CHRONIQUE
DERNIER JOUR À DEAUVILLE
Le temps est de plus en plus radieux. Nous regrettons de devoir regagner la capitale polluée, étouffante et pour moi, devenue claustrophobique.
Je dois voir l’anesthésiste demain et après demain j’entre à Villejuif pour être opéré jeudi matin.
Je ne me sens nullement angoissé, et je profite de la vie de Deauville, de son marché, de mon petit jardin au bout duquel la piscine est bleue comme sur la côte d’azur. D’un bleu méditerranéen, le ciel, D'un bleu de cobalt bien plus pur que celui de San Remo, toujours un peu blanchâtre de réverbération.
J’ai été entouré de tant d’amour et de sollicitude que j’en ai puisé le courage nécessaire pour lutter. Il y a d’abord la tribu Auchan, ma seconde famille, et tout particulièrement Henri Mathias, Arnaud Mulliez et Vianney. le trio si proche de moi. Il me tarde de connaître à nouveau la joie de me retrouver à Lille, au milieu de leur chère famille et en particulier Sophie, cuisinière émérite et femme de caractère, courageuse et aimante, et la « Baronne » une internaute active et à l’intelligence aigue.
ACCUEIL
Certes tous mes amis lillois ont été interloqués d’apprendre par le blog, la nouvelle de ma conversion. Mais ils ont compris qu’il ne s’agit pas d’un OU BIEN , OU BIEN, une foi rempçant une autre, mais d'un ET, une foi s’ajoutant, complétant, enrichissant les autres. Je n’ai pas choisi une nouvelle religion, bien au contraire, je suis revenu aux sources, d’avant le Concile de Nicée, cette Eglise fondée par Pierre et qui est restée depuis à peu près inchangée. Ce sont le catholicisme, puis le protestantisme qui sont venus infléchir, humaniser et enrichir l’orthodoxie, chargés des monuments culturels et artistiques qui sont l’honneur du monde occidental. Mais pourquoi opposer des faces différentes d’un même cristal? Le thème étant fourni par l’orthodoxie brute, faut-il négliger le variations qui n’en sont que les transformations changeantes ? Le musicien vous répondra : non.
PANNE
Il me manque de ne pas pouvoir communiquer par ce blog, qui ne fonctionne que quelques heures par nuit, victime d’un serveur orange déficient et d’une bureaucratie aussi paralysante que celle qui a empêché Air France de remplacer une sonde défectueuse sur l’Airbus en dépit de tous les avertissements répétés. Ces gens d’Orange, ces responsables de serveurs, font beaucoup de publicité pour attirer leur camelote, puis lorsqu’on a besoin d’eux, font les morts. Il est certain que la fréquentation de ce blog ne pourra qu’en pâtir. Enfin, je ne sais pas, comment, mon entourage et mes relations ont tous lu mes billets et c’est là l’essentiel.
PROXIMITÉ d'OLEG
Il ne sert de rien de la cacher. Sans Tatiana , et mes liens profonds avec les Olef, Misha, Sergei et aussi S., dont vous savez qu’il est mon successeur au blog, jamais je n’aurais eu l’idée de me faire baptiser selon les rites orthodoxes. Tout au plus, j’aurais essayé d’apprendre le russe. Mais Misha me l’a clairement dit : il est beaucoup plus important, lorsqu’on veut montrer son appartenance à la communauté russe, d’embrasser la foi orthodoxe, que d’apprendre la langue.
La proximité de mes amis russes s’est manifestée par des actes on ne peut plus concrets, pas par de bonnes paroles. Oleg, en dépit de ses ennuis dévorants, a pris avant-hier son jet de Moscou pour faire l’aller retour à Deauville. Nous avons à peine eu le temps de prendre un brunch au Normandy, dont il a déploré le bruit, et de parler une petite heure dans mon modeste appartement. Nous nous sommes quittés les larmes aux yeux, et je sais que si un malheur devait survenir, je pourrai compter sur sa protection et le chaleureux soutien de celle qui est devenue comme ma propre fille, Tatiana. Ma sœur ne restera pas démunie et seule face à son affreuse solitude. Tatiana sera naturellement à mes côtés, le jour J.
MISHA, une présence quotidienne.
La présence de Misha se manifeste autrement. Si l’on excepte les dimanches, tous les jours voilà sa voix amicale, affectueuse, encourageante que me soutient. « Hello, it is Misha ! » Il sait combien ces simples mots me réconfortent. Il a eu la générosité parmi bien d’autres, de mettre à ma disposition une magnifique limousine conduite par l’ingénieux Michel, celui-là même qui vient d’imprimer la quasi totalité de tous les billets du blog, depuis sa création.
Misha nous envoie son énorme jet nous prendre ma sœur et moi, pour nous recevoir à Moscou aux environs du 27 Août. Marina souffre des tympans et à cause de cela ne peut prendre l’avion. Mais je connais ces jets privés. Outre un confort inégalé (la possibilité de dormir) leur pression est réglée sur mesure et ils peuvent descendre avec une telle douceur vers le sol, que les tympans les plus sensibles sont préservés. S’il le faut, un médecin m’accompagnera. Marina meurt d’envie de connaître les coupoles du Kremlin, c’est un rêve tout à fait authentique qui vient de loin.
LE JEUNE PUGACHEV, l'enfant terrible et son père SERGEI
Reste mon préféré, Alexandre, qui a pris l’engagement de continuer la troisième fondation. Mais il est très occupé, et comme son père Sergei, ce gros travailleur, tenace et ambitieux, ne supporte pas les pressions. Il m’appellera quand il le voudra et agira à sa manière. Après mon opération, j’espère passer quelques temps dans la demeure de Sergei, à Saint Jean Cap Ferrat. Sergei m’a en effet inclus dans sa famille et c’est lui qui m’a tiré généreusement d’affaire quand j’étais l’année dernière, sur le bord de l’interdiction bancaire !
LE DOIGT DE DIEU
Si j’énumère ces informations après tout personnelles et confidentielles, c’est pour montrer combien l’amour est vivifiant, et comment, miraculeusement, quand vous êtes au fond du gouffre, tout d’un coup l’inexplicable vous aide à remonter la pente.
Voici encore deux ans, j’étais toujours le solitaire entouré d’un mur de glace, une sorte de respect qui tenait toutes mes relations à distance et empêchait toute relation authentique. J’étais considéré comme une personne que l’on admire mais qu’on ne fréquente pas. Ces décennies d’isolement moral furent propices à la gestation de « Apocalypsis cum Figuris ».
Et voici que soudain mon mal se réveille, menaçant. L’hôpital devient ma seconde demeure, ma vie précaire, la souffrance physique et morale ininterrompues. Je n’ai même plus la force de faire chanter mon piano. Le son qui en sort est scolaire, mécanique. J’ai vieilli de vingt ans.
J’aurais été alors incrédule s i l’on me prédisait pour la fin de mon parcours, la bénédiction d’attachements profond de la part des personnages les plus divers et les plus puissants. Claude Guéant, Secrétaire Général de l’Elysée, qui depuis vingt ans m’honore de son estime était étonné. Comment l’intellectuel français, épris de culture, et œuvrant dans l’obscurité est-il devenu l’ami intime du plus prestigieux des oligarques russes, celui dont tous quémandent des bribes d’entretien, souvent en vain. Je serais bien en peine de lui répondre. Entre nous s’est produite une symbiose exceptionnelle, qui n’a fait que se renforcé. La curiosité, puis la confiance, le respect et l’admiration réciproque se sont succédé, pour aboutir à la plus intense des connivences, au don de ma vie, pour cet homme là qui m’avait déclaré : « I want you ! ». Aujourd’hui le voici victime du pire revers de fortune qui soit, dû à la chute de l’aluminium dont il était le roi, et à la crise, qui ruina tous ses placements américains. Mais il a continué à me suivre dans la constitution du Mingei-kan, se fiant à ma connaissance de la muséologie, et sans avoir recours à des experts ignares et prétentieux. Que Socrate et LH III n’aient suivi son exemple !
COVENANTS ET COUPS DE FOUDRE
Si mon amitié pour Oleg avait quelque chose d’exceptionnel, que dire alors du coup de foudre qui m’a valu un deuxième fils, après Oleg. Si Oleg était capable de développement personnel, ouvert aux choses de culture et fier de son musée, Misha était, quand je le connus, un pur homme d’affaires, doté d’un redoutable sens logique, d’une froideur totale en affaires, cherchant pour ses loisirs les jolies filles, les restaurants fins, les plages de rêve, entouré de ses camarades d’école, de jeunes gens charmants et jouisseurs avec qui partager tous les bonheurs terrestres. Par ailleurs pour des raisons liées aux affaires, Misha et Oleg s’entendent non comme larrons en foire, mais comme chien et chat, ou mieux comme le chat considère avec amour, l’oiseau dans sa cage. Le fait de me savoir si proche de Oleg eût dû le faire fuir.
Contrairement à Oleg qui ne signa les quatre covenants (confiance absolue, respect absolu, ponctualité, toute la vie durant) qu’avec beaucoup d’hésitation en ce qui concerne le dernier, Misha, signa sans hésiter le moins du monde et s’engagea à toujours être à me cotés, en personne ou au téléphone. Depuis il tint parole scrupuleusement. Par quel miracle me retrouvai-je gratifié d’une immense affection de ceux que je ne puis considérer que comme mes enfants par le cœur ? N’est-ce pas un don miraculeux que me fit le Seigneur, comme pour m’aider dans mes épreuves ?
Bruno Lussato 1h30
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