CHRONIQUE
JOUR DE MARCHÉ
Ce matin, on se lève tôt pour nous rendre au marché avant que la foule et la chaleur ne l'envahissent. On prévoit d'acheter des parapluies, des cardigans, des sacs de plage, toutes sortes de petits auxiliaires utiles. Il ne faut pas se figurer qu'il n'y a que de la pacotille au marché de San Remo. Certes, les ceintures sont en cuir bien imité, mais c'est du carton recouvert d'une couche de cuir reconstitué, mais on y trouve aussi de la lingerie Made in Italy, de belles écharpes, pas des pashmina trop vues, et des vêtements sportifs de très bonne qualité et d'ailleurs assez chers.
DÉCADENCE
Une formule de Marina, comme je l’ai déjà dit dans un dernier billet est « moins bien que l’année dernière, mieux que l’année prochaine ». Cela devrait l’inciter à faire des provisions, mais non. Elle agit comme si les produits devaient être réassortis l’année prochaine. Logique féminine. Elle avait promis à ses amies des étoles en soie naturelle 100%, elle en trouva, mais elles avaient rapetissé. Le choix était moins important et les pulls de cashmere triple fil made in Italy provenaient de gammes dépareillés. En revanche j’achetai des chaussettes de fil d’écosse, à 15euros les quatre, contre 15 pièce chez Figaret (en solde) et trois chez Intimo. Une des raisons de cette décadence est la chasse forcenée … et justifiée des marques contre les faussaires. Voici une dizaine d’années on trouvait tout le choix de sacs Vuitton, de portefeuilles et de pochettes Hermès, sans compter les foulards, les kellys, les ceintures. Et la fabrication made in Italy était irréprochable, même si elles n’arrivaient pas à la cheville de la réalisation Hermès. Il suffit de voir les coffrets et les mallettes en crocodile orangé comme le nécessaire à pique nique en crocos orangé qu’un couple de japonais qui mirent deux ans pour être livrés. Mais leur joie faisait plaisir à voir.
LE PAON ET LE MIROIR
Au retour j’ai mis, pour mon plaisir, l’ensemble sportif de chez Hermès offert par Oleg, qui m’a habillé de pied en cap dans des tonalités de bleu chiné et de beige. On y trouvait aussi une veste en lin sitôt achetée, sitôt froissée. Il était à peu près impossible d’en détecter la provenance, sauf à faire semblant de fouiller dans une des poches, pour faire ressortir une bande de cuir, seul indice de provenance de Hermès. Par ailleurs je me suis enfin rasé convenablement grâce un rasoir fabriqué totalement au Japon. Je me reconnus plus dans le miroir, j’avais grâce à Tatiana et Oleg, rajeuni de vingt ans ! Après m’être pavané comme un gigolo je m’octroyai un somme bienvenu, car au dehors il faisait lourd et chaud et une légère brume flottait qui blanchissait le ciel et effaçait la ligne d’horizon.
L'ENFER AU RÉVEIL
Je me réveillai avec les douleurs les plus vives que j’aie jamais subi dans toute mon existence, pire que les radiofréquences, pire que ma chute dans le noir, ayant posé, un jour de Noël, pendant une panne de courant, le pied dans le vide. Ce n’est point difficile à imaginer mes amis. Il est un certain nombre d’entre vous qui avez souffert de lumbagos à la colonne vertébrale. Ceux-ci avaient élu leur siège au bas de la colonne vertébrale. D’habitude j’en viens facilement à bout en me massant la zone douloureuse diffuse à la recherche du « point focal » de la douleur, et en tâchant de la circonscrire à un lieu aussi étroit que possible. Sans ménagements il faut alors masser la contracture en essayant de se faire le plus mal que possible. On constate lors que pourvu qu’on continue à presser et à meurtrir l’épicentre de la douleur, on troque la douleur qui s’emparait de tout le bassin, contre un minuscule point très localisé. Tant que vous le maltraitez vous pourrez effectuer sans problèmes tout déplacement. Si vous pouvez attendre d’autres points séparément l’effet est supportable. Vous pouvez ainsi vous déplacer, vous asseoir et surtout marcher. L’effet de ces manipulations est accru si vous disposez d’un séchoir à cheveux.
Dès lors pourquoi les hurlements de bête fauve qui accompagnèrent mon réveil ? Tout simplement parce que pour me masser il me fallait atteindre le dos avec mes doigts. Or pour cela il fallait que je soulève mon bassin, ce qui n’était guère possible. Un malheur ne venant jamais seul, d’affreuses crampes s’emparèrent de mes jambes, tétanies dues au lasilix, un médicament destiné à combattre ma maladie de foie. Or il n’existe que deux moyens pour lutter contre ces contractures abominables qui rendent vos mollets, vos cuisses, vos pieds et vos mains, durs comme des troncs d’arbre ; mais parcourus de mouvements spasmodiques autonomes : 1. L’eau très chaude pendant dix minutes, 2. Vous avez compris que j’étais coincé par ces deux maux contradictoires.
Enfin, au bout d’un temps infini, le robuste Michel vint à la rescousse et me convainquit que je devais m’asseoir, quitte à hurler un bon coup. Il me redressa d’un coup, et après une vive douleur, la douleur s’atténua dès que je pus libérer mon dos pour me masser. En comprimant d’une main l’épicentre le plus bas des contractures, je pus marcher tranquillement, faisant disparaître les crampes.
Le soir je me couchai avec une ceinture lombaire, mais c’était pure bêtise car je ne pouvais ainsi me masser.
Si je vous donne ce luxe de détails, c’est parce qu’il vous arrivera un jour ou l’autre cette affection et qu’on vous prescrira du Nifluryl , et alors, bonjour les brûlures d’estomac !
UN AMI
Je me débarrassai également de mon sentiment d’avoir commis une gaffe en mettant mon ami intime Olaf Olafson en garde contre une personne que nous aimions beaucoup tous deux et que je surpris en flagrant délit d’infidélité et de trahison. Les puissants n’aiment guère qu’on leur ôte leurs illusions, et vous prennent pour un mouchard qui pourra un jour vous dénoncer. Je lui téléphonai pour lui faire part de mon malaise et essayai d’atténuer mes attaques. Mais mon ami avec une grande douceur écarta mes scrupules. Tout cela, me dit-il, était secondaire, ce qui le préoccupait au plus haut point était ma santé ; il m’assura que dès que possible, il me rejoindrait à San Remo.
OMBRES CHINOISES
Je pus ainsi jouir tranquillement de l’excellente cuisine italienne, même si sévèrement limitée par un régime drastique. Le soleil avait percé derrière la chape d’humidité et inondait ma chambre située à l’Ouest. Et voici que d’improviste un des plus violents orages éclata, une étrange lumière jaune envahit le ciel donnant naissance à un double arc-en-ciel sur fond de foudre. Un craquement sec, et tout l’hôtel fut plongé dans le noir, même les lumières de secours avaient cédé. Nous descendîmes à tâtons jusqu’au grand salon hanté par des ombres chinoises de personnages en déroute, pendant que, bravement, le pianiste et la chanteuse continuaient d’officier, scène fellinienne s’il en fût. On libéra les clients enfermés dans la nacelle des ascenseurs et tout redevint normal… jusqu’au deuxième craquement sec. Dans ces entrefaites, la nuit étant tombée la scène devint encore plus paniquante. J’assistai à une panne analogue voici quelques années. Immédiatement le vieux Bertolini avait prévu de placer des torches électriques dans chaque chambre et plein de pittoresques chandeliers à chaque table. Mais voilà. Le fondateur et esprit des lieux c’était éteint cet hiver, et un calcul économique rationnel avait multiplié le coût d’immobilisation d’un capital lumières de secours, par la probabilité d’occurrence d’une panne prolongée, et au terme de savants calculs sur logiciels sophistiqués avait sans doute abouti à un critère de 89,75 % pour la suppression. Le vieux monsieur Bertolini ne connaissait pas l’informatique mais simplement sa clientèle.