CHRONIQUE
NOUVEAU REGARD SUR BEETHOVEN
Je viens d'arriver à Paris sous une pluie battante. Il était temps de quitter Deauville, le temps que cela se remette au beau. J'ai téléphoné au Professeur Pol qui ne répond pas. Cela me donne au moins un sursis mental, j'ai tellement l'illusion d'être en parfaite santé, que cela en est troublant, oeil du cyclone. Socrate m'a appelé comme chaque jour. Kimyasu Tatsuno, le conservateur de l'ex-musée du stylo, me poursuit avec les détails des transactions. C'est un compliqué, un tatillon sans précision et je n'ai pas besoin de cela en ce moment.
Je me suis précipité sur ma chaîne et j'ai écouté l'op 127, (le XIIème quatuor) et j'ai été rassuré sur l'état de mes oreilles. C'était mon coucou de Deauville qui trahissait la musique, et je ne crois pas que le quatuor Végh améliorât la clarté de l'audition. J'ai trouvé à Paris, traînant dans ma discothèque, une excellente édition des derniers quatuors, que je vous recommande. Elle est prise live par le quatuor Berg, l'héritier de la tradition allemande fondée par Schuppanzig qui créa la majeure partie des quatuors de Beethoven.
Il faut cependant avouer, que l'extrême complexité de la tessiture polyphonique, rend bien difficile l'écoute du thème du dernier mouvement, celui qui rappelle la IXème Symphonie. Cette troisième manière de Beethoven, d'où toute prise en compte des possibilités des instrumentistes et des choeurs est absente, le compositeur, muré dans sa solitude, est obligé de concevoir mentalement ses structures et de les projeter dans le futur; La logique l'emporte sur la qualité sonore, et les artistes subissent sa loi cruelle de laquelle ils sont étrangers. Des œuvres inhumaines verront le jour, dont la dernière sonate. Dans celle-ci on trouve des passages incompréhensibles, même pour Arthur Schnabel qui se contente pour toute remarque de répondre par un point d'exclamation, pour tout commentaire. Je pense notamment à des accents non compris au premier mouvement, mais surtout au battement oscillant à période variable. Les octaves vibrantes sont regroupées en cellules d'une longueur qui semble arbitraire et dont nul ne connnaît la signification.
Toutes ces considérations m'ont donné envie de rejouer la Sonate op.111, que j'ai interprété pendant deux décennies. Je me suis trouvé engagé dans un combat de titans. Il faut en dépit de de la rage qui déferle, garder le contrôle de la polyphonie à trois voix. Je ne m'étais jamais senti partie prenante, comme lors de cette dernière approche. J'enrage cependant car mes doigts peinent à se souvenir de tous les détails, et c'est la pulpe des doigts, et non la vue de la partition, ni l'oreille, qui détiennent le souvenir.