CHRONIQUE
EN ÉCOUTANT LE DERNIER QUATUOR
Vous avez deviné, c'est au dernier quatuor Op.135 de Beethoven que je fais allusion, celui qui annonce déjà la Xème Symphonie.
Je vous convie à l'écouter avec moi ce soir.
Pourquoi, contrairement à mes principes qui exigent que l'on procède par ordre chronologique, l'op 106, la terrible Hammerklavier ne prenant son sens qu'à la suite de l'Appassionata Op.57 par exemple, pourquoi commencer le massif imposant des quatuors qui balayent toute la carrière de Beethoven, par le tout dernier?
C'est tout simplement parce que c'est le premier. Le premier non pas d'un nouveau style, d'une nouvelle manière de Beethoven mais d'un compositeur inconnu dont a accouché le Beethoven que nous connaissons. Appelons-le Beethoven II. On peut à la rigueur reconnaître l'influence de Beethoven I dont il est l'héritier, mais pas davantage que celle de Haydn pour la Sonate Pathétique. Toute influence sera radicalement balayée avec ce que nous savons de la Xème Symphonie (Le CD indispensable dirigé par Wynn Morris).
Oubliez donc tout ce qui a précédé ce quatuor, puisque rien ne l'a précédé. Oubliez tout et ouvrez votre coeur et vos oreilles. "Que du coeur cela aille au coeur" écrivait Beethoven à propos de la "Missa Solemnis", mais le message émotionnel, subjectif, personnel du compositeur à l'auditeur, était véhiculé par une musique dont la volonté d'expression était affirmée, qui se lamentait, se révoltait, qui explosait triomphalement. Rien de tel dans ce quatuor 0 : aucune volonté d'expression, tout "sottovoce", lisse, introverti, avec de soudains cris d'angoisse fff, vite réprimés, et une fin dansante comme le "Printemps" de Botticcelli de quelques mesures qui prend son vol avant d'être tranché net. Mes chers amis, Beethoven, qui comme je vous l’ai déjà écrit est le e prédécesseur antagoniste du premier quatuor de Beethoven II, l’héritier du compositeur qui nous est familier.
A Deauville j’ai déniché dans un placard l’intégrale par le quatuor Végh, chez Valois-Auvidis, réalisé de 1972 à 1974 à La Chaux-de-fonds en Suisse. Ma chaine est un vieux coucou d’il y a trente ans, hérissé de réglages compliqués et de cadrans luminescents, très à la mode en ce temps-là et flanqué de deux boites à chaussures pompeusement dénommées Hauts-Parleurs, qui ne parvient pas à tomber en panne . Elle s’accroche à la vie, ma chaîne, elle ne veut pas être jetée au rebut !.
Pour autant que je puisse juger l’exécution des Végh m’a semblé confuse, brouillonne, bien inférieure à celle du quatuor Amadeus, dont j’ai conservé un souvenir impérissable. Evidemment Kolich ou à défaut Juillard sont la référence, mais est-il possible de se les procurer ?
En écoutant les effluves nostalgiques , tantôt désespérés à l’étouffée, tantôt d’une joie , ambiguë interrompus par des clameurs déchirantes, cris inhumains de bête blessée, je faillis pleurer malgré que j’en aie. Sandrine me manqua affreusement, la seule avec qui je puis partager pleinement la découverte de la beauté à l’état naissant. Elle part pour prendre des vacances pleinement méritées, mais sans elle je me sens si seul, si démuni. Ma sœur vit beaucoup plus durement que moi sa solitude. Elle est tournée vers les autres, les relations authentiques, le dialogue sur un plan spirituel élevé. Au bout de je ne sais combien d’efforts, Arnaud Mulliez au téléphone m’a enseigné à établir sur word le texte que je vous destinais et que j’ai dû recommencer en pure perte, au moins quatre fois. Il m’a appris comment effectuer mon copier coller, et ce n’était guère aisé avec un nul, réfractaire aux délices des logiciels contemporains.
Hier soir, vous confié-je, entre chien et loup, lorsque les silhouettes noires des villas normande se découpent en ombres sur un ciel d’une luminosité à la Magritte, j’écoutai le dernier quatuor de Beethoven. et j’ai relu le texte perspicace de Brigitte Massin qui a su entrevoir le côté prophétique, novateur, et il faut bien le dire « anormal » de cette œuvre généralement considérée avec condescendance comme une forme de lassitude pour le genre où le maître a excellé, ou encore un épuisement des forces créatives.
Il est effectivement intéressant de comparer un monument comme la Symphonie avec Chœurs et une miniature comme la dernière œuvre du compositeur. Tout dépend de quelle manière on la perçoit. La réaction première, encore plus marquée lorsqu’on la compare à l’autre pour chœur dont il ne subsiste que des lambeaux est la déception. Mais la réaction perspicace est au contraire la surprise, la stupéfaction d'une technique, d'une vision, d'une conception de la musique, opposées, pis encore, étrangères l'une à l'autre.
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