CHRONIQUE
WORDS,WORDS,WORDS...
(Shakespeare, Hamlet).
Tous les jours, je lis la presse italienne: Il Corriere della Sera, il Messaggiero, La Reppublica... La préoccupation pour les activités culturelles est bien plus sensible que dans la presse française. J'y ai trouvé d'interessants articles, sur l'origine du titre de la Commedia de Dante, sur la nullité de Raynaldo Hahn, coqueluche du milieu snob parisien, richissime dandy dont le chef-d'oeuvre fut Ciboulette.
Le titre de la Commedia. La Divine Comédie de Dante continue de soulever des polémiques passionnées, comme l'oeuvre de Molière prétendûment attribuée à Corneille, comme si les Femmes Savantes provenaient de la même plume que le menteur. Ou encore Shakespeare prêtant son nom à Ben Johnson... Certaines parties seraient même dues à un épigone.
On ne connaît pas plus le manuscrit de la Commedia, que celui des pièces de Shakespeare ou de Molière, particularité troublante qui autorise toutes les rumeurs, toutes les interprétations les plus folles. En ce qui concerne Dante, le mot de comédie serait dû à Boccace, si je ne me trompe et on y a ajouté plus tard l'épithète de divin.
Je ne comprends goutte au Paradis, et peu au gris purgatoire. En revanche jai beaucoup étudié certains fragments de l'enfer, avec mon professeur d'italien, elle-même passionnée, et la puissance qui s'en dégage (à condition d'être lus ou déclamés en italien) dépasse tout : et Shakespeare et le deuxième Faust. La concision et la brutalité des versets n'a pas pris une ride, et comparée aux vers ampoulés de Alfieri, elle est très facile à lire pour nos contemporains. Il en est de même aussi de Shakespeare et de Goethe, dont la langue est toujours fort accessible.
Lire dans le corps du blog la troisième partie des temps d'innocence.
TUNIS
Le 2bis, rue de Strasbourg.
Nous habitions je l’ai déjà dit, près du port dans le quartier le plus moderne mais aussi le plus exposé aux bombardements. L’immeuble, en aggloméré gris avait été bâti pour Albert Bessis, le mari de tante Pia, sœur aînée de ma mère qui avait également un frère : Umberto. Il donnait sur les Champs Elysées de Tunis : l’Avenue Jules Ferry et on accédait aux appartements par le 2 bis, rue de Strasbourg. Ce gratte-ciel de cinq étages abritait à l’entresol des bureaux, dont l’étude d’avocats d’oncle Albert.
Le premier, étage noble, était tout entier réservé à Pia, Albert et à leurs trois enfants : Simone, Aldo et Paolino. Cet appartement de 500 m2 décoré sans compter par l’architecte de l’Andrea Doria, était conçu pour les réceptions mondaines. Pia était la reine de Tunis, et tous ambitionnaient d’être invités à ses réceptions. Comme bien des femmes riches et mondaines elle aimait bien les parasites et les flatteurs. Notamment une certaine Madame Lemanska, fausse comtesse polonaise, entremetteuse, voleuse d’argenterie, intrigante pleine d’entregent, qui par la suite se révél un agent à la solde des allemands, lui faisait assidument la cour et avait conquis ses faveurs. Ma mère enrageait, elle qui était très généreusement traitée par le couple qui l’avait adoptée, mais qui se sentait toujours une parente pauvre, elle ne comprenait pas comment sa sœur pouvait se laisser prendre dans ces rêts.
La partie Réception était somptueuse, dans le style de la Renaissance Italienne : plafonds à caissons, pavement de marbre blanc à cabochons noirs, boiseries d’acajou de Cuba tentures murales pour le salon Louis XV et le salon anglais aux meubles en cannage.
Les appartements privés, en revanche étaient sacrifiés : pièces sombres, exiguës, répartition désapprouvée par ma mère, aussi sauvage que tante Pia était mondaine, et qui sacrifiait le paraître à l’être. Ma mère eût sans hésité établi sa chambre à coucher à la placrthagee du grand salon de style anglais qui donnait sur une terrasse plein suLes meubles de tante Pia étaient réalisés sur mesure, donc faux et sans valeur marchande. Il en était de même pour les rares tableaux comme le grand Grau-Sala, représentant ma tante en habit de soirée. Les autres étaient des gloires locales comme Moses Levy, adulé comme le grand maître, Charles Delacroix et Latapie. Mon père et ma mère tombèrent en arrêt devant un très beau Delacroix qui représentait une carrière près de Carthage. Mais après avoir longtemps hésité, mon père en offrit un prix trop bas et le chef d’œuvre trouva un acquéreur. Ma mère regretta souvent cette occasion manquée, d’autant plus que le tableau avait trouvé son mur : au dessus du hall où il pouvait avantageusement masquer un trou occasionné par des travaux inachevés.
LE REFUGE
Mon sanctuaire pendant toutes ces années fut la bibliothèque, toute en acajou rouge et brillant, où trônait un piano Pleyel demi-queue dans la même essence de bois. Paolino y jouait occasionnellement quelques mesures de Bach. J’adorais entendre ces sons mélodieux.
Je descendais vers trois heures chez tante Pia. Giuseppina, la fidèle et discrète gouvernante, menue et silencieuse, l’introduisait dans la bibliothèque. A 16h30 elle me priait d’évacuer les lieux : tante Pia donnait une réception pour ses amies. Je voyais défiler les chariots à pâtisseries, de superbes gâteaux au chocolat bien noir, et… toute cette argenterie étincelante ! On sonnait : c’était la première visite annoncée depuis la magnifique entrée de réception privative, au 2, rue de Strasbourg (et non au 2 bis comme tous les locataires dont nous). Un majestueux escalier conduisait les hôtes au premier étage, au dessus de l’entresol, (le deuxième étage ,en fait) alors que l’entrée normale étaient dotée d’un ascenseur, luxe rare à Tunis, où les immeuble dépassaient rarement les trois étages. J’appris ainsi à apprécier le luxe silencieux, ce charme discret de la bourgeoisie raillé par Luis Bunuel. Dame, il vivait dedans et il pouvait cracher dans la soupe.
Pia était affable et un peu distraite en ma présence. On se croisait à peine et elle laissait échapper quelques compliments stéréotypés. Elle était d’ailleurs aimable avec tout le monde, sauf avec ZouZou, le femme de Aldo, son aîné, une communiste fanatique, grande perche autoritaire et hirsute qui avait dévoyait le pauvre garçon en le gagnant à la cause du père du peuple. Elle réussit à lui faire renier ses parents comme des vipères lubriques impérialistes. Sous son influence, ce grand et beau garçon était devenu une pâle réplique du Hugo Barine des mains sales ; crachant sur ses bourgeois de parents. Ainsi, très tôt je pris en horreur les communistes, répulsion qui n’a plus d’objet que posthume, ces misérables ayant tous été discrédités.
Tante Pia, comme beaucoup de mondains traitait ses enfants avec le même détachement aimable que ses relations. Sa cour comprenait le Bey de Tunis, et les personnalités de passage.
LES LOCATAIRES DE L’IMMEUBLE
Au troisième étage, au dessus de Albert Bessis, le propriétaire de l’immeuble, on comptait trois appartements. Le locataire le plus notable était Edouard Bessis, un de ses neveux. C’était un petit homme gras, rougeaud et vaniteux, toujours à la traine de son épouse, Milou, une grande femme très extravertie, très sûre d’elle-même, éclatante et vaniteuse. Tout ce qu’elle possédait : bijoux, meubles, tableaux, et fils, était supérieur à tout ce que l’on pouvait souhaiter. Contrairement aux copies de tante Pia, les meubles
étaient d’époque et les tableaux de maitres authentiques ? Leur fils Bernard était un beau petit garçon qui faisait l’admiration de ses parents ; rien n’était assez beau pour lui.
Il eut une fin tragique. Devenu à Paris étudiant de psychanalyse, il eût le malheur de tomber sous la coupe de Lacan et finit par se suicider.
Sur le même palier résidaient les Lehmann antipathiques et réservés, et, face à son logis une malheureuse femme un peu sourde et affligée d’une ribambelle de gosses indisciplinés dont un petit montgolien. Dépassée par le surcroit de travail, rongée par la douleur, elle ne pouvait plus tenir ses diables d’enfants. Elle nous fit d’autant de peine à maman et à Marina, que je risquais une maladie analogue : la maladie de Bouillot.
Au quatrième étage, où nous habitions, logeaient côté nord les Jamy, puis Aldo Bessis et sa communiste de femme, Zouzou, Simone Bessis, la fille de tante Pia qui, après avoir divorcé d’un sale légionnaire Jean Schapira se remaria avec le cérmiste Nello Levy, fils de Mosès Levy le meilleur des peintres locaux qui peignait dans le style de Boudin. Il s’était spécialisé dans les scènes de plage de toutes petites dimensions. Il me donna quelques leçons de peinture vite oubliées.
Enfin au cinquième et dernier étage on trouvait les chambres de bonne, et une penthouse donnant sur l’avenue, occupée par une petite femme vive et colérique. Aussi remuante que laide, mais pas antipathique . Elle tenait une boutique de meubles et un atelier de décoration. : Jeanne et Jacques. Son mari un médecin réputé par sa bonté, mourut du choléra dont une épidémie sévissait à Tunis. Je ne le connaissais pas, mais cet homme splendide fut l’objet d’une légende. Son père, Jules Bessis, un homme bourru, court sur pattes, pipe éternellement au bec, je le voyais de temps en temps, réplique de Winston Churchill. Il ne se remit jamais de la mort de son fils.
Paludisme, amides, choléra, typhoïde, autant de plaies qui nourrissaient l’hypocondrie de ma mère. Boire de l’eau du robinet revenait pour elle (et elle n’avait pas tort) à coucher aujourd’hui avec un prostitué mâle sans préservatif ! Les américains nous apprirent à stériliser l’eau en y dissolvant quelques paillettes de permanganate de potassium. Elles se dissolvaient, nuages roses ; avant de disparaître.
9 juillet 2009 10h15
CINÉMAS
C’était juste au lendemain de la guerre, et la ville revenait à la vie, sans changement, comme si ces années de guerre avaient simplement mis en veilleuse son train-train.
Il était temps. Les allemands s’apprêtaient à parquer les juifs dans un hangar aux abords du port, pour les expédier, outre mer vers les camps de la mort.
J’étais tout particulièrement fasciné par les cinémas, dont je contemplais la nuit, de mon balcon, les enseignes lumineuses, de simples écritures au néon très lumineux et de couleur variée dont le rouge fluorescent du « midi-minuit » et le bleu violacé du « Paris ».
Les trois plus beaux cinémas étaient dans l’ordre : Le Colisée, le Capitole et le Palmarium.
Le Colisée était le centre stratégique d’une sorte de shopping center miniature avant la lettre. Les galeries étaient modernes et accueillantes on y trouvait notamment un cabaret où de produisait alors Edith Piaf.
LES COULOIRS
Une double rangée de gradins majestueux menaient à un palier limité par une paroi de portes mystérieuses, percées de trous ovales garnies de verre foncé. On devinait derrière ces hublots, des lumières incertaines. C’était un couloir intermédiaire bordé par une deuxième rangée de portes, en tous points semblables à la première qui donnaient directement sur la salle, amphithéâtre vaste, rideau de velours rouge. Les hublots et le double couloir qui protégeait la salle de la lumière extérieure, m’impressionnaient. Ce mystère et cette magie, je les retrouvai dans les toiles de Crémonini, - « Le bar sur la plage » par exemple. Si j’accorde une importance qui peut paraître exagérée à ces détails, c’est que je découvris plus tard, que le début de l’iconographie de « L’Entretien » leur doit tout. J’y ai toujours représenté la salle du jugement dernier, là où le terrible pesage des âmes tient lieu, comme défendue par ces couloirs interminables et mystérieux où s’affairent les avocats des morts.
Le Capitole était une démarcation du Colisée mais donnant sur l’avenue. Son rideau était d’un rose violet et il se trouvait de l’autre côté de l’Avenue Jules Ferry, non loin de la gare du TGM. Le Palmarium était de l’avis général, le plus beau, de tous, en modern-style mais sa particularité, pour moi la plus frappante, était son rideau vert. Michel qui lit par dessus mes épaules me fait observait qu’encore aujourd’hui on ne fait pas de rideaux verts, cela serait censé porter malheur. Pourtant la Fenice de Venise est d’un magnifique vert d’eau et or. Du Palmarium, dévasté par les bombes, je ne vis que des ruines pseudo égyptiennes.
Ces propos peuvent laisser l’impression que je fréquentais assidument les cinémas, mais il n’en était rien. Ce n’est qu’à la toute fin de la guerre, que j’allai voir le tandem Shirley Temple et Dana Durbin au Colisée, j’étais un fanatique de Dana Durbin, la mascotte des GI’s américains, et de Shirley Temple, la touchante star de douze ans, aux boucles blondes et au souris angélique, qui faisait pleurer les âmes sensibles.
MES SORTIES
Elles étaient mesurées avec parcimonie. Vers la fin de la guerre, le me rendais tout seul de la rue de Strasbourg, à l’appartement de « La Nonna », ma grand-mère. Elle me préparait un délicieux breuvage : une épaisse liqueur huileuse et d’un rouge de cerise, dont elle diluait avec lenteur une cuiller, dans un verre d’eau très fraiche, venant d’un gargoulette. C’était d’ailleurs de la cerise concentrée naturelle.
Ci-dessus ma grand mère en train de lire.
Je me rendais à la rue de Paris en passant par l’avenue Garibaldi devant la vitrine de Chiche, le numismate, et dévoré par la convoitise, je contemplais les rangées de monnaies antiques si chargées de rêve et d’histoire. Je débutai une collection, en échangeant avec Pierre Landrin, un faux camarade, qui me fourguait des pastilles vertes de concrétion et de carbonate de cuivre. C’était des pièces sûrement authentiques, qui eût pris la peine d’imiter l’invendable ? Mon oncle Guillaume Pansieri, allié à la famille de mon père, me fit cadeau d’un beau coffret numismatique, surmonté par une petite vitrine d’exposition. Ma plus belle pièce était une grande monnaie de bronze, à l’effigie d’une tête de cheval en haut relief, l’emblème de Carthage. J’avais aussi un baiocco pontifical, un farthing anglais et quelques autres monnaies du temps de la Reine Victoria. Un trésor qui me fut volé pendant mon départ de Tunis pour la France.
Mais le plus souvent je longeai le lac mort, bordé par l’avenue Gambetta, plantée de palmiers et qui menait directement du port au square de la rue de Paris. Hangars et entrepôts enlaidissaient l’avenue étouffante sous la réverbération et déserte. J’étais invariablement vêtu par un complet bleu avec cravate et chemise blanche. Je ne transpirais même pas. J’avais toujours froid et cela continue.