CHRONIQUE
LA CÔTE SOUS LA PLUIE
CE 1ER JUILLET. NOTES DE VOYAGE
Le départ se fit dans une sorte d’affolement. Les médecins m’interdirent de rester une heure de plus dans la chaleur et dans la pollution parisienne. J’avais donc le choix de me rendre à Deauville puis, lorsque j’aurais récupéré, arriver en retard à San Remo, soit
affronter huit heures de train et me rendre directement à ma destination. Ce que j’ai fait.
Une de mes visions préférées, lorsque je prends le TGV est d’admirer de Saint Raffaël à Cannes, le contraste des roches rouges, de la mer d’un bleu intense sous le ciel pur. C’est aussi de percevoir dans un éclair de pure jalousie les magnifiques villas toutes blanches à colonnades et ornées de balustrades descendant les pieds dans l’eau. Mais une surprise m’attendait : à partir de Saint Rafael, le soleil s’éteignit, la mer, le ciel étaient
D’un gris sombre, bientôt zébré d’un fouet de pluie ininterrompue. Je ne reconnus point le paysage naguère si joyeux. Les roches étaient d’un brun sale, les couleurs fuligineuses,. On supporte une mer d’encre à Deauville, le brouillard et le ciel gris, en sont des attributs naturels, et cela ne dure point, mais sur la côte d’azur, cela produit un effet déprimant, contre nature. Je pensais aux gens qui avaient acheté à prix d’or une bicoque pieds dans l’eau pour retrouver les jeux de pluie une humidité et un brouillard mous pis que ceux des plages du nord.
A partir de Cannes, le temps empira. Les plages naguère animées par des corps heureux étaient désertes. On se serait cru à Maubeuge, où jamais quiconque n’a admiré le moindre crépuscule. La mer était criblée par les rafales de pluie torrentielle, ininterrompue. Ma sœur et moi, regrettâmes Deauville, où le ciel était méditerranéen et la mer de soie grise. En général, là où il fait beau ailleurs, il fait mauvais à Monaco.
Adossée à de hautes falaises qui arrêtent les nuages, emprisonnant la brouillasse entre les gratte-ciels immondes, Monte Carlo autrefois station balnéaire paisible et quelque peu tentatrice par son casino, est devenue le haut lieu de l’argent noir et des margoulins flambeurs. Aujourd’hui, il faisait plus que mauvais. En voyant la ville depuis la crique suivante, elle m’apparut comme une vision de cauchemar. De sinistres cristaux de plomb émergeaient d’une ouate corrompue, sous une bruine fuligineuse. Comment Alexandre Pugachev qui y a vécu une partie de sa vie et qui a un appartement peut-il s’y plaire ?
A partir de Ventimiglia c’est l’Italie qui commence. Les bâtiments sont plus pauvres, pas tous ravalés, on sent que les milliardaires russes et du golfe, ne fréquentent guère la Riviera italienne.
Luigi, le chauffeur est venu nous chercher, ma sœur et Jean-Marie notre « maître d’hôtel » pour nous conduire au Royal. Plus on approchait de notre destination, plus le temps s’arrangeait. Un petit brin de ciel bleu, puis un soleil nous souhaita la bienvenue à San Remo, alors qu’on avait oublié de qu’était un beau temps méditerranéen. Méditerranéen l’accueil qu’on nous réserva à l’hôtel. Tous nous firent la fête, depuis le portier et la réception jusqu’aux femmes de chambre et la gouvernante. Cette dernière, une humble et modeste personne n’est autre que la propre fille et héritière du Signor Bertolini, le fondateur et l’âme de l’hôtel que nous connaissons depuis le lendemain de la guerre, où il tenait un établissement à Courmayeur, qui ne payait pas de mine mais bénéficiait d’un service et d’un cuisine digne des plus grands palaces de l’époque. On pouvait en dire autant du Baur au Lac de Zürich, le plus réputé de la ville, qui ressemble à une pension de famille mais le service unique au monde. Depuis, avec la mondialisation les critères ont bien changé. Les chambres sont ultra modernes et dotées de tout le confort électronique et normalisé. Internet, boutiques de grandes marques, 40 restaurants de spécialités faussement exotiques, des voyages organisés, des activités sportives, de la musculation et le hammam, toujours identiques d’un Four Seasons à l’autre, d’un Hyatt à l’autre, des salles de séminaires, de l’épate pour cadres supérieurs d’une prétention et d’une nullité dépassant celle des émirs. Un cadre pour des cadres. Et du papier, du papier, du papier glacé, des sites internet, des questionnaires interactifs en guis de dialogue avec les consommateurs, … tels sont les prérogatives du luxe en ce début de XXIème siècle.
A San Remo, on essaya de s’adapter. On aménagea le sous-sol en centres de fitness, de massages à la noix, de balnéothérapie et de remise en forme, de gymnastique mécanisée, et autres gadgets, destinés à justifier une croissante augmentation de prix du Royal.
Mais un fantôme circulait, silencieux, veillant à chaque détail, à exiger la célérité dans le service et les petits détails utiles : remise de beaux sacs de plages aux clients, plats de fruits et champagne de bienvenue… Le fantôme était Bertolini, nonagénaire, silhouette haute et maigre, agitée par la maladie de Parkinson, mais combien réconfortante nonobstant son grand âge.
Il est mort cet hiver, Bertolini, les sacs de plages ne sont pas disponibles, ils ont oublié les fruits de bienvenue parce que l’ordinateur disait qu’on n’était pas là. Ce qui n’était pas faut : on n’aurait pas dû être là, on était un jour en avance. Si on se fondait sur le jugement humain, on aurait bien vu que nous étions, mais l’ordinateur eut le dessus.
Enfin, aurait tort de se plaindre. N’était un épouvantable lumbago, et des crampes aux mollets, qui n’ont rien à voir avec mon opération, je puis bénir le Seigneur : pas la moindre réaction à tout ce qu’a subi mon foie, et le moral est toujours au beau fixe surtout depuis qu’Alexandre Pugachev est venu me voir deux soirées de suite à Paris, gêné au début, souriant à la fin en voyant que je ne lui en voulait pas pour ses silences prolongés. J’espère le voir à San Remo pendant un de ces week-ends.
J’appréhende toujours la nuit, cauchemar où les crampes et la lombalgie s’emparent de ma carcasse.
Bonne nuit.
Bruno Lussato