CHRONIQUE
...ET IN TERRA PAX...
Paix sur terre aux hommes de bonne volonté. Tels sont les mots sacrés du Sanctus portés à un point de transcendance indescriptible par Beethoven dans sa Missa Solemnis. J'entends par là la lutte contre l'adversité, la conscience qu'hélas le mal est dominant et que la seule possibilité qui nous reste est, plutôt que d'échafauder des plans grandioses visant à transformer la planète, se contenter de bâtir une petite chapelle, et de dispenser amour concret, compassion et soutiens pour aider des personnes à affronter la solitude, la maladie, la mort.
Dans un registre plus étendu, je me plais à souligner le projet conçu dans ses moindres détails par la femme la plus extraordinaire que j'aie jamais rencontrée. Marie Antoinette de Bournet, dite Mimi, ll qui a quelques années de plus que moi, a engagé ses biens, ses propriétés pour créer un projet nécessaire. Il y a des années, ma mère nonagénaire avait eu un accident cérébral qui nécessitaient une surveillance constante. Ma soeur et moi, nous la plaçames dans la meilleure institution, la plus luxueuse, de la région parisienne. Elle se plaignait de ce que les surveillantes la battaient, et on attribuait ces propos à des fantasmes. Je m'y trouvais à Noël et sous le beau sapin, des femmes de soixante à quetre-vingt ans, jouaient au bridge, ou erraient comme des âmes en peine, le regard vide.
Où sont vos enfants demandai-je. Au sports d'hiver me répondirent-elles, on ne les a pas vus depuis des mois, car en dehors des vacances ils sont très pris par leurs travail. Il n'ont même pas eu le temps de nous téléphoner, vous savez. D'autres femmes veuves sans famille, financées par des gérants rapaces, attendaient la mort.
Madame de Bournet conçut un projet grandiose et nécessaire : un ensemble de maisons individuelles de deux chambres et un petit salon, une infra-structure comprenant un personnel compétent et pointu : animateurs, psychologues, gérontologues, médecins, et donnant vie à des activités très variées : cinémas, lectures, conférences, concerts, clubs, artisanat, engageant les personnes seules ou les couples isolés à revivre, à reprendre espoir.
J’essaie avec mes faibles forces de procurer des fonds pour le service du Professeur Paul, un homme admirable, proche de ses patients, plein de compassion et d’une compétence universellement reconnue. Son esprit transparait dans tout le service d’une gentillesse et d’une bonne volonté insignes. J’en parlerai plus bas. Hommes et femmes de bonne volonté.
COMPTE RENDU D'HOSPITALISATION
Compte rendu d’hospitalisation.
Lorsque j’arrivai sur le site de l’Institut Gustave Roussy, à Villejuif, je fus impressionné. Au milieu de champs pelés hérissés de grillages rébarbatifs et de ronces, un couple dérisoire prenait un bain de soleil, minuscule présence humaine. De l’autre côté trois immenses cônes renversés en béton, monolithes de cauchemar, incinérateurs ou bouches d’aération, dressaient une présence menaçante. Le bâtiment consistait en un groupe de tours miroirs aux angles acérés, agressifs. L’intérieur aurait pu être un siège de multinationales, un aéroport, un musée, un centre commercial sans boutiques, un hôtel de Dubai, tout sauf un hôpital. Des efforts considérables furent consentis pour accroître le prestige et l’agrément du lieu : jardins tropicaux, mur aux grillages rectangulaires multicolores, comme du Richter ou du Gursky, sol de marbre brillant. Mais le gigantisme altérait l’agrément du lieu. Les bureaux vitrés ressemblaient aux alvéoles d’une ruche où des lémures humaines couvaient et pondaient des formulaires.
Je pensais que les chambres étaient dignes de la froideur élégante du rez-de-chaussée. Je tombais en enfer. Une odeur nauséabonde flottait dans l’air vicié, des cloisons, des cagibis, des parois métalliques, s’enchevêtraient en tous sens dans un chaos indescriptible ou des zombies hagards erraient apparemment sans but. Les chambres étaient brun chocolat et orangé rouge, conçues pour trois lits et alignaient une rangée de neuf placards. Chacun contenait un lavabo, une douche, une toilette. Et toujours la même odeur. Je crois qu’au bout d’un séjour dans cette piaule, n’importe qui serait tombé dans une dépression profonde.
La préparation de l’opération fut une suite de péripéties. Le Dr. Debaere ne put localiser mes scanners ; il finit au bout d’une véritable enquête, par se rendre en personne à Necker pour les consulter. Un homme de bonne volonté s’il en fût. Lorsque je me présentai à l’admission, on me dit : vous ne pouvez pas être admis car vous êtes né en 2009.
-Mais je ne suis pas un nourrisson. !
-C’est écrit 2009, votre carte d’identité n’est pas conforme.`
- Mais il y a eu une erreur.
- Vous devez tout recommencer et faire rectifier la date d’admission ou celle de 2009 qui fait foi.
Le pauvre Michel dut refaire la queue pour le troisième fois. Enfin je fus admis.
A la salle d’opération j’appris que je ne serais pas anesthésié complètement et j’eus la confirmation des dangers de l’opération. Mais je ne pouvais avoir peur. J’étais trimballé comme un sac de pommes de terre par des brancardiers brutaux, et puis, je ne pouvais chasser de mon esprit la trahison du jeune homme dont j’ai parlé tantôt. L’opération fut un succès, et le docteur Debaere m’annonça, suprême élégance, que cela était plus facile qu’il ne le pensait. Il me salua et partit aussitôt pour la Chine.
A mon retour mon corps n’était qu’une courbature. Je fichai le camp dès le lendemain pour me retrouver à Cochin dans le service du Professeur Paul. Je me trouvai dans la plus belle des chambres single, avec vue sur le Val de Grace et le Panthéon. Tous me firent la fête comme on accueille après une longue absence quelqu’un de cher. La gentillesse de tous y compris le Dr. Mallet me toucha beaucoup. Je me retrouvais chez moi. Le lendemain on m’apporta une ceinture lombaire et mon Apple.
Quant aux suites de l’opération, je ne m’aperçus de rien. Sitôt après le réveil j’étais impatient de reprendre le travail, mon blog et écrivit d’innombrables moutures pour le jeune homme afin de pénétrer ses intentions. Je retrouvai instantanément mon énergie coutumière au grand ahurissement des médecins qui me trouvaient en pleine forme, comme si rien ne s’était passé. On voulait me renvoyer chez moi, mais j’insistai pour rester le week end. J’étais entouré de femmes et d’hommes de bonne volonté.
Je mesurai la grande misère de la médecine française, des médecins sous payés, des ensembles pathogènes insalubres. Mais parmi les meilleurs praticiens du monde. Plutôt que d’essayer de remédier à la situation, je me contenterai de militer pour ma famille de Cochin.