Wednesday, 8 July 2009
CHRONIQUE
VEILLÉE D'ANNIVERSAIRE
Demain c'est celui de Marina, que nous passons tous les ans à San Remo (ou, avant au Carlton de Cannes, avec nos amis Landon). C'est la personne qui m'est la plus chère. Elle a perdu un mari adoré et conservé toujours lancinant le souvenir des jours de bonheur, et moi, c'est ma femme qui m'a été enlevée avant qu'elle n'eût atteint la cinquantaine, et ma fidélité à sa présence toujours vivace dans mon coeur, m'a empêché de me marier.
C'est ainsi que Marina et moi nous entretenons des rapports difficiles, à la recherche d'une complémentarité qui nous a valu de réaliser de grands projet, et d'un dialogue problématique : celui d'une monochrone très rigoureuse et d'une grande franchise, et du polychrone que je suis viscéralement, désordonné, égocentrique, vivant dans une constante utopie, à l'aise dans l'informe et l'incréé. Nous avons des amis, et moi notamment deux fils adoptifs pleins de sollicitude, mais ils sont très occupés. En quelque sorte, ma soeur et moi sommes seuls au monde, dans un monde en folie, qui nous ballotte comme des fétus au grès des flots démontés. Marina avait été gâtée par la vie, elle était entourée de la sollicitude d'amis chers et désinteressés. Tous sont morts hélas aujoud'hui, ne laissant que des regrets. Si ces deux dernières années le Seigneur n'avait accompli le miracle de me donner ceux qu'avec ma soeur, j'aime le plus au monde, et à qui j'ai voué ma vie et mon âme, je serais aussi seul que ma soeur, avec la différence, qu'ayant vécu dans une solitude totale toute ma vie, je suis aguerri.
Lire dans le corps du blog, la suite des "temps d'innocence".
Ainsi comme vous le voyez, pareil à Sérénus Zeitblom, le chroniqueur de Thomas Mann, je is maintenant sur deux régistres temporels. L'horloge dévide cliché par cliché les jours enchantés de mes débuts, la réalité présente, celle qui me sollicite, frappe avec une inéluctabilité inquiétante, les nuits hantées de mes billets, témoins de fin de parcours.
REVUE DE PRESSE
Le néant, le vide intersidéral habité de mots, de formules, d'intentions pieuses, de reconciliations fleurant bon son hypocrisie. Obama et Poutine, estiment "constructif" leur entretien, Berlusconi complimente Obama sur sa bonne mine : c'est un beau gars : grand, musclé et bronzé. Ce dernier, oublie que le Président de la Russie c'est Medvedev. Le pape nous révèle que ce qui est important est de concilier l'économie et la charité, Sarkozy d'une main encourage, de l'autre fait le contraire. Passons sur le sport et la défection de Kaka, ce qui domine tout, c'est l'intérêt porté aux désastres, aux massacres. Jamais on n'entendit autant de récits de viols collectifs, dignes de Steps de Kosinski.
LA VILLE
8 juillet 2009-07-08
La topologie esquissée ci-dessus est moins qu’approximative ; elle est onirique, comme la carte de Santa Samarea de Golt, reproduite dans le volume X de L’Entretien. Je serais bien en peine de distinguer le rêve de la réalité.
Dans notre appartement, j’avais déserté ma chambre à coucher froide et sombre, donnant dans une cour plein nord, pour le balcon plein sud de la chambre de mes parents. La cour sur laquelle donnait ma fenêtre, était aveugle sur un pan, percée comme le sommet d’un puits. L’étage au dessus donnait sur les chambres de bonne.
Cette cour m’inspirait une légère terreur car je fus souvent pris de la même hallucination : je voyais descendre lentement du ciel un énorme cintre portant une chemise non moins gigantesque, dans ce puits aux yeux aveugles. J’allais aussitôt, le cœur battant me réfugier sous le lit pour me protéger, comme si cette chemise suspendue à ce cintre géant, représentaient une menace mortelle.
Je me réfugiai dans le balcon plein sud de la chambre conjugale. Je ne dérangeais personne : ma mère en courses ou en visites, mon père vaquant à ses affaires. De cet observatoire j’admirais un magnifique panorama. Juste au dessous, l’avenue Jules Ferry remake des Champs Elysées du XIX siècle, voué à la promenade , et orné de palmiers et d’un monument aux morts. Il représentait un Jules Ferry barbu, et en redingote, la main au gousset de sa montre, dispensant savoir et prospérité à une bédouine et à des enfants, blanc à en juger par leurs traits. Ma mère, comme tous les Italiens émigrés à Tunis, haïssait Giulio Ferri, le traître, qui une nuit ouvrit les portes de la ville, alors sous contrôle italien, aux « maudits français ».
Quatre communautés existaient pacifiquement à Tunis :
La société arabe très traditionaliste et dont les membres respectés portaient pour les plus jeunes un kapa rouge et le burnous blanc traditionnel. Les jeunes gens s’en allaient ainsi, deux par deux, se tenant par le petit doigt, un jasmin à l’oreille. Les aînés coiffés d’un fez avaient belle prestance. La classe inférieure était considérée comme de la main d’œuvre bonne à tout faire, quelquefois pieds nus et en haillons : « gli arabi ». Mention spéciale pour le djerbiens. Ils venaient tous de l’île de Djerba et appartenaient tous à des familles alliées. Jeune, un djerbien s’installait dans un minuscule boutique et n’en bougeait plus, vingt quatre ans sur vingt quatre. Ils y dormaient, mangeaient, commerçaient. Ils vendaient tout et de tout, et à l’extrême détail. Vous pouviez acheter une épingle, 10cm de fil, une datte, un chiffon, deux biscuits. Tout était payé comptant et incapables de tenir des comptes ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter, ils ne payaient pas d’impôts et n’avaient pas de frais généraux. Quand on avait besoin de quoi que ce soit, à n’importe quelle heure, on descendait chez le djerbien du coin, car ces échoppes pullulaient, après avoir tué toute tentative des français d’implanter des magasins d’alimentation ou des drogueries.
Les italiens, premiers occupants du pays, étaient de pauvres siciliens émigrés, qui importèrent leur savoir-faire de la péninsule et un goût inné pour les belles choses. En ce temps là, en ce lieu là, le commerce de masse était inimaginable. Tout était fait sur mesure : les habits, les souliers, les meubles, les cadres dorés. Mes parents firent ainsi réaliser leurs meubles chez un excellent artisan : Montefiore Un jour ils choisirent sur un des catalogues de Maple, un buffet, mais croyant bien faire Montefiore changea les proportions ôtant toute l’élégance à ce meuble, par ailleurs d’une finition digne de l’original anglais et d’un bois magnifique. Je me souviens du scandale qui s’ensuivit. Le meuble défigura notre appartement pour des années. Le pauvre sicilien était un excellent artisan, mais sans culture et sans goût. Il ne pouvait qu’imiter, copier des modèles, comme naguère des imitations parfaites de Vuitton ou de Hermès. Le petit garçon que j’étais devenu se rendait avec dégoût dans l’antre sombre et humide des siciliens et n’appréciait pas l’obséquiosité de ces pauvres gens.
Faisait partie de la communauté italienne, l’aristocratie de l’immigration : de grandes familles très cultivées, aux mœurs raffinées et urbaines, et ne se fréquentant qu’entre elles-mêmes. Elle venaient de Gènes, do Livourne (les livournais de la Spezia par exemple, formaient le contingent des militaires italiens d’occupation et de leur famille. Ma mère sortait de là : c’était une Donati). Ces familles juives mais très assimilées à la chrétienté, étaient honorées et habitaient de belles demeures. Citons : les Morpurgo, les Donati, les Uzan, les Finzi, les Debbasch etc.
Les italiens, d’un naturel bonasse et conciliant, entretenaient des relations très convivales, très proches avec le arabes et il s’ensuivit une sorte de baragouin mi arabe mi-sicilien. Ils furent très regrettés lorsque les français les mirent brutalement à la porte. Une grande partie de la communauté italienne était catholique pratiquante, et elle formait tout un contingent de bonnes, de gouvernantes, de religieuses. Les écoles étaient splendides, en marbre et bois de noyer, d’une propreté inimaginable. Elles étaient tenues par les prêtres. Moi-même, je fus formé par des bonnes italiennes : Grazia, Lucia, Giuseppina… et devins un catholique fervent. Il me reste de cette période tout un arsenal vernaculaire de prières, encore vivace aujourd’hui. Ma mère venait de cette origine et tirait fierté de ses aïeux les Donati. La femme de Dante Alighieri n’était-elle pas une Donati de Florence ? Moi-même, encore aujourd’hui, je tire mes racines et ma foi de cette communauté, et je parle toujours italien avec Marina. La France nous avait envoyé les plus obtus, les plus arrogants des colonisateurs. Ils avaient leur quartier et ils fondèrent leur école : le lycée Carnot. Le résident français se prenait pour le roi de Tunis et considérait les autochtones avec condescendance. Moi, j’aimais l’environnement français qui était propre, urbain et conforme à mes lectures.
La communauté juive-tunisienne.
Elle était composée de commerçants, de petits industriels, de négociants, d’hommes d’affaires et s’entendait bien avec les italiens et les arabes. Son langage était d’ailleurs souvent l’arabe. Mais un fossé infranchissable séparait les juifs tunisiens et les italiens. Une culture opposée. Seul l’argent, le commerce et le travail comptaient pour eux. Ils venaient souvent d’Espagne, comme les Solal et les Soria et je trouvais leur patronymes affreux : Borgel, Smadja, Abidbol, Hayat, Sitbon, Bellaïche, Cohen, Levy, etc. Mon père constituait un cas spécial. Mon arrière grand père Lussato (une déformation dialectale génoise de Luzzatto) était issu d’une souche italienne, mais il s’était assimilé à la communauté juive tunisienne et arabe, tenant une boutique de merveilles dans un souk : plats de laiton ouvragé, parfums rares, brocards… Son fils était marié à ma grand-mère et son père était très attaché à sa femme auquel il survécut A quatre vingt dix ans, il s’éprit d’une jeune femme et déshérita mon grand père qui, je crois se suicida, laissant trois orphelins : mon père Jacques, mon oncle, Victor et leur sœur aveugle, Renée. Mon père avait l’étoffe d’un grand avocat et d’un brillant négociateur. Il gagna toujours ses procès contre les douanes et l’administration et en tirait gloire. Mais il sacrifia sa carrière pour nourrir sa petite famille, et à force de travail honnête, il fonda une compagnie de sacs et bâches, puis devint un des hommes les plus riches… et les plus avares de Tunis.
Je veux croire que vous pardonnerez ces notes biographiques, qui sont indissociables de ces souvenirs venus de l’enfance ? Elles seront utiles pour comprendre la suite.
En face de notre immeuble, la première Marina, section de l’avenue Jules Ferry. Se trouvait Nicola, le coiffeur (je détestais me faire couper les cheveux) et le pharmacien Debbasch, dont le laboratoire était paré de tous les prestiges de la science.
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