Art contemporain
Wednesday, 26 December 2007
Art Basel Miami Beach
Du 6 au 9 décembre 2007
Je profite du répit procuré par la trêve de fin d’année pour revenir en arrière. Pas très loin, à début décembre quand s’est tenue la foire de Miami.
Art Basel Miami Beach, organisée par la prestigieuse foire bâloise Art Basel, fut pour sa sixième édition, et comme chaque année, de très haute tenue.
Plus de 200 galeries sélectionnées, comme toujours parmi les meilleures du monde, hormis quelques couacs sans doute imputables à une certaine course à la « branchitude ».
Il faudrait en effet que je parvienne à comprendre pourquoi Peres Project (Los Angeles, Berlin) bénéficie de l’aura qui lui colle, alors que ses stands de foire sont toujours navrants de propositions plastiquement faciles et éculées, quand elles ne sont pas, disons le, putassières. Ainsi son accrochage de l’américain Terence Koh : un ensemble de photos pour une ambiance « orgie contemporaine », qui pour être éventuellement intrigante d’un point de vue social aurait nécessité une finesse d’esprit et de langage dont l’artiste est apparemment totalement dépourvu.
Parmi les points marquants de la foire, Contemporary Fine Arts (Berlin) avait ressorti de ses réserves un magnifique paysage de Peter Doig, de 1998, très émouvant dans les ambiances latentes dont il a le secret.
Stuart Shave / Modern Art (Londres) a consacré son stand, dépouillé, à six petits de tableaux de la très talentueuse Katy Moran.
Chez Sprüth/Magers (Cologne, Munich, Londres), un éblouissant paravent d’Ed Ruscha occupait le stand le troisième jour. D’un côté un ciel bleu en dégradé, de l’autre une ambiance coucher de soleil, et ces phrases opposées inscrites en relief : « I forgot to remember to forget » et « I remenbered to forget to remember » ; d'une intelligence et une simplicité désarmantes !
Franco Noero (Turin) a comme a son habitude signé un des stands les plus élégants, avec notamment un beau tableau d’Arturo Herrera en feutre gris, une petite installation du mexicain Gabriel Kuri et un très curieux et percutant film de Simon Starling, où la caméra se déplace autour d’une chaise de Carlo Mollino, la transformant en objet indéfinissable.
Mais plus que Art Basel, c’est l’autour et le trop-plein qu’il a généré qui m’intéressent.
Si depuis sa création, en 2002, l’événement a vu chaque année s’accroître le nombre de propositions, l’overdose est atteinte, avec cette fois-ci 22 foires off dénombrées, représentant (en incluant la grande foire) un total de plus de 1100 galeries présentes en ville cette semaine-là !
C’est considérable et surtout dommageable. En premier lieu, il est physiquement et mentalement impossible d’ingurgiter autant de propositions en une semaine. Même en voyant de bonnes choses, les foires sont à tel point fatigantes qu’arrive toujours un moment de saturation. Que dire avec 23 foires ?
En second lieu, et encore plus importante, est la question de la qualité. Qu’elle peut-être la qualité dans un si gigantesque amas, pour ne pas dire fatras ? Pour avoir parcouru quelques unes de ces foires, je n’y ai vu que des galeries médiocres, avec des artistes qui ne l’étaient pas moins. En notant une tendance très affirmée pour une mauvaise peinture abstraite, très brouillonne, pas pertinente chromatiquement, qui ne dit pas grand chose, mais qui est à la mode.
La peinture abstraite est un exercice difficile, et les jeunes artistes qui y réussissent, à l’instar de Katy Moran à Londres (voir http://www.stuartshavemodernart.com) ou de Jacin Giordano à Miami (voir http://www.galeriebaumetsultana.com) ne sont pas légion.
Du côté de la photo rien de neuf non plus, et la foire Photo Miami pourrait s’abstenir de revenir l’an prochain, au vu de ses allées mornes, d’où transpirait un incommensurable ennui.
Même les deux foires off dites principales, NADA et Pulse, ont cette année fait pâle figure.
Le public a changé également. Je ne parle pas du grand public. Il se presse le week-end pour arpenter la foire et c’est tant mieux. Mais pour avoir été présent à Miami depuis la seconde édition d’Art Basel, en 2003, j’ai pu mesurer l’évolution et le changement non seulement du contexte mais aussi de la fréquentation.
À l’ambiance festive mais professionnelle des premières années s’est substituée depuis deux ans une sorte de course effrénée à l’événementiel, avec starification et peopolisation en prime. On croise dans les allées nombre de personnes gravitant dans les milieux de la mode, pas plus intéressées par l’art que par la choucroute, mais qui sont là pour se montrer… parce qu’il semble qu’il faille y être !
Chacun y va de sa soirée, avec l’espoir du casting le plus réussi. N’importe quel journal ou marque de mode essaye désormais d’y faire un événement. Ce jusqu’au magasin parisien Colette, temple de la branchitude s’il en est ! Comme s’il fallait être présent à Miami cette semaine-là pour exister.
La directrice du Moore Space, centre d’art contemporain qui présentait cette année une sélection d’artistes français, ne s’est-elle pas entendue demander par des journalistes au téléphone quel type de vin serait servi lors du vernissage et quelles vedettes étaient attendues ?!!
La conséquence de tout ce remue-ménage est un sentiment d’agacement progressif de nombre de professionnels de l’art, qui commencent à se dire qu’ils ont peu à faire dans un tel cirque et se demandent s’ils vont continuer à venir. Pas les marchands, pour qui ce marché est devenu essentiel et qui ne peuvent se permettre de le laisser filer. Mais pour beaucoup d’autres…
Art Basel Miami Beach, qui avait voulu instaurer une rendez-vous hivernal où la qualité serait concomitante à une atmosphère détendue et conviviale a-t-elle tellement bien réussi son coup qu’elle est en train de se faire déborder ?
Eléments de réponse dans un an, où l’on pourra mesurer l’évolution d’une situation qui ne peut encore enfler sauf à exploser.
Friday, 21 December 2007
Richard Prince
Guggenheim Museum, New York. Jusqu'au 9 janvier.
« Je viens de résoudre le problème de parking. J’ai acheté une voiture déjà garée » (« I just solved the parking problem. I bought a parked car »). Malicieuse, cette simple phrase griffonnée au crayon sur une petite toile blanche (Untitled (Joke), 1986) résume à merveille l’esprit qui se dégage de la première rétrospective consacrée à Richard Prince, organisée par le Guggenheim Museum, à New York.
Pensé par séries, qui chacune à leur manière soulignent avec justesse qualités et stéréotypes auxquels s’attaquent l’artiste, l’accrochage déployé dans la spirale et quelques galeries annexes donne l’ampleur nécessaire à une œuvre qui apparaît, depuis trente ans, d’une rigoureuse cohérence. Ce tant dans la constitution d’une immense banque d’image de la culture populaire américaine, rendue efficiente par le modus operandi que constitue l’appropriation, que par la manière dont sont pointées les contradictions inhérentes à cette culture même.
L’univers de Prince apparaît en effet telle une immense boîte à fantasmes, où une iconographie très marquée par la route, la sexualité et la publicité portraiture une Amérique oscillant entre finesse et grossièreté de traits. Une Amérique tout en proie à la question du désir, lancée dans une quête ininterrompue en vue de son accomplissement.
Untitled (Cowboy), 1980-84, Ektacolor photograph, edition of 2,
24 x 20 inches, © Richard Prince
Les Nurses, peintures initiées en 2002 reprenant des couvertures de romans de gare où des images d’infirmières se voient affublées de masques chirurgicaux ou maculées de traînées de peintures qui les rendent floues, sont à cet égard remarquables. Rendues plus inquiétantes que rassurantes elles incarnent, au même titre que les Girlfriends (1993) – des « bikeuses » souvent photographiées poitrine au vent dans des concentrations de motards – de parfaits archétypes sociaux et sexuels. Tout comme les Cowboys initiés en 1980. Des images évoquant les racines de la nation à travers l’idée de liberté individuelle, tout à fait reconnaissables comme provenant de publicités pour les cigarettes Marlboro… vantant le grand air et la liberté, ce qui ne manque pas de sel.
Nurse in Greenmeadow, 2002, Ink jet print and acrylic on canvas
78 x 58 inches, © Richard Prince
À la base de la pratique de Prince, l’appropriation d’images publicitaires sorties de leur cadre et transformées par leur nouveau contexte de présentation fournit une entrée en matière efficace à l’exposition. Avec ses travaux anciens traités en séries, telles des photos d’intérieurs bourgeois (Untitled (living rooms), 1977), de briquets ou stylos de luxe (Untitled (pen), 1977), ou des portraits de personnages très sûrs d’eux (Three women looking in the same direction, 1980), l’artiste use efficacement du mode répétitif pour imposer une corrélation entre fabrication de l’image et stéréotypes. Ce faisant, dès la fin des années 1970, il se posait en pointe des questionnements post-modernistes relatifs à la signature et à la légitimité auctoriale.
La disparition de la main de l’artiste est également patente dans les Monochrome Jokes et les Hoods (blagues populaires inscrites sur des tableaux monochromes et capots de voitures moulés) produits à partir du milieu des années 1980, nombreux dans le parcours. Outre qu’ils témoignent d’une irrévérence avérée à l’endroit du Minimalisme et de l’art conceptuel, ces travaux le font en distillant dysfonctionnements et peurs sociales (anxiété sexuelle, questions de genre, ratés de l’éducation, problèmes familiaux…) avec une cruauté jouissive et d’autant plus succulente qu’elle n’est jamais gratuite mais toujours s’infiltre dans la faille avec une précision chirurgicale… Quand une Amérique conquérante rencontre une Amérique craintive.
Upstate, 1995-99, Ektacolor photograph, unique,
69 x 49 1/16 inches framed, © Richard Prince
Capable de s’attaquer à un maître comme De Kooning, dont il mêle dans des tableaux l’imagerie des Women à de vulgaires photos pornos (De Kooning Paintings, 2005-07), Prince fait également montre d’une profonde empathie pour les paysages et le mode de vie qu’il trouve dans son environnement immédiat (cabanes, paniers de baskets, bagnoles capot ouvert,…), dans le nord populaire de l’Etat de New York où il a élu domicile en 1995 (Untitled (Upstate), 1995-99). Empreints d’une certaine mélancolie, détachés de toute gouaille acerbe, ces clichés désignent un artiste fasciné par la culture… avec un grand et petit c. Cela rend son regard juste, et son art pertinent.
Une réponse de Bill Viola
A la suite de la journée du 15 Décembre à l'Elysée et chez moi. Il m'adressa la collection des DVD que j'avais prêtés à L'Elysée en rajoutant deux autres tirages très récents.
Cher Bruno
Quel jour spécial et merveilleux avons-nous passé tous ensemble hier! Nous étions si heureux de vous connaître vous et Marina et nous vous remercions de tout coeur d'être si généreux et passionnés pour l'Art et la Vie. Nous penserons à vous et nous vous souhaitons une rapide guérison et une pleine santé. Nous vous aimons tous deux
Bill Viola, Kira Perov, Blake et Andrei.
Toute la chaleur, la modestie et l'humanité de Viola et de sa femme et partenaire éclate dans ce petit mot et contraste avec tant de gloires médiatiques prétentieuses et méprisantes; glacées et mondaines. Même dans les salons dorés de l'Elysée, la famille Viola était parvenu à imprimer une ambiance conviviale et familiale. Plus de statut, plus de hiérarchie, plus de faux semblants, le maître dominait tout naturellement par son génie humain et spirituel. Nous nous sentions tous tout petits.
The Passing (le passage) est sans doute une des réalisations les plus célébrées de l'artiste. Elle peut paraître d'une dureté insoutenable car elle répond à des sentiments violents et antinomiques éprouvés par l'artiste au moment de la création. Un bébé qui nait pendant que sa mère adorée expirait, il pensa devenir fou, sa raison chancelait. Et il trouva sa voie en regardant sans ciller, sans détourner les yeux, sa mère en train de mourir, son cher visage, les associations de son enfance, et en même temps filmer la vie nouvelle, le miracle de la naissance qui seul permet la nécessaire catharsis. Ceci n'était posibble que par une maîtrise confondante, un contrôle total des images, une imagination et une création jailissante et un travail laborieux, minutieux, d'un sérieux comparable à celui des maîtres du passé.
J'avoue avoir vu sans plaisir "The Passing", c'est une expérience terriblement perturbatrice. Mais le premier choc passé, la terreur, la répulsion se transforme en pure et consolante beauté. Oui. Voyez "le Passage".
Sunday, 16 December 2007
Le dialogue entre Marina et Bill
Suite de "la France honore Bill Viola"
Verbatim de l'entretien au déjeuner à l'Elysée.
On vient de commander à Bill Viola un projet important pour la Cathédrale Saint Paul à Londres dont il vient d'esquisser le dessin. Il consiste en deux couloirs latéraux et une allée centrale. De chaque côté deux parois sont occupées par des vidéos. Celle de gauche représente la Vierge Marie, celle de droite n'est pas encore définie, sans doute un martyr... La Vierge Marie, c'est l'Eternel Féminin; la Terre; la Sainte Mère. Elle revêt l'apparence changeante de toutes les races, tous les âges, toute la vie.
Bill Viola me parle de Michel-Ange qui trois jours avant sa mort, travaillait encore animé par toute une vie de passion créatrice. Je lui raconte comment Matisse, alité, ne pouvant plus peindre, c'est fait apporter des liasses de feuilles pré-coloriées et des ciseaux, et a créé une oeuvre jaillissante et exaltante. La passion, l'esprit de création, l'ont emporté sur les pires handicap physiques. Cette histoire que ne connaissant pas Bill Viola, l'a beaucoup ému. Claude Guéant la lui a confirmée car il avait également été frappé par ce courage héroïque.
J'ai demandé à plusieurs amis ce qu'ils pensaient de la dernière création à Venise de Viola, qu'il tenait lui-même pour un achèvement. Leurs avis ont été admiratifs. En particulier une excellente architecte, Claire, a trouvé que c'était la plus magistrale et la plus bouleversante de ses chefs d'oeuvre. Mais la critique a été partagée parmi les critiques d'Art qui ont fait la moue, dont notre ami Frédéric Bonet. Viola que j'interroge me répond, "je ne veux pas donner mon interprétation, que chacun choisisse la sienne".
J'ai parlé de la dernière exposition d'Annette Messager , notamment de ces matelas qui semblent être animés d'un souffle vital, se gonflant et se vidant comme s'ils respiraient, et combien je rève visiter son atelier à Paris. Bill Viola partage mon admiration et avoue être très proche de l'artiste, de même qu'il apprécie beaucoup Boltansky.
Monday, 10 December 2007
Préparation
A la demande de John et d'Alexandre.
Samedi 15 décembre, je dois rencontrer Bill Viola qui fait une visite exceptionnelle à Paris. Comme je vais sans doute émettre un billet de même que Marina Fédier (qui a des atomes crochus avec les Viola), je vous suggère de vous procurer à toute vitesse et de visionner les deux DVD parmi les plus significatifs du grand artiste. Vous trouverez ces DVD au MAM de la Ville de Paris ou chez Amazon.
Un des premiers films et des plus mystérieux de Viola. Réalisé en deux ans au Japon, sous le patronage de Sony, il décrit le passage progressif, presque insensible de la nature la plus solitaire, la plus inviolée, aux rues illuminée au néon de Tokyo. Les paysages sont étranges et très poétiques, le talent de coloriste, la manipulation de la dimension temporelle, la structure de cette vidéo marquent l'avènement du plus grand vidéaste de notre temps, à l'instar de Bruce Neumann, et de June Paik, mais avec la poésie et la beauté en plus. C'est cette beauté immédiate, surprenante, digne des maîtres anciens qui a conféré à la vidéo ses lettres de noblesse et qui rend Viola immédiatement accessible même au profane.
C'est un DVD qu'il faut absolument voir et revoir, donc à conserver et à diffuser à ses amis. Les premières images en particulier (la nature solitaire) sont particulièrement fascinantes.
Pour qui veut se familiariser avec la démarche et le vocabulaire de l'artiste, ce DVD est indispensable. On y trouvera la dimension profondément mystique qui imprime sa marque dans des inspirations renaissantes. Giotto a fait une profonde impression sur Viola ainsi que le Caravage, mais le Zen a laissé également son esprit dans le dépouillement des paysages du désert.
The Passing, est un autre DVD qui relate l'expérience personnelle de Viola de la vie et de la mort. Son intensité est presque insoutenable et pour cette raison elle ne peut être conseillée aux non initiés.
Une bonne nouvelle si elle est confirmée : la reprise de Tristan et Isolde à l'Opera Bastille en Octobre 2008. Je la tiens de Mortier qui me l'a annoncée lors de la soirée du 25 Octobre à Versailles. Il me semble indispensable de ne pas manquer ce chef d'oeuvre d'Art Contemporain vidéo (à ne pas confondre avec une mise en scène comme celle de Chéreau à la Scala). J'ai bien fait le voyage à Rotterdam pour n'en voir qu'une version tronquée.
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