Le chantre de la mort rattrapé par la Mort
Un échiquier. Le chevalier joue avec un prêtre au visage plein et blafard, cheveux dissimulés par une capuche, yeux noirs et vides d’expression, lèvres minces et ironiques. C’est la Mort, telle que Ingmar Bergman l’a dépeinte dans son chef d’œuvre absolu : Le Septième sceau. Fresque grandiose et monochrome, fusion entre la barbarie médiévale et celle de notre siècle, celui du communisme, du national socialisme et de l’islamisme. Eres de confusion, aussi vides que les yeux de la Mort.
Ingmar Bergman vient de s’éteindre à l’âge de 89 ans, doucement, veillé par une de ses filles, une mort comme on voudrait tous l’avoir, sans convulsion ni douleurs, ni cris ni chuchotements. Il est de ceux qui ont prouvé que le cinéma peut être un genre majeur, tant il a contrôlé chaque détail, préservé le plan d’ensemble des tentations du succès. Ses œuvres sans complaisance sont totalement exemptes de maniérisme en dépit de leur extrême originalité qui les rapproche de l’ésotérisme mais qui n’est que concentration de pensée.
Ingmar Bergman, plus encore que les autres génies du cinéma, est celui qui m’a le plus influencé. Depuis mon adolescence, marquée par la maladie et la peur, la révolte et la soumission, je ne pus me débarrasser de la terreur de la mort, conséquence de mon attachement viscéral à la vie. Tant de choses qui ne seront pas vécues, pensées, ressenties, exprimées et surtout créées. On joue avec la Mort, on ruse, et puis on renverse les pièces des échecs. Dans le Septième Sceau, antidote à la mort, l’amour de deux êtres sains et jeunes, pour qui le chevalier se sacrifie. Mais autre antidote mauvais : la torture, les persécutions, justifiées par les extrémismes de la populace hurlante, bavant sa haine. Nous vivons tout cela aujourd’hui.
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