CHRONIQUE
SURVIVAL (Survie)
Je viens de relire Hamlet pour mieux comprendre la conception célèbre de Peter Brook. En dépit de qualités plastiques impressionnantes (la dominance d'un rouge pompéïen, rappelant dans la texture des fonds, les tableaux de matière de Tàpies) et de l'ecellente diction des acteurs, nombreux sont les points choquants. Tout d'abord, bien que Brook ait énoncé qu'il s'agit d'une adaptation, il ne s'est agit que d'une adaptation. Je veux dire par là que des scènes capitales, comme celle de la représentation théâtrale qui a déclenché la décision du roi, d'expédier Hamlet vers la mort en Angleterre, sont absente. Dès lors c'est le meurtre de Polonius infiniment moins préoccupant qui a servie de mine prétexte. La logique interne de la pièce s'effondre. Non moins détestable est la facilité qui commence à donner la parole à Hamlet dès le début, interversion contraire aux lois du théâtre qui veulent que le personnage principal n'apparaisse qu'après une préparation par des comparses chargés de camper le climat.
Le souci tiers-mondiste de Brook, devait lui ouvrir la sympathie du monde intellectuel parisien, celui qui fait et défait une réputation. Obéissant à un égalitarisme qui n'était pas de mise ici, il mélange noirs typés aux cheveux crépus, les plus importants acteurs (Hamlet, les Rois, Ophélie) et blonds censés être les parents des noirs. On a un clash de style choquant qui nuit à la vraisemblance de la pièce et empêche l'identification naturelle du spectateur aux acteurs. Tant qu'à sacrifier au tiers-mondisme pour montrer l'universalité de Shakespeare, il eût mieux valu de jouer avec des personnages tous noirs.
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SURVIVAL
Journal du 22 juin 2009-(SUITE)
Si je cite Hamlet, c’est parce que la question : to be or not to be, qui est un pont-aux ânes pour le grand public, est chargé d’une tension extrême, inexistante chez les mondains et les érudits, sourde chez les amateurs, terrifiante dans le contexte qui est le mien.
Je n’ai trouvé qu’un moyen d’affronter cette double terreur : cesser d’exister, ne pouvoir prolonger une vie éphémère. C’est de vivre dans l’instant, mais faire de l’instant un semblant d’éternité. J’ai donné maintes fois dans ce blog la boutade d’une vie de chien. Un chien vit en moyenne 15ans, l’homme 75 ans soit cinq fois plus. Cela signifie qu’une heure pour un homme en représente cinq pour notre animal familier. Or ce n’est pas le cas pour la majorité des hommes qui, soit se démènent pour courir comme Faust, à la recherche d’un accomplissement durable, soit se vautrent dans une oisiveté amorphe, on dit de ceux là qu’ils se laissent vivre.
Il me semble donc nécessaire, puisqu’on mène tous une vie de chien, que nous en ayons le profit : l’allongement du temps. Penser au temps qui fuit et à la mort qui est au bout, vivre déjà sa mort par anticipation, c’est voir le verre, à moitié vide. Au contraire, si l’on jouit de chaque minute comme un bienfait du Seigneur, si l’on peut bénéficier de quelques instants de la journée où on ne souffre pas et le goûter goulument, alors on se réjouit, on se dire c’est toujours cela de pris ! C’est voir le verre à moitié plein. Ma mère me disait, que passé un certain âge, si en se réveillant le matin on ne souffre pas, c’est qu’on est mort. Je dirai plutôt « c’est qu’on a de la chance et qu’il faut en jouir.
LA POSTÉRITE
Que restera-t-il dans cent ans… dans dix ans … des empires que les entrepreneurs ont bâti en tuant leur temps, en négligeant leur développement personnel, la joie de vivre et d’aimer ? Le plus souvent rien, surtout à notre ère de turbulences où la roue de la fortune bien huilée, tourne à toute vitesse comme une roulette de Montecarlo devenue folle.
Aujourd’hui, Oleg Deripaska, un homme noble et généreux est venu me voir de Moscou, dans ma retraite de Deauville. Voici quelques années on se disputait l’honneur de lui dire quelques mots à l’issue d’un banquet. Il est profondément lié à sa Société et s’est trouvé entrainé dans la baisse des cours de l’aluminium rencontrant mille difficultés et dépendant, lui jadis si autonome du bon vouloir de banques peureuses ou rapaces. Que restera-t-il de son empire ?
Misha, je l’ai rencontré avant hier et le jour d’avant. Il me confia qu’il cherchait avant tout à préserver sa liberté et qu’un entrepreneur est entravé par des menottes. François Dalle, (L’Oréal) Gérard Mulliez,(Auchan), Edouard Leclerc , sont des fondateurs, ils font un avec leur entreprise. Il ne se sentent pas vieillir et sont convaincus qu’ils sont nécessaires à la survie de leur enfant. Malheureusement non seulement ils fragilisent l’entreprise par leur vieillesse, qui se retourne contre la firme, mais il empêchent de pousser les jeunes bourgeons prometteurs. Que restera-t-il dans un siècle de leur notoriété ? Ils auront disparu sans laisser la moindre trace.
Ce sort ne touche évidemment pas les grands créateurs : Bach, Mozart, Picasso, Shakespeare… Picasso, Fra Angelico, Léonard de Vinci, Sesshu, Ogata Korin... On pourrait considérer leur génie comme une ombre portée qui traversera les siècles et deviendra de plus en plus vivante.
Mais les autres ? Tous ne sont pas Mozart ni Molière !
Il existe à mon sens une réponse à cette interrogation : c’est la fondation d’un musée original et exemplaire. Voici quelques exemples :
Jean Grolier fut un des plus grands bibliophiles, un mécène généreux et compétent. Sa bibliothèque comprenait des livres qu’il avait payé à prix d’or. Parmi les mécènes d’aujourd’hui, ceux qui risquent d’imprimer leur marque pour les siècles à venir, se nomment : Getty, Thyssen-Bornemitza , Luwig, Bodmer, Barbier Muller etc…
Point n’est besoin d’être milliardaire pour créer un ensemble muséal. Mon nom eût été attaché à l’histoire du stylo, sans le Hold Up qui m’en dépouilla. Costakis, pratiquement sans le sou édifia une collection célèbre sur l’avant garde russe.
Aujourd’hui, Oleg Deripasca qui se débat comme je l’ai dit plus haut, dans des difficultés financières dues à la crise, continue néanmoins à construire un musée : le Western Mingei-Kan qui fait partie de la fondation d’Uccle dans le quartier le plus prestigieux de Bruxelles.
Il sera le plus important du monde et prolongera son souvenir et son nom. En moins de six mois, Philippe Boudin et moi-même avec la participation de Tatiana, le futur conservateur, nous avons édifié un ensemble qui surclasse par la qualité et la rareté des pièces la célèbre collection que Montgomery a mis trente ans à rassembler.
Alexandre Pugachev de son côté exprima le désir formel de reprendre la relève de la deuxième fondation initiée par Misha. spécialisée dans les manuscrits et les éditions originale. D’ici moins d’une décennie elle deviendra la plus conviviale des grandes d’une importance capitale pour le patrimoine mondial. Digne par la qualité et la rareté des bibliothèques d’état les plus prestigieuses, elle transmettra le nom d’une illustre lignée . Je parlai de tout cela à Oleg, qui m’a toujours suivi complètement et qui me promit de continuer à développer ce musée d’art populaire et de faire traduire en anglais et en russe le catalogue raisonné de la collection.