélébile, excluant tout repentir. J’essayai de copier des détails de tableaux de Van Ostade.
Pour ma communion, l’oncle Guillaume Pansieri me fit un cadeau précieux : une superbe livre relié en demi chagrin vert, de reproduction des eaux-fortes de Rembrandt avec tous leurs états et un essai très intéressant sur le graphisme du maître. Je le consultai très attentivement des centaines de fois pendant des années et essayai sans succès de les imiter. Parmi les images qui restent indélébilement inscrites dans ma mémoire je citerai Les trois arbres, la Crucifixion dans tous ses états, le portrait de Jean Six. Une énigme me taraudait : il manquait des planches jugées licencieuses, cela voulait dire quoi ?
Cela m’amène au pervers polymorphe décrit par Freud et à tous les ouvrages sur la sexualité enfantine. Cette question est vite résolue : je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était le sexe. Mes parents étaient très pudiques, et mes lectures parlaient de « pêchés de la chair », de « feux circulant dans les veines », d’embrasement des sens, toutes expressions que je ne comprenais pas. Le grand problème était de résoudre un dilemme fondamental : les enfants naissent-ils dans des choux, ou sont ils apportés par des cigognes. Je n’obtins que des réponses embarrassées et peu éclairantes. Lorsque je voyais le ventre rebondi d’amies de ma mer, je pensais qu’elles étaient « En Sainte », mystérieuse affection. Plus tard, bien plus tard, j’attribuais mes premières et violentes érections à une maladie urinaire inquiétante, et je n’osais en parler par puritanisme (les parties sales).
En revanche j’étais terriblement sentimental. Outre Victor Hugo (Les Misérables) , Alexandre Dumas et ses mousquetaires, Théophile Gauthier, le capitaine Fracasse (j’étais fasciné par le beau et cruel duc de Vallombreuse), je lisais des pièces bien oubliées mais qui à la fin du XIXème siècle semblaient des chefs d’œuvres : Les Jacobites de François Copée par exemple. Cela allait de pair avec Bouguereau, Millet, (L’angelus !) Meissonier pour la peinture, Meyerbeer, Rossini et Gounod pour la musique.
J’arrête là une énumération bien incomplète mais qui donnera une idée de mes fondements artistiques. En ce qui concerne la Science, un livre déterminant qui décida de toute approche dans ce domaine, jusqu’encore aujourd’hui m’orienta définitivement vers Lavoisier, et Berthelot : L’évolution d’une science, la chimie, par Oswald. La bataille faisait rage entre les dualistes qui écrivaient SO3H2O et les unitaires, ceux qui écrivaient N et ceux qui notaient Az. La science moderne n’était pas encore née.
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