CHRONIQUE
FUITE
Tous sont sur le départ sauf moi. Je suis obligé de rester actif et mon appartement qui est aussi un bureau, en activité. Bien que tout ce qui puisse avoir une quelconque valeur, Socrate Papadopoulos a insisté pour installer chez moi un garde du corps à demeure, chargé de surveiller la personne qui arrose tous les jours les plantes, et mon informaticien qui est en train d'imprimer les blogs, le corriger puis les donner à la duplication. L'appartement est tellement encombré qu'en ce qui me concerne ce n'est pas de départ que je devrais parler mais de fuite!
J'ai eu ainsi une nouvelle preuve de la fidèle sollicitude de mes amis et de mes deux fils adoptifs Oleg et Misha. Sergei Pugachev a été également plein d'égards pour moi, et j'espère qu'après San Remo, je pourrait terminer chez lui ma convalescence provisoire. On se tiendra ainsi compagnie mutuellement dans sa propriété de la Côte d'Azur.
Sandrine reste aussi à Paris, immense travailleuse; la femme idéale selon mes critères. Ah! Si j'avais eu quarante ans de moins! Et puis j'ai ma fille adoptive Tatiana qui vient me voir demain, toujours pleine de sollicitude, comme toute fille à papa! J'ai donc de quoi être heureux.
N'était une ombre au tableau. Alors que ce soir je m'escrimai avec mon Apple, qui ne veut décidément pas accepter mon blog et mon nouvel ami Guilhery, on sonne à la porte : c'était l'intense objet de ma douleur,le jeune homme dont je vous ai entretenu. J'étais dépenaillé,en pyjama, décoré d'une ceinture lombaire; lui d'une élégance impéccable comme d'habitude. Il avait tellement l'habitude de me poser des lapins que je ne l'attendais pas!
L'entrevue fut pire que tout ce que je pouvais en attendre. Un mutisme glacial... pire, indifférent. Lorsque je lui posais la question de savoir comment il pouvait passer de l'affection la plus réconfortante à une indifférence totale. Il me répondit : je ne sais pas. Il fut le seul, lui fis-je remarquer, à ne pas avoir pris de nouvelles de mon opération. Il répondit distraitement, "je vois que ça c'est bien passé puisque vous êtes là". Je passai des considérations affectives ainsi enterrées par son cynisme, à des affaires ponctuelles qui le concernaient. Pas de réponse.
Par ailleurs il m'avait causé un grave préjudice et je lui demandai une réparation symbolique.
- Quel préjudice?
- Vous avez ruiné ma réputation auprès de personnalités importantes pour ma carrière.
- Oui? Je vous donnerai la réponse demain. Je compris alors que je n'en n'obtiendrais même pas un geste symbolique. Je lui demandai pour finir ce qu'il comptait faire dans le futur de nos relations.
-Ce que vous voudrez, me dit-il.
- Mais ça dépend de vous. Que voulez vous de moi?
- C'est à vous de me le dire.
J'arrête car ce dialogue surréaliste est pire qu'une prise de bec franche. Il va venir me voir demain, mais il m'a entraîné dans un piège pour que je sois sous sa coupe et il joue avec moi, et le sait.
Un jour peut-être dévoilerai-je son identité, que connaissent mes amis intimes.Si ce n'était le piège dans lequel il m'a englué, il y a longtemps que j'aurais pris la fuite, comme le recommendait La Bruyère, qui dit que lorsqu'on est en présence d'un homme cruel et puissant, même les antipodes seront trop proches pour se garder de son influence destructrice.
Cela nous ramène à des notions de bien et de mal dont j'ai discuté ce soir à dîner autour d'un Sushi, avec Sacha. Ses interrogations étaient si angoissantes et si justes que je lui ai demandé d'en faire un billet. Je lui répondrai alors.
Il est 5h30 et je vous dis bonne nuit.
Bruno Lussato.
13 heures , lire dans le corps du blog , si cela vous dit, mes souvenirs d'enfance.
En fouillant dans ma bibliothèque de manuscrits à la recherche de quelque ouvrage personnel que je pourrais laisser en souvenir à un ou une qui m'ont été fidèles en ces jours difficiles, j'ai trouvé un très joli volume en cuir artisanal fabriqué pour moi à San Remo sur un merveilleur papier à la forme, Amalfi, le meilleurs de toute l'Italie.
Il m'a semblé que cela pourrait intéresser certains d'entre vous, d'une part parce qu'il écrit la vie cent ans en arrière (Tunis avant la guerre et pendant, vivaitau siècle dernier), d'autre part parce qu'il complète les réflexions de Sacha sur l'impossibilité de concilier contact avec la nature, exploitation autarcique et productivité. Vous trouverez ce Journal des temps d'innocence dans le corps du blog.
JOURNAL DES TEMPS D'INNOCENCE.
Extraits
Voir le texte au billet du 5 juillet. SUNNYDAYS
Alors que j'hésitais entre commencer "Virus", ou poursuivre mon travail sur la désinformation,des souvenirs perdus firent alors brutalement irruption, comme issus de la piscine bienvenue où je renouais commerce avec mon corps après la longue nuit des sens.
Comment leur résister, à ces pauvres lambeaux de mon passé lointain? Avec une netteté accrue, due peut-être au recul de l'âge,ils s'imposaient, et ils cernaient un inconnu, un enfant innocent, naïf, rêveur,celui qui portait mon nom et que mon existence tourmentée et égoïste renia obstinément.C'est à lui que je dois réparation au terme du chemin de ma vie.
Ci-dessus, des croquis de la maison de Tunis et ma Grand-mère bien-aimée Anne, en train de lire. Elle était affligée d'une surdité presque totale, et ma tante Renée était aveugle, suite à une opération ratée sur la trompe d'eustache.
Ci-dessus, ma soeur en train de faire ses devoirs. A droite une commode tombeau Louis XIV.
Ci-dessus, vu de la piazza del Duomo à Todi, Ombrie. Aurelio, le maître nageur de ma piscine me rappelle que Dante disait de l'Ombrie, que c'est le jardin de l'Italie. Je lui parlai du cdeau de Misha, l'incunable de la Commedia illustré par Botticcelli. Il ne cessait de répéter : c'est une valeur inestimable, inestimable, inestimable... Il me suggère aussi de me renseigner sur Jacopone da'Todi. Je me souviens que c'était un poète, gloire de la petite ville.
Bien après la guerre, vers 1950, je passai en famille quelques jours chez le Capitaine Marinelli, un des militaires qui avaient réquisitionné notre famille pendant la guerre, pour nous protéger des allemands. Il avait une ordonnance, l'adjudant Pavia, un jeune homme d'une extraordinaire gentillesse, tué pendant la guerre. Le capitaine ne s'en consola jamais. Todi, perché au sommet d'une haute colline, possédait 35 églises dont la cathédrale, classique, et le duomo resté inachevé, une seule tour sur deux. Un potentat voisin, jaloux de la supériorité culturelle et architecturale de Todi, lui fit crever les yeux. On était aussi impitoyables à cet époque que dans les balkans d'aujourd'hui, mais pour d'autres raisons. On ne songerait aujourd'hui tuer pour s'approprier de la haute culture ! Todi , aujourdh'ui un lieu de tourisme très réputé, était un sanctuaire ignoré, perdu dans les annales les plus cachées de l'histoire, accessibles seulement aux érudits. En plus de ses églises, on comptait le magnifique duomo du Bramante tout en marbre blanc, au pied de la colline, le beau collège des garçons, impéccablement tenu, un très joli théâtre, scala en miniature, avec un petit piano à queuuere où je pus jouer avec l'illusion que je donnais un concert à des ombres. Il y avait aussi d'excellents médecins, parmi lequel le dottore Gaudenzi Pierrozzi, héritier d'une vieille dynastie, était le plus respecté. C'est que Todi se trouvait en terre rurale, et desservait tous les nombreux villages avoisinant aussi bien que les fermes isolées.
Mais ce que j'appréciai tout particulièrement dans les fresques de l'époque, était les bordures qui me fascinaient par leur imagination, par leur richesse décorative. C'était de la pure joaillerie que je retrouvai quelques décénnies plus tard dans les livres de Mathias de Hongrie.
LA MAISON DU CAPITAINE MARINELLI
Comme je l'ai dit plus haut, nous étions invités dans une maison non loin de la place des chateaux forts, en pierre blanche d'ombrie. Ces blocs de pierre massifs, parallélipédiques, percés de meurtrières étroites, donnaient sur une place limitée par une balustrade donnant sur le vide.
La maison était tout sauf luxueuse, ni tout à fait confortable. On entrait par la cuisine où le chouchou était un poussin apprivoisé répondant au nom de Pirro (Pyrrhus). Le capitaine vivait avec sa gouvernante: Maria, qui était comme sa propre soeur. Le sol était en jolies tommettes brique et les poutres du plafond d'un bois patiné sombre de toute beauté. Les murs à la chaux étaient blancs, d'autres bleu ciel. Les lits était très hauts, étroits et les matelas profonds, parfumés par des sachets de lavande.