CHRONIQUE
Les nœuds des fondations
Le MINGEI
Mes chers amis,
En ce moment, comme vous l'avez remarqué, je me suis passionnément investi dans l'édification de cette église de la culture qu'est une fondation, si nous comparons un musée à une cathéfrale. Je devrais ajouter, une modeste église de village aspirant à tenir un rang significatif en Europe sinon dans le monde. Un exemple frappant est l'art populaire japonais, ce MINGEI que l'on voit partout, au quai Branly, au centre japonais, entre autres, une fois terminées il ne restera aucun moyen au public comme aux étudiants et aux chercheurs pour prendre connaissance de cette forme rude et fascinante d'art et d'artisanat.
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Ci-dessus : un masque d'époque Momoyama en cours d'acquisition.
Grâce à l'enthousiasme et l'oeil de T.M., ma muse, j'ai pu confisquer plus de trente pièces, les plus importantes à part cinq, dont j'envisage l'achat. Il est possible que dans quelques mois nous constituerons un noeud de concentration autour du MinGei suffisant pour attirer à lui tout seul un public d'amateurs et d'experts. Ce serait en effet le seul centre où on pourra prendre connaissance de ce qu'est le Mingei, à moins d'aller aux Etats Unis ou au Japon.
Marina déteste les petites pièces qui font "riquiqui" lorsqu'elle sont trop abondantes. Elle remarque que dans les musées on assiste à une concentration de grandes pièces. J'ai contrôlé en me rendant à l'exposition Mingei au quai Branly. Elle a raison. Très peu de petites pièces, beaucoup de céramiques de grande taille. M.Baudin s'est mis à l'œuvre pour me dénicher des objets de grande dimension.En revanche, quai Branly, la plus grande partie des objets quotidiens typiquement Mingei sont curieusement absents. J'ai acheté le catalogue de l'expo. Toute une bibliothèque spécialisée est consacrée au Japon, mais on doit payer le prix d'un billet pour y avoir accès. Du jamais vu! J'ai non seulement examiner avec soin les reproductions, mais je me suis astreint à lire tout aussi attentivement le texte du maître Soetzu Yanagi, l'inititateur du Mingei en 1933.
A ma grande déception, le texte, très théorique était contredit par la réalité à la fois de ce qu'est le Mingei, et ce qui est donné à voir Quai Branly. En exemple il suffit de relever des propos théoriques de Soetzu.
... fait partie du mingei tout ce qui est nécessaire à l'existence quotidienne de chacun :vêtement, meubles; vaisselle, matériel d'écriture. Ces objets divers que l'on qualifie de frusstes, peu élaborés sont des objets mingei.
Moi, je veux bien, mais où sont ces objets dans l'exposition? Les meubles sont modernes, pour le reste se sont des poteries prestigieuses de très grande taille et faussement primitives. En cela elles diffèrent des laques précieuses et les brocarts conventionnels qui font l'admiration des collectionneurs.
Au contraire, dans notre collection, on trouve un foisonnement de tels objets : ustensiles de coiffure, vaisselle, pots et assiettes pour la cérémonie du thé accompagnés de tous les accessoires, une tabatière et sa pipe, une table de laqueur complète, et, bien entendu, les textiles.
Ci-dessus, pipe et tabatière portatifs. Collection Mingei de la grande fondation.
On peut alors relever deux caractéristiques du mingei
1. il s'agit d'objets utiles,
2. Des objets ordinaires et non des objets luxueux et onéreux qui ne sont produits qu'en très petite quantité, créés pour être utilisés plutôt que regarder et dont le prix est à la portée de tous
3. Ils doivent être dotés de certaines qualités : l'honnêteté envers cette finalité d'usage, ni des produits qui sortent en surnombre des usines mécanisées et sont les victimes de l'esprit mercantile,ni des objets élégants qui visent au raffinement mais pour la plupart victimes des caprices du goût, et pervertis par des ornements inutiles. Or pour être utiles ces objets doivent prendre en compte honnêtement leur emploi et être sains,commodes et d'un maniement aisé.
La contradiction est portée par les objets eux mêmes. Allez au Musée Guimet et demandez à acheter d'authentiques oribe contemporains. Ils vous répondront qu'ils en ont eu mais en série très limitée et qu'ils étaient très onéreux par rapport aux poteries de pacotille..
En ce qui concerne le fait que l'objet n'est pas fait pour être regarder, mais pour servir, demandez à vos fesses, ce qu'elle pensent de ce siège mingei contemporain très esthétique et qui flatte notre sens esthétique.
Ci-dessus : Tabouret Butterfly Sori Yanagi 1956. Quratrième de couverture du catalogue, ACTES SUD 2008.
Comment comprendre les propos de Soetzu Yanagi?
Tout d'abord ils dénotent une réaction esthétique aux valeurs bourgeoises et même aristocratique, doublée d'une position morale. Le fonctionnalisme européen qui domine encore le design mondial, part de là mais sans la note moralisatrice typiquement japonaise.La croyance que les objets esthétiques peuvent changer le monde est utopique mais contient un fond de vérité. On retrouve les propos de Bouddha :
¶ Les hommes purs s'entourent d'objets purs
¶ Les objets purs s'entourent d'hommes purs
¶ Les hommes impurs s'entourent d'objets impurs
¶ Les objets impurs s'entourent d'hommes impurs
Les propos de Soetzu Yanagi prennent une actualité nouvelle et se sont révélés tristement prophétiques. J'ai élaboré voici un an une étude sur les secrets de la maison Hermès et j'ai trouvé comme caractéristiques l'honnêteté dans le travail du cuir, la simplicité des formes, la durabilité et la permanence dans le temps. J'ai retrouvé ces mêmes qualités chez nos admirables artisans français se transmettant des recettes de père en fils. Je les ai situés entre les entreprises de mode telles Vuitton ou mieux encore les horlogers modernes comme Patek Phililippe, autrefois honnêtes, (le luxe) et les produits de pacotille.
Jadis les rapports entre les hommes et les objets étaient plus denses : c'était pour un petit fils un motif de fierté que de porter un vêtement ayant habillé son grand-père. Or les objets actuels ont arraché du cœur des hommes ce sentiment de respect, de reconnaissance et d'amour envers les objets.
Soetzu Yanagi
Emporté par son obsession égalitaire, Soetzu Yanagi, adopte des positions unificatrices et anti individuelles proches des mots d'ordres collectivistes : de la Révolution Française à Lénine et Hitler. Non seulement il ne comprend pas qu'en érodant les lignes de crête on tue la pousse des sapins, et qu'on le veuille ou non il y aura toujours des génies comme Mozart et Raphaël,mais il méconnait l'esprit des objets mingei. Ils rivalisent de subtilité, d'imagination, et certains sont plus réussis que d'autres. La statuaire du moyen âge chrétien était anonyume. Mas les amateurs finirent par distinguer la supériorité de certains, nommés d'après leur style personnel (le maître de Chaours par exemple). Si les objets mingei étaient tels que ses positions doctrinaires le définissent, je ne me serais jamais hasardé à les rassembler dans une salle de musée au détriment de la place occupée par des objets raffinés et aristocratiques ! D'ailleurs la contradiction est patente. Il suffit de considerer la place qu'occupe Charlotte Perriand, ou le propre fils de Yanagi pour saisir un paradoxe qui frise la mauvaise foi. Et peu-t-on considérer comme ordinaire et indépendant des modes, un objets design conçu dans des usines mécaniques et où la recherche d'un style différenciant, frise le culte de la personnalité?
Ma conception du mingei
Elle est dictée par le contact avec les objets et confirmée par les marchands. C'est celle de Socrate definissant le connaisseur :
¶ Apprends à distinguer le mauvais du bon, et le meilleur de ce dernier.
Comme tout ensemble d'objets d'art, la loi qui s'impose est celle de Pareto. 20% des objets concentrent en eux toute la beauté. On peut sérier cet ensemble en zone I quantitativement la plus importante et obéissant aux critères d'utilité et de plaisir maximum, la zone II où s'étalent les produits de qualité moyenne ou bonne, et la zone III, quantitativement très faible et réservée à un petit groupe dit " l'élite ".
J'ai passé mon temps avec M.Boudin à apprendre, comme le recommande Socrate, à reconnaître le meilleur objet pour la grande fondation. Mon amie T.M. est parvenue par instinct (elle a l'oeil) à trouver les meilleures pièces. Mais c'est là une qualité rare et sélective.
Une différence essentielle entre art Mingei et art de cour, est que le premier privilégie le grain de la matière et s'offre à nous par le toucher, les irregularités, des jeux de matière; des motifs décoratifs sobres voire fugaces.
Mes chers internautes, nous aurons j'espère l'occasion de visiter d'autres lieux de la connaissance : la grande bibliophilie, les manuscrits à peinture.
En attendant, je vous dis bonne nuit.
Bruno Lussato
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