CHRONIQUE
Au fil des heures
UNE VIE DE CHIEN
Le temps se rétrécit. La seule manière de l'élargir est l'action. Vous vous souvenez sans doute de l'expression "une vie de chien"? C'est un informaticien sur les nerfs qui la répétait inlassablement.MAis cet esprit chagrin eût dû l'analyser correctement. En effet la vie d'un chien dépasse rarement les quinze ans, ce qui correspond à un sixième de la notre. Acceptons les conséquences de cette observation anodine. Elle signifie que pendant le même laps de temps d'horloge, ce qui pour nous est une heure, pour le chien est une demi-journée.
C'est que, comme l'a montré Paul Fraisse dans sa Psychologie du temps (PUF) le temps psychologique, le seul qui importe pour nous, ne se mesure ni au sablier, ni au chronomètre de précision. Il dépend du nombre d'évènements marquants écoulés. Par exemple vous voilà en train de vous bronzer au soleil, dans une douce béatitude, entre torpeur et rèverie diffuse. Ainsi s'écoule l'après midi dans les tropiques, jusqu'à ce que la nuit s'abatte à six heures, comme un couperet. Si le lendemain, ou un an après vous essayez de mesurer le temps écoulé, vous vous direz que c'est un agréable ... moment ! Un moment, c'est un instant, c'est du temps bradé. Les expressions populaires : "tuer le temps" ou "le jour le plus long", montrent le fossé qui sépare le temps de vie du temps d'horloge.
Prenons un exemple familier. Vous avez choisi un nouveau paradis de vacances, le Club Méditerranée à la Martinique ou un séjour de rève à prix réduit à Miami. Les deux premiers jours semblent durer une semaine, puis le temps file de plus en plus vite, et puis sans que vous sachiez comment, les vacances sont déjà finies. Cet effet est dû à la nouveauté du premier contact. Tout est nouveau, étonnant, mais après cela devient machinal et ne laisse plus de traces dans la mémoire..
LE MOINEAU DÉPLUMÉ
La leçon à tirer de ces cas familiers, est qu'il faut que chaque heure se présente comme une journée miniature, pleine d'une nouveauté saisissante et irriguant une mini aventure. Je me souviens encore - et vous aussi peut-être car je l'ai noté alors dans un billet - de ce moment privilégié où totalement amnésique, je me promenais sous un beau soleil, gai comme un pinson, aux abords du Nom de la Rose, le célèbre fleuriste. En cheminant vers mon domicile, je vis un moineau déplumé qui trottinait gaiement et je le suivis. Il traversa l'avenue Georges V et se mit à fouiller, heureux, dans les poubelles d'Hédiard. L'esprit du moineau entra en moi, j'étais devenu moineau déplumé. Cette extraordinaire aventure, la banalité même pour un bien portant assailli par mille préoccupations, ne dura qu'une heure, mais une heure d'éternité.
LE CHAT DE SARLAT
Je me trouvais à Sarlat, au moment de ma convalescence (on venait d'enlever ma rate) et j'errais au hasard dans les vieilles rues parsemées de grosses pierres calcinées par un soleil de Printemps déjà très chaud. Je grimpai dans une ruelle en escalier qui aboutissait à une plateforme limitée par de vieilles murailles. Et tout au bord de l'escalier dormait un chat de gouttière. Il était visiblement béat, ventre offert aux doux rayons réconfortants. Je croyais même entendre son ronronnement satisfait. En m'entendant m'approcher il ne bougea pas mais tourna sa tête vers moi. Il était aveugle. Ses prunelles n'étaient que globes morts dénués d'iris et blanchâtres. Je fus saisi d'une immense pitié pour cette bête heureuse. Elle m'évoquait ma pauvre tante Renée, la complice de mon adolescence ,aveugle et pourtant d'humeur égale et souriante. Face à de tels malheurs, a-t-on le courage de se plaindre?
La vue est de tous les sens le plus précieux à mon avis. La surdité sépare des autres, Beethoven en savait quelque chose, mais il pouvait écrire ses partitions. Mais Bach devenu aveugle dût dicter l'Art de la Fugue et le dernier choral " Seigneur, je me présente devant ton Trône..." ou "Dans le désespoir le plus grand..." La vue autorise la lecture, l'imagination, le rêve, l'admiration pour les belles choses. Encore faut-il savoir transformer ,en images vivantes, en sons expressifs les caractères morts d'un livre. Mais songez que bien des lecteurs préfèrent un dialogue théâtral imprimé que son interprétation sur une scène de Théâtre. Cela a été mon cas. Point pour l'Avare, ou le malade Imaginaire qui ont trouvé leur interprètes définitifs, mais certainement les tragédies grecques ou dans la plupart des opéras de Wagner. Verdi est bien souvent trahi par le physique de ses interprètes, mais on ne peut lire Verdi, alors que la lecture de Wagner est hautement significative.
RETENIR LE TEMPS QUI FUIT
L'écrit est fait pour cela. L'oral est évanescent, le texte fixe l'instant capté dans une lettre d'amour, dans un journal, dans un sermon. L'improvisation est certes figée mais on peut avec de l'imagination, la faire revivre.
Mon blog, mes chers internautes, et de plus en plus un journal souvent à la limite de l'intime. Mais ce journal est condamné à périr. En effet dans dix ans, dans vingt ans, dans cent ans, l'évolution des standards et des logiciels interdira la lecture de votre pensée à la merci des serveurs. Et qu'on nous objecte pas le palliatif des disques de sauvegarde. Eux aussi sont tributaires de l'évolution des standards et de leur incompatibilité. Ou alors, il faudrait tout repiquer d'un standard à l'autre avant que le plus ancien devienne inaccessibe. C'est d'ailleurs le cas des enregistrements. Ils sont tributaires de la possession de lecteurs de cylindres, de lecteurs de 78 tours, de 33 tours et demain sans doute de nos CD actuels. Seules des maisons de disques spécialisées peuvent - à grand peine - se les procurer.
LES ANNALES DU BLOG
Que faire alors? Il faut imprimer sur papier, et autant que possible du papier durable, susceptible de conserver les textes pendant des siècles. Voyez les livres d'heures médiévaux, les plus anciennes calligraphies chinoises consacrée à la poésie et au sacré. C'est pourquoi Michel s'est attelé à la tâche ingrate d'imprimer tout le blog depuis son origine à la mi-février 2007. Cela donne d'enormes fascicules mensuels que je fais dupliquer recto-verso chez un photo shop. En un second temps, je relirai les billets pour détecter les erreurs de frappe ou de style et porter mes corrections. En un troisième temps, je corrigerai sur le blog, toutes les planches déféctueuses. J'obtiendrai alors une sorte d'encyclopédie à mettre entre toutes les mains.
Lire la suite dans le corps du billet. J'y introduis des compléments et des
simplifications destinés à simplifier et à préciser, le passage sur la discothèque idéale.